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Je vais vous faire une confidence : j'ai été une enfant asperger. Aujourd'hui, devenue une adulte asperger, ou "aspergirl" pour les intimes, je peux témoigner de la façon dont j'aurais aimé être accompagnée durant l'enfance. Evidemment, il ne s'agit que de mon témoignage, il vaut donc pour moi, mais sans doute, certains traits seront valables pour d'autres enfants asperger, essentiellement des filles. Il faut savoir que le SA est vécu différemment par les filles et les garçons. Comme il existe une littérature abondante sur le SA au masculin, je vais centrer cet article sur le SA au féminin.
- Invisibilité, émotions, solitude et décalage
Une aspergirl développe des stratégies d'invisibilité : elle fait tout pour passer inaperçue, et bien souvent, elle use et abuse parfois du mimétisme dans cette perspective. Il est probable qu'une grande partie des filles avec SA ne soient ni soupçonnées de l'être, et encore moins diagnostiquées.
Elle possède une vie intérieure d'une richesse insoupçonnable, créant ainsi son univers avec une imagination incroyable - et préfère donc bien souvent la solitude et le confort de sa bulle à la compagne des semblables. Une fille avec SA paraît donc bien souvent peu sociable, car elle ne comprend pas réellement les codes sociaux - enfin, plus précisément, elle ne leur accorde plutôt aucun crédit.
Cette bulle lui permet aussi de se "recharger" après une période d'immersion dans la société, durant laquelle elle est soumise à un stress intense dû à la nécessité de "jouer son rôle", mais aussi au bruit, aux odeurs, aux stimuli visuels, et autres aspects sensoriels qu'elle ressent plus fortement. Si elle n'a pas l'occasion de se ressourcer, elle risque la surcharge sensorielle: une sorte d'effondrement émotionnel intense. Pour palier à cela, certaines précautions peuvent être utiles lorsque l'on sort: la musique dans les oreilles, les lunettes de soleil, des vêtements dans lesquels on se sent bien, etc.
- Scolarisation, apprentissages et centres d'intérêt
Il me semble évident que les aspergirls sont très douées pour les autoapprentissages, se passionnant pour tel ou tel sujet pendant un temps plus ou moins long. Elles ont une soif de savoir impressionnante, voire souvent obsessionnelle. Les thèmes sont souvent issus des domaines littéraires, philosophiques, artistiques, musicaux, etc. Il n'est pas rare de voir une fille avec SA apprendre à lire seule par exemple. Il n'est pas rare qu'une fille mène ses apprentissages en marge de l'école, lisant en cachette ses livres (parfois non adaptés à son âge),
Personnellement, j'ai été scolarisée. Et je me suis tellement ennuyée à l'école; même si j'ai aimé certaines matières. Mais je n'ai pas aimé devoir côtoyer des enfants toute la journée; j'ai même connu quelques épisodes de harcèlement en primaire - ce qui n'est pas rare pour les personnes avec SA. Je détestais tout ce qui était d'ordre collectif, et je faisais tout pour paraitre invisible. D'autres aspects sont également généralement très difficiles pour un enfant avec SA: devoir se concentrer sur des choses déjà comprises ou inintéressantes, devoir cacher ou assumer ses excentricités, l'hostilité du système et ses codes incompréhensibles, fournir des réponses parfois inadéquates aux demandes (avec le risque de paraitre bête), supporter l'autorité d'un enseignant, intervenir en public, lire à voix haute, se soumettre à un examen oral - tout ce qui relève de cet ordre est une immense source de stress qui peut engendrer des traumatismes.
Quoiqu'il en soit, il semble que la majeure partie des connaissances sont acquises de manière autodidacte ; dans cette perspective, il me semble qu'une non-scolarisation serait plus épanouissante pour la plupart des aspergirls.
- Quel accompagnement dès lors?
En premier lieu, peu importe l'âge d'une aspergirl, il s'agit de respecter son rythme, ses passions, la façon dont elle mène ses apprentissages - bref, l'autonomie bienveillante serait, me semble t'il, la manière la plus épanouissante de l'accompagner.
Il est probable que certains traits de caractères ou "lubies" vous semblent incompréhensibles, comme par exemple sa manière de ranger les choses par couleurs, ou de classer systématiquement, de prêter une attention particulière aux détails, d'avoir un comportement étrange, d'être obsédée momentanément par un centre d'intérêt, d'avoir besoin de ses routines, d'anticiper et de préparer absolument tout. Ne jugez pas, acceptez qui elle est, cela lui appartient. Toutes ces facettes, qui sont en réalité des atouts, sont à encourager. Laissez-la guider ses apprentissages et intérêts. Peu importe si à 6 ans elle s'attaque aux monuments de la littérature. Si elle a un talent particulier, donnez-lui la possibilité de l'exploiter.
Soyez particulièrement vigilant quant aux risques de harcèlement. Ne laissez rien passer.
Il arrive souvent que les filles asperger manquent cruellement de confiance en elles, surtout durant l'adolescence. Depuis l'enfance, elles vivent avec un sentiment de différence, de décalage, voire de culpabilité, qui grandit bien souvent en même temps qu'elles. Un accompagnement bienveillant sera bien plus épanouissant.
Ayez confiance en votre fille. Offrez-lui cet espace, ce temps, ce calme dont elle a besoin. Respectez son besoin d'intimité, et son espace, comme sa chambre par exemple.
Il sera sans doute intéressant de revoir l'alimentation. Les produits chimiques, le sucre et les aliments industriels sont à proscrire. Certaines personnes avec SA favorisent un régime sans gluten et PLV, avec de bons résultats.
Un accompagnement thérapeutique pourra être efficace, notamment pour les compétences sociales.
Encore une fois, votre fille, comme tout enfant, est unique, merveilleuse et pleine de talents! Elle est créative, scrupuleusement honnête, intègre, généreuse,... et plein d'autres choses encore. Soutenez-la, faites-lui confiance, acceptez-la, ne la jugez pas. Aimez-la.
Enfin, je conseille la lecture de l'ouvrage suivant:
Rudy Simone, L'asperger au féminin. Comment favoriser l'autonomie des femmes atteintes du syndrome d'Asperger, 2013, Ed. de Boeck.
la fin de ton article me donne les larmes aux yeux…Merci Aurore <3
RépondreSupprimerSamia
Avec Joie Samia <3
SupprimerFinalement, cette conclusion est valable pour tous les enfants (et tous les adultes aussi!)
Merci pour cet article. Notre fils de 6 ans est en cours de diagnostic et nous vivons un grand moment de tristesse, solitude et désaroi ne sâchant comment l'aider. Sa scolarisation et sa socialisation posent de réels difficultés. Lui est en attente, lauelle est toujours déçue. Nous avions compris qu'il était précoce et depuis que le WISC a été passé (QI à 144) je croyais que nous allions avoir des rpistes mais maintenant, on nous oriente sur l'asperger sans nous dire ce que nous devons faire pour lui. Pas facile la différence...
RépondreSupprimerMerci et bonne journée,
Anne
Bonjour Anne,
Supprimeren effet, c'est un parcours difficile ; d'une part le diagnostic n'est pas toujours facile à recevoir - comme je le disais, en France, il y a beaucoup de retard; d'autre part, une fois le diagnostic reçu, et bien, peu de moyens sont déployés pour accompagner les enfants différents, que ce soit à l'école, ou bien dans les formes de thérapie. Enfin, les professionnels ne sont pas formés (ou rarement). Il reste les associations (Asperger Aide, etc.).
Pour l'instant, seuls les parents peuvent réellement comprendre et accompagner leurs enfants, et surtout au lieu de voir un problème, mettre aussi en avant les opportunités et les talents, afin que l'enfant gagne en confiance en lui... La base sera de l'écouter, tout simplement, et d'organiser selon ses demandes et ses besoins. Je pense qu'il s'agit là de l'aspect le plus important de l'accompagnement d'un enfant différent. Vous allez aussi de cette manière vous simplifier la vie.
Concernant le SA, vous pouvez toujours lire les ouvrages de Tony Attwood, qui font autorité en la matière, mais aussi les témoignages d'Asperger édités ces dernières années: Tammet, Schovanec (ce dernier en particulier).
Bon courage, et belle journée à vous.
Bonsoir,
RépondreSupprimerAprès une semaine difficile, je viens de lire votre réponse et vous en remercie.
Nous sommes en pleine réflexion pour trouver une scolarisation adaptée. Notre petit gars a terriblement envie d'être scolarisé mais à quel prix ? Il allait mal depuis 3 semaines et hier soir, son père m'a demandé d'aller lui tirer les vers du nez et là, j'ai découvert que non, il ne se fait pas taper à l'école, c'est pire. Ses pseudos copains ont inventé un jeu très drôle consistant à lui demander de se claquer les joues lui-même et plus c'est fort mieux c'est. Englué dans cette situation qu'il ne comprenait plus, "ce sont mes amis puisqu'on joue ensemble et qu'on rit", il souffrait et ne dormait plus. Trois semaines à subir des petts garçons éduqués dans la foi catholique dont les mamans évitent tout contact avec nous et empêchent leurs enfants d'aller avec le notre quand elles sont là ... Je suis partagée entre le dégoût et la haine. Evidemment, il faudra bien trouver le courage de dépasser ces sentiments pour être constructive mais pas ce soir !
Le seul point positif, c'est que j'ai engueulé mon petit en lui disant que j'étais en colère contre ces enfants et j'ai pu dire à Victorien ce dont je rêve pour lui. Je lui ai demandé de hurler "NON !" aux demandes de ces enfants. Là, mon Boulou a semblé interloqué et ce soir il m'a dit: "j'ai passé ma journée à bosser dur parce que je crois que je viens de changer dans ma tête. Etre fort et bon, c'est ce que je veux". J'admire énormément son cran et sa foi en nous, ses parents.
Anne
Bonjour Anne,
Supprimermalheureusement les formes de maltraitance et de harcèlement des enfants différents ne sont pas rares du tout. Et ces derniers acceptent, sous prétexte qu'ils reçoivent un peu d'attention de cette manière, peu importe le prix.
Je suis effarée que l'école ne prenne pas ses responsabilités, et ne surveille pas mieux... On est censé lui confier son enfant avec confiance.
Je comprends vos sentiments, ils sont légitimes ; j'espère de tout coeur que votre fils sortira grandi de cette expérience malheureuse, et qu'il apprendra à mettre des limites respectueuses avec les autres. C'est l'apprentissage du respect de soi...
Bon courage, Anne.
Je me retrouve beaucoup dans cet article. Ma scolarité a été un calvaire jusqu'à la fin du collège, mais la primaire et la 6ème étaient sans doute les pires. J'ai subi le harcèlement de la part des autres enfants dans la complaisance passive des institutrices qui me trouvaient de toute manière "trop intense", "ingérable", "caractérielle". C'était moi qui avait un problème et qui éveillant donc une "juste" riposte de la part de mes camarades. Mais je ne faisais pas exprès. Je ne savais pas comment me comporter de manière acceptable à leurs yeux et aux yeux des instits. J'essayais mais j'étais vraisemblablement à côté de la plaque. De trop dans la lune je devenais trop envahissante, j'étais trop bavarde, quand je répondais bien aux questions, on me reprochait de trop intervenir, bref, j'étais perdue. Aucun adulte n'était empathique envers moi, ni à l'école ni à la maison. J'avais peur des autres et je préférais être seule. Comme les autres ne m'aimaient pas, ce n'était pas compliqué. Je passais tout mon temps à écrire ou à observer les animaux. J'avais effectivement des passions que j'assouvissais en solo, côté littérature et histoire/archéologie. Ça s'est passé comme ça jusqu'au lycée. Le fait de déménager et d'avoir un copain pour la première fois m'a "normalisé" en quelque sorte. Et fait découvrir d'autres singularités sur moi-même. J'ai du mal avec les stimuli sonores brutaux et inattendus, ou répétitifs, que plusieurs personnes me parlent en même temps, qu'un fond sonore parasite quelqu'un qui parle, quand on me parle trop vite et que je suis sensée prendre des notes, etc. J'ai terriblement du mal avec le désordre et la saleté, faire le ménage est quelque chose d'extrêmement stressant pour moi, je finis quasiment tout le temps en rage ou en pleurs parce que ce n'est jamais assez propre ou bien rangé. Je suis parfois invivable... Et j'ai un fils. Je fais de mon mieux mais j'ai tellement de mal parfois à être détendue et ne pas me sentir agressée par ses demandes incessantes. Il est très intense, exige tout, tout de suite, et le fait savoir bruyamment, je me sens parfois submergée de bruit et d'attentes. Je ne sais pas si je suis aspergirl mais ce qui est certain, c'est que je n'ai pas été accompagnée correctement durant mon enfance, et que subissant la maltraitance physique et morale à l'école comme à la maison, mon univers intérieur était mon seul repère rassurant. Je ne peux que constater les dégâts maintenant, malheureusement, avec les impairs que je commets parfois avec mon fils en ne répondant pas à ses besoins émotionnels comme il faudrait.
RépondreSupprimerAtebasha.
Bonjour Atebasha,
Supprimermerci de ton commentaire et témoignage.
Quand je te lis, je me dis que finalement, asperger ou pas, peu importe la "différence", tout enfant, unique tel qu'il est, mériterait d'être accompagner dans l'empathie, la CNV, l'amour. Et peut-être, je dis bien peut-être, ces différences (qui ne sont finalement que des modes d'être autres, des qualités mal exploitées) ne seraient pas vues comme des problèmes, mais comme des opportunités. Si le monde avait été conçu sur l'uniformité, nous ne verrions pas tant de diversité rien qu'en observant la nature, les animaux, et les humains. Pourquoi vouloir à tout prix uniformiser? Et à quel prix? Bref.
La seconde chose qui me vient à l'esprit, c'est que cette violence que nos parents nous ont fait vivre et parfois transmise, si nous n'en prenons pas conscience, ils l"ont eux même portée, vécue. Et les choses se sont parfois transmises de génération en génération? Mais jusqu'à quand cela va t'il durer? Peut-être que notre génération, qui prend conscience des enjeux de l'éducation, et de la nécessité de travailler sur soi, va changer la donne, et la face du monde?!
Quant à ton enfant, il t'a aussi choisie comme maman, et comme il est dans l'amour conditionnel, il ne te juge pas. Peut-être aussi exprime t'il des demandes très intenses en regard des tiennes? Comment as-tu pris soin de cette mémoire d'enfance, comment as-tu nourri toutes ces blessures, ainsi que tes besoins émotionnels, passés et présents? La vie nous invite toujours, toujours, à prendre soin de nous, nous guérir et à plus d'amour.
Prends soin de toi.
*
Juste un petit mot d'espoir. Victorien a laissé sur mon ordinateur hier soir un post-it sur lequel il avait écrit "gros bisous maman" et avait dessinné une grande bouche et un petit coeur. Son commentaire: "les lèvres sont grandes pour te faire des bisous plus forts".
RépondreSupprimerLe matin, nous avions eu un RDV dans un centre Winnicott où une dame nous a expliqué qu'il souffrait soit d'Asperger, soit d'un TED et que sa prise en charge se ferait en septembre prochain...soit dans 9 mois. Quel décallage entre cette non-réponse et nos attentes. Tout ça pour dire que le chemin va certainement piquer encore mais que je suis certaine d'une chose, c'est de vouloir avancer pour ce petit bonhomme. Reste à savoir comment...
Enfin, pour Aurore, pour améliorer ta relation avec ton fils, regarde ce livre de FABER et MAZLISH, il existe aussi des formations et groupes de discussion entre parents fort utiles parce qu'ils permettent de prendre du recul.
http://www.amazon.fr/Parler-enfants-%C3%A9coutent-%C3%A9couter-parlent/dp/2981161067/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1417583282&sr=8-1&keywords=faber+et+mazlish
Amicalement,
Anne
Bonjour Anne,
Supprimermerci de votre message.
Je suis heureuse de ces avancées, merci de les partager :)
Bon courage pour l'attente. 9 mois, c'est un temps symbolique tout de même...
Merci pour le conseil, c'est effectivement une ressource intéressante :)
Amicalement,
Aurore