Slow, fast ou temps juste ?
Quand je parle d’« éducation
lente », je me situe en opposition au rythme effréné de l’éducation
d’aujourd’hui, basé sur la compétition, la performance, l’efficacité illusoire d’un
système unique. Cette même éducation qui fait croire aux parents que leur
enfant est en retard. Celle qui fait que des parents démunis cherchent à régler
rapidement les « problèmes » de leur enfant tandis qu’un coach
familial offre des solutions clés en main garanties en 3 semaines. On n’a
jamais autant parlé des rythmes (scolaires par exemple) tout en ignorant
effrontément ceux de l’enfant, pourtant premier intéressé. Parfois même,
certaines pédagogies attentives aux rythmes de l’enfant sont détournées à des
fins d’efficacité et de performance. Les conséquences sont les suivantes : au pire, perte de confiance en soi et de l’estime de soi, perte de l’écoute de son rythme propre, sentiment d’échec, stress et pathologies liées à ce dernier, ou au mieux devenir le grand gagnant d’une mascarade durant laquelle on aura réussi, mais peut-être pas compris tout ce que nous sommes censés avoir étudié. Mais en réalité, il ne s’agit même pas d’être
lent. Il s’agit de laisser le temps juste dont a besoin chaque enfant. Il
s’agit de retrouver son propre rythme, et de s’écouter.
Réussir ou s’épanouir ?
Grandir prend du temps, le temps
nécessaire à chaque enfant, qui va à son propre rythme. Maria Montessori a bien
mis en valeur la nécessité de respecter les rythmes et les processus psychiques
de l’enfant. Dans la pédagogie Steiner, les rythmes de l’année, les fêtes et
les saisons, bercent l’année.
Aller à son rythme : il
s’agit bien d’ « être » en premier lieu, car l’apprendre, le
grandir en dépendent, et non l’inverse. Plus je laisse mon enfant gérer son
rythme et ses besoins, et plus je favorise son autonomie, sa liberté, sa
confiance, mais aussi ses capacités d’apprentissage. Ce temps est
précieux : ce n’est pas tant le résultat qui compte, mais le processus que
parcourt l’enfant qui va l’enrichir.
De même que la patience, ainsi
que l’écoute active, résoudraient un grand nombre des « problèmes »
de l’enfant. Prenons-nous le temps de l’écouter, vraiment ? Prenons-nous
le temps de le regarder, vraiment ? Prenons-nous le temps de le toucher,
vraiment ? Sans le juger, sans rien lui demander mais dans l’accueil de
l’être unique et merveilleux qu’il est.
Réussir n’est pas une fin en soi,
tandis qu’apprendre, actualiser nos connaissances selon nos besoins, de manière
connectée à la vie, fait sens. Pourquoi faudrait-il limiter les apprentissages
à la première partie de la vie, alors que nous apprenons tout au long de notre
existence, de façon formelle ou informelle, consciemment ou non ? En fait,
l’éducation – ou plutôt les savoirs (faire/vivre/être), ne sont finalement pas
quantifiables ni notables. Acceptons de lâcher-prise avec cette obsession
de l’évaluation – soyons humbles devant la complexité de l’homme et de la vie… Question
de bon sens.
Prendre le temps nécessaire,
c’est aussi une manière d’envisager la vie, et pas simplement l’éducation. C’est
rendre de la valeur et du sens à son cheminement personnel et au vivre-ensemble ;
et bien sûr s’interroger sur notre propre rapport au temps. Privilégier la
qualité à la quantité, vivre le moment présent. Cela est valable tant pour l’éducation
que pour l’alimentation, le sommeil, la guérison du corps, ou encore les
émotions, etc. Remarquons combien
les enfants ne conceptualisent pas les notions de durée, mais vivent toujours
au temps présent. Le temps présent est un cadeau…
Vivre à son rythme, c’est aussi
respecter les cycles de la nature : les retrouver, les entendre, les
vivre. Dans la nature, tout est cycle : les saisons, les jours et les
nuits, les marées,… conditionnent le vivant. L’homme n’y échappe pas, bien
qu’il pense pouvoir s’en dédouaner. Mais à quel prix ?
Celui qui cultive quelques
légumes sait qu’il ne servirait à rien de tirer sur les pousses à peine sorties
de terre, ce serait destructeur. Et pourtant, n’est ce pas ce que ce système
fait avec nos enfants ?
Il y a donc prise de conscience
du lien qui unit l’homme et la nature, car « tout ce qui est cosmique concerne essentiellement l’homme, tout ce qui
est humain concerne essentiellement le cosmos. » nous dit Edgar Morin.
Chez Nietzsche également, « Tout
individu collabore à l’ensemble du cosmos. »
Il s’agit alors de se déconditionner
d’un système de pensée qui avait pour habitude de placer l’homme au centre de
l’univers – anthropo-centrisme - pour lui rendre une place plus juste. Et surtout, de
réfléchir et d’agir en vue d’une nouvelle manière d’habiter le monde.
« (…) si nous nous plaçons à la fin de ce très long processus, là où
l’arbre porte ses fruits (…) nous trouvons le fruit le plus mûr de l’arbre,
l’individu souverain, celui qui n’est semblable qu’à lui-même, qui s’est
affranchi de la moralité des mœurs, l’individu autonome et supramoral (…) bref,
l’homme qui a sa volonté propre, indépendante, et durable (…) et une conscience
véritable de sa puissance et de sa liberté, sentiment d’accomplissement de
l’homme. »
Nietzsche[1]