Un nouvel ordre mondial obscurcit
l'avenir de l'humanité : la marge de profit comme valeur suprême. Cette logique
capitaliste a envahi jusqu'à notre système scolaire : l'école mène au travail
qui mène à son tour à l'argent. L'instruction utilitariste offerte aux jeunes,
en relation exclusive avec l'emploi et l'économie, ne peut les conduire qu'à un
vide spirituel les empêchant de se réaliser pleinement en tant qu'êtres
humains. Le temps est venu de faire la part des choses entre l'essentiel de
l'éducation et l'accessoire de l'économie triomphante en développant un autre
discours, un discours qui illumine enfin les jeunes en les invitant à se
centrer sur leurs décisions et leur propre développement humain. Entre
capitalisme et humanité, il y a un grand pont à construire. C'est cette faille
éthique que Pierre Demers tente de combler par cet essai portant le projet
d'une révolution éducative. Sa vision nous invite à changer notre mode de vie
afin de libérer notre conscience du matérialisme. Son livre soulève une
question fondamentale : lequel des futurs possibles choisirons-nous ?
Pierre Demers est un libre
penseur, professeur à la retraite de l'Université de Sherbrooke.
Pierre Demers, L'humanité de
l'obscurité à la lumière : L'éducation pour rendre le pouvoir à l'être humain.
2011. Ed. Presses de l'Université du Québec. 18€
« L’humanité gémit, à demi écrasée sous
le poids des progrès qu’elle a faits. Elle ne
sait pas assez que son avenir dépend d'elle ».
Henri Bergson
Dans cet ouvrage dont le but est de prophétiser, l’intention première de Pierre Demers sur la critique du milieu de l’éducation est de sortir de cette « obscurité » pour aller vers plus de « lumière ». Pour ce faire, il définit bien les nuances des notions paradigmatiques du monde scolaire. Ainsi, l’instruction cherche à prodiguer la transmission des connaissances, alors que la scolarisation précise les conditions nécessaires pour que les jeunes fréquentent les écoles, et la socialisation procure l’adaptation au contexte social de la communauté tandis que l’éducation cherche à faire découvrir des valeurs positives permettant le développement des composantes de cette humanité qui existe en chacun de nous.
Trop souvent, les acteurs du monde scolaire utilisent ces notions comme si elles étaient interchangeables et la confusion règne ici en toute quiétude, parce que l’on ne sait pas trop de quoi il est question parmi les différentes terminologies de ce qu’est le véritable sens de l’éducation. L’auteur critique vivement le système éducatif qui est souvent perçu, par l’opinion publique, comme étant assujetti à des pratiques extrémistes de l’idéologie néolibérale que l’on retrouve, par ailleurs, dans les organisations mondiales régissant le système économique. Au départ, ces instances ne semblent guère touchées par les conséquences de leurs décisions, lesquelles répercussions sont renfermées dans la logique exacerbée de la compétition économique exerçant une influence sur la vie des jeunes.
Le néo-libéralisme a cette tendance fâcheuse à reproduire de l’inégalité sociale et une forme d’élitisme qui met en avant une société fragmentée. Ainsi, l’auteur emprunte au philosophe Jean Bédard le concept de « déséducation », qui est une « action de déformer l’esprit en abêtissant, soit de manière volontaire, suivant la tendance sociopolitique de l’heure, soit de manière involontaire, en propageant une ignorance programmée et structurée pour tenir les personnes en état d’inconscience » (p. 81). La délivrance des diplômes ne devrait pas répondre uniquement, nous semble-t-il, aux exigences économiques de la main-d’œuvre dont les sociétés ont besoin pour leur bon fonctionnement, mais participer plutôt à l’établissement de rapports harmonieux entre les valeurs dites économiques et les valeurs humaines, afin de former de futurs citoyens pleinement accomplis.
Raison de plus, avant d’éduquer nos jeunes, pour que les membres du personnel enseignant réalisent, progressivement, l’importance de s’éduquer eux-mêmes par la découverte du sens éthique de leur agir professionnel. Autrement dit, les valeurs sont les fondements de l’éducation et elles se trouvent dans l’honnêteté, l’intégrité et la compassion comme balises favorisant la mise en place d’une éthique partagée pour créer des liens à travers les interactions pouvant, selon nous, guider les personnes qui enseignent vers un nouveau professionnalisme. Cependant, Pierre Demers entretient de sérieux doutes par rapport au danger de penser que le seul fait de nous rendre plus professionnels pourrait régler tous nos problèmes, puisque la perception sociale interagit dans notre façon d’intervenir auprès des autres. Pour lui, c’est le syndicalisme qui sert de premier modèle influant sur le personnel enseignant. Un changement radical de société s’impose pour modifier progressivement le pouvoir et les privilèges de certains tenants de l’idéologie néolibérale qui aliènent les êtres humains. Ainsi, pour sortir de la souffrance provoquée par l’« obscurité », l’auteur met en avant quelques principes de base qui sont des conditions pour rendre possible le bon rétablissement d’une société, puisque l’acte éducatif a un pouvoir d’humanisation qui permet de devenir des cocréateurs du monde pour un avenir en meilleure santé. Ces derniers interviennent dans des contextes différents, tels que l’application d’une philosophie de l’éducation tout simplement, le façonnement des intelligences multiples, la résolution de la valse sociétale des éthiques des temps qui changent, la création de communautés conscientes de la nécessité de notre développement spirituel, le refus de l’immoralité sexuelle, le retour à des valeurs primordiales, une plus grande justice sociale au moyen de la charité, l’éducation cherchant la libération par la croissance humaine, la lutte permanente contre le statu quo, l’éducation comme solution de remplacement à la peur du prochain, la résistance ferme au problème philosophique de l’inconvénient de la naissance, une appréciation justifiée de l’existence humaine, l’apprivoisement de la mort comme moyen de prévention pour une meilleure santé mentale, et, enfin, cette question cruciale du Dieu intérieur qui pose les paramètres de la vie et de la mort.
Pour ce faire, l’auteur porte un jugement sévère sur la société de la surconsommation et du matériel où s’embourbent les jeunes qui décrochent dans leur tête et s’ennuient à en mourir dans les salles de classe. Pour lui, la manipulation subversive d’un système économique qui ne respecte pas la dignité humaine est à proscrire puisqu’elle a un impact direct sur le système scolaire. Ainsi, bien que l’on investisse considérablement dans l’éducation, le phénomène du décrochage scolaire, notamment chez les garçons, ne cesse d’éprouver de la difficulté en se contractant devant la marche serrée de l’économie qui cherche, continuellement, à répondre au besoin futur de main-d’œuvre. Pour résorber cette problématique, une nouvelle créativité s’impose comme étant une dynamique de processus cherchant à créer, de manière permanente, la passion de l’éducation. Pierre Demers reprend cette affirmation d’Hubert Reeves et de Frédéric Lenoir pour dépasser le défi social qui nous attend : « […] la portée cosmique de la crise que nous traversons. C’est l’avenir de la complexité à son plus haut niveau, l’intelligence, la conscience, la créativité artistique, qui se joue aujourd’hui sur notre planète » (p. 132). Nous sommes dans le temps de l’imprévisible où l’imagination créatrice est obscurcie par un avenir à bâtir. La peur de se tromper constitue la trame de fond de nos vies. La créativité des jeunes dépend, en grande partie, du respect fondamental de leur nature divine. De là, l’importance d’éveiller la potentialité qui sommeille en eux. L’avenir de l’éducation, son insuccès ou son succès, est tributaire de cet enracinement au quotidien par le « développement de la capacité spirituelle de l’enfant » (p. 134) afin de ne pas sombrer dans l’« obscurité ». L’humanisation des jeunes réside dans la relation pédagogique où la puissance des mots a toute son importance quand l’auteur déclare à travers un raisonnement percutant : « Si l’on vous dit que vous n’êtes pas bon, vous pourriez bien le croire. Le contraire est aussi vrai, car si l’on vous dit que vous êtes bon, vous pourriez bien le croire également. Alors, pourquoi risquer quoi que ce soit auprès des jeunes. Disons-leur qu’ils sont bons. Ils pourraient bien le croire et le devenir » (p. 146). Pour sortir les jeunes du vide spirituel et de la déshumanisation dont ils sont victimes, l’auteur s’engage à aider les jeunes du monde à se responsabiliser pour mettre en valeur leur humanité afin qu’ils puissent combattre la déformation scolaire, lutter contre la culture de la distraction, chercher à augmenter une culture de la concentration, poursuivre une quête de sens et d’attention ainsi qu’apporter des changements de mentalité appropriés. L’avenir de l’éducation dépend, surtout, de notre potentiel d’élévation de la conscience humaine par l’éducation afin de mettre plus de lumière chez nos jeunes en quête d’humanisation, et ce, dans nos communautés éducatives respectives.