vendredi 3 août 2012

La cabane, ou le rêve des enfants



Un texte de René Barbier

L'école Jean Moulin à Villeneuve la Garenne dans la grande banlieue nord de Paris n'est pas une école très riche. On est loin du 16e arrondissement ou de Neuilly sur seine. Les enfants sont d'origine multiculturelle. Beaucoup ont des problèmes d'expression, de lecture et d'écriture en français.

Philippe Nicolas [1]un professeur des écoles et un chercheur en sciences de l'éducation, docteur de l'université Paris 8, mène avec ses élèves des expériences variées de pédagogie active qui respectent à la fois la dignité de ses élèves, l'intérêt pour la connaissance et le sens de l'homo ludens.

Dans le court extrait reproduit ici, il s'agit de laisser les enfants exprimer leur imaginaire de la cabane, à partir d'un extrait du livre de S.Tesson sur son séjour dans les bois près du lac Baïkal dans le Sibérie lointaine.

Quiconque a été un enfant joueur sait bien que "la cabane" est une figure importante du sens du jeu chez l'enfant. Combien de cabanes ai-je construites dans ma jeunesse ? je demeure avec des souvenirs émerveillés de ces moments d'insouciance.

La cabane nous ramène à une figure de l'imaginaire qu'avec l'anthropologue Gilbert Durand on peut nommer "mystique". Tout en repli vers soi-même, en intériorité. Nous nous engloutissons à l'intérieur de la cabane, dans son secret le plus intime, comme dans un retour au ventre de la mère. La cabane est notre lieu préservé. Celui de nos mémoires, de nos peines, de nos espoirs. Cet ensemble ne peut être partagé que par quelques camarades très proches, ceux avec qui nous habitons notre cabane. Avec eux nous devenons des indiens Sioux. Nous élaborons nos guerres contre l'autre clan et nos chasses au bison, nous fumons le calumet de la paix. Avec eux on se met à table pour retrouver le vrai sens du repas pris en commun.

La cabane, surtout, nous permet de retrouver notre nature dans la nature. Pour le petit citadin qui ne sait plus qu'une poule pond des oeufs non carrés, qu'une orange ne pousse pas dans un supermarché, qu'une libellule peut encore exister et s'envoler hors les pages de son livre d'histoire naturelle, la vie dans sa cabane devient la vie de la plus haute intensité.
Alors l'imagination active se déploie comme un immense cerf-volant de couleurs. La cabane des enfants convoque en son sein les êtres magiques et majestueux de la forêt. Elle protège des intempéries. Elle nous invite à la contemplation des fleurs et des arbres. Elle fait corps avec l'enfant qui en devient le roi du clair-joyeux. Elle s'anime d'un amour pour lui et de lui pour elle. Elle lui ouvre l'espace de la rencontre avec les êtres de la nature. "Le soleil le salue". Enfin les voitures et les magasins s'éloignent et la vie s'installe au plus près du coeur. Le bois remplace le plastic, le vert du feuillage, la grisaille des façades. La cabane s'offre à l'enfant avec "ses singes serviteurs". Elle "l'accueille comme dans un fauteuil".

Comme l'affirme S.Tesson, tant qu'il y aura des cabanes, tout n'est pas perdu. Le monde continuera à se déployer dans sa poéticité comme un enfant qui joue selon l'espoir d'Héraclite d'Éphèse.

La cabane nous fait oublier la pénombre des prisons du quotidien. Elle reste dans le recoin de notre mémoire pour nous rappeler que jamais nous n'accepterons l'oppression, le manque de liberté, les petites tyrannies habituelles.
Nous la savons fragile, notre cabane, avec ses branches tordues, ses feuillages clairsemés, ses assises instables dans les arbres. Mais elle est "notre cabane", la plus belle, la plus chaude au coeur, la plus mystérieuse à nos yeux d'enfant rêveur.
La cabane est à nos rêves ce que l'île enfin aperçue est au marin perdu dans l'au-delà des mers.

Rêves de cabane dans la ville
- Retentissement à partir de l'expérience en pleine nature de S. Tesson Six mois de cabane au Baïkal -
Par la classe de Philippe Nicolas, école Jean Moulin A, Villeneuve-la-Garenne
« Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu » témoigne Sylvain Tesson dans son ouvrage Dans les forêts de Sibérie.
Au cœur de la région parisienne, dans l'agglomération de Villeneuve-la-Garenne, dans une salle de classe, les élèves de CM2, encadré par leur maître ont pu imaginer, puis désirer la cabane de leur rêve, en suivant les pas du journaliste, explorateur Sylvain Tesson, dans son expérience de vie en plein air.
Les traces littéraires et picturales des enfants de dix ans de la ville ne sont pas sans nous rappeler que l'aventure humaine est d'habiter la Terre et de se sustenter de sa beauté.
La nature flotte sur ma cabane : les fleurs, les feuilles... Tout sur ma cabane. Tous les animaux sur ma cabane, l'écureuil, le renard, l'aigle... Tellement formidable !
Rayan
Ma cabane m'apprend la façon de vivre avec la nature. A l'intérieur d'elle, je sens son amour, elle sent mon amour. Je sais qu'elle ne m'appartient pas, ma cabane est de la nature.
Eléna
Cette cabane m'appelle, je marche vers elle. Dans ses murs, je m'étale.
Tha
Je suis dans ma cabane, je contemple le ciel, les oiseaux, les rivières et leurs nombreux poissons.
Sidony
Moi et ma cabane, on a une relation formidable avec le monde.
Heydar
Dans ma cabane, si proche des beaux sapins, des beaux bouleaux et des beaux pins.
Nordine
Je regarde droit devant moi. Je regarde le temps qui passe et le monde qui tourne autour de moi. Assise dans ma cabane, je ne crains plus le froid qui me gèle la peau.
Salma
Ma cabane est une amie qui vit dans la nature. Elle m'invite à la liberté ; les arbres et les fleurs nous accompagnent.
Lissa
Dans ma cabane, j'ai appris que j'étais chez moi. Elle me donne sa chaleur et moi je lui donne mon cœur.
Lucas
Ma cabane à moi, pour moi. Un roi avec elle.
Mohamed
Dans ma cabane, tous mes copains viennent, on joue, on mange ensemble.
Adama
Lorsque je l'ai vue – ma cabane – j'ai su tout de suite qu'elle était pour moi. Elle m'accueille comme un fauteuil.
Bilal
Accrochée à un arbre, ma cabane. J'y rêve d'y avoir des singes serviteurs.
Paul-Armand
Vous savez, j'aime ma cabane. Savez-vous qu'elle a aussi des sentiments pour moi ?
Yasmine K.
La nature, j'y suis attaché. Elle est si belle, si pleine de vie, si créative et surtout si pure. Elle porte aussi un trésor : ma jolie cabane. Elle m'accueille et me veille.
Julien
Ma cabane me protège. Sans elle, pas de voyage, pas d'expédition. Sans ma cabane, je ne comprendrai rien à la nature.
Karim
Ma cabane, elle est tout en bois, je m'y sens comme chez moi. Les matins, je regarde l'horizon.
Maéva
Dans ma cabane, seul le paysage. Je regarde droit devant. Plus de voitures, de gens, de magasins qui passent.
Yasmine A.
Ma cabane me redonne le sourire, elle me donne de la chaleur, sa chaleur. Là, je peux appeler mes amis.
Zinedine
Ma cabane sera en forme de carré. Elle va m'accueillir comme chez moi et je serai très bien, et nous serons très bien ensemble.
Yanis
Ma cabane posée sur un arbre, en lien avec les plantes et les animaux. A travers elle, je rencontre le bonheur, car le soleil me salue.
Léa
Maintenant en forêt, je comprends que les animaux m'aiment.
Ahmed
  
[1] Philippe Nicolas a soutenu une thèse en Sciences de l'éducation sur l'enfant pécheur sous la direction de René Barbier, à l'université Paris 8, en 2007



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