samedi 3 décembre 2011

Article: Mon école à la maison

Un article du Monde, 18/09/2009 : Mon école à la maison

Jeudi 3 septembre, les trois enfants d’Axelle Rousse n’ont pas pris le chemin des écoliers. Ils n’ont pas préparé leur cartable, ne se sont pas inquiétés de savoir si leur maîtresse serait gentille ou sévère. Ils sont restés à la maison, dans le village de Crésantignes (Aube), à une vingtaine de kilomètres de Troyes. Ils font partie des quelque 3 000 élèves français de 6 à 16 ans dont les parents ont choisi l’enseignement en famille.

Installés dans un petit bureau attenant au salon familial, Solveig, 10 ans, Eulalie, 8 ans et Adriel, 5 ans et demi, se concentrent sur les exercices préparés la veille par leur mère. « J’essaie de les réveiller vers 8 heures pour qu’ils se mettent au travail à 9 heures », explique Mme Rousse. Paisible, elle répond aux questions des grands, tout en aidant Viera, la petite dernière de 21 mois, à enfiler des perles.

Titulaire d’une licence de musicologie, la jeune femme, qui donnait des cours d’éveil musical, a arrêté de travailler à la naissance de sa fille aînée. En 2006, elle s’est improvisée enseignante. « Après sa première année de CP, Solveig n’était plus la même, témoigne-t-elle. Elle avait perdu de sa joie de vivre. En classe, elle cassait gommes et crayons. La maîtresse était sympathique, mais l’école n’a pas su répondre à sa curiosité, son besoin de rêverie et de calme. »

Quand Axelle a évoqué la possibilité de déscolariser sa fille, son mari, professeur en lycée professionnel, fut d’abord réticent. « C’est difficile de sortir du cadre, avoue-t-il. Il faut assumer la réaction et le regard des autres. Mais je n’ai pas le souvenir que qui que ce soit l’ait mal pris. »
Aujourd’hui, pour Solveig, l’école n’est plus qu’un mauvais souvenir. « Maman, elle explique plusieurs fois si je ne comprends pas, et elle nous donne des activités qui sont comme des jeux, dit-elle. A l’école, il y avait trop de bruit. » Cette année, leur mère innove avec une méthode américaine glanée sur un forum de discussions. Chaque enfant dispose de dix tiroirs numérotés avec, dans chacun d’entre eux, une activité qui ne dépasse pas vingt minutes.

La journée d’enseignement dure environ trois heures et s’achève à midi. Si les enfants décrochent avant, ils reprennent en début d’après-midi. Tous les soirs, Axelle remplit ses trente tiroirs. « J’essaie de tenir compte de leurs goûts, tout en sachant qu’ils ne peuvent pas avoir que des activités qui leur plaisent. »
Bonne pioche, Adriel vient de trouver dans le tiroir numéro trois un modèle de Lego à reproduire. Solveig, elle, rédige une lettre pour sa correspondante québécoise, tandis qu’Eulalie remplit son cahier d’anglais. Pour faciliter son travail de préparation, Axelle a pris un « abonnement famille » à un site de soutien scolaire en ligne qui lui donne accès aux cours de toutes les matières, du CP à la terminale. Tous les quinze jours, elle se rend au Centre de documentation pédagogique de Troyes, « une mine d’or ».

Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas l’école, mais l’instruction que Jules Ferry a rendue obligatoire. Pour enseigner en famille, il suffit, à chaque rentrée scolaire, de faire une déclaration au maire de sa commune et à l’inspecteur d’académie. Le phénomène reste marginal mais tend à se développer. Selon le ministère de l’éducation nationale, 3 240 enfants de 6 à 16 ans étaient instruits à la maison par choix des familles en 2007-2008, soit une hausse de plusieurs centaines d’élèves par rapport à la précédente étude, conduite en 2000-2001. Parmi ces élèves, 1 380 travaillent avec l’aide d’un organisme d’enseignement à distance, public comme le CNED, ou privé, et 1 860 sans aide.
Ces chiffres ne tiennent pas compte des quelque 10 000 enfants qui sont scolarisés à la maison pour des raisons médicales, de handicap, d’éloignement géographique ou dont les parents sont itinérants, et qui bénéficient gratuitement du CNED.

Qui sont ces parents qui font le choix de déscolariser leurs enfants ? « Des familles aux conceptions éducatives très personnelles, ou dont les enfants souffrent de problèmes comme les phobies scolaires, ou encore des parents dont la profession se prête mal aux horaires de l’école », indique Gérard Duthy, inspecteur d’académie chargé du primaire à Paris.

Elisabeth Walter, qui écrit une thèse sur le sujet, distingue deux types de familles : « Celles qui n’ont jamais mis leurs enfants à l’école, et celles qui ont décidé de les déscolariser. » Pour les premières, il s’agit d’un choix de vie global. Les mères sont plus souvent adeptes du maternage. Elles favorisent le contact avec leurs enfants en pratiquant le portage des bébés en écharpe, l’allaitement long et encore le « co-dodo », qui consiste à dormir à côté de son nourrisson. Les secondes retirent leurs enfants de l’école parce que ça se passe mal, que l’enfant est en souffrance.
« Le plus souvent, les familles qui pratiquent l’instruction en famille sont issues de milieux favorisés culturellement, mais pas forcément socialement. Il existe des RMistes qui font l’école à la maison », ajoute Elisabeth Walter, également Cofondatrice de l’association Libres d’apprendre et d’instruire autrement (LAIA).

Marie, mère d’Adrien, 9 ans (les prénoms ont été changés), a retiré son enfant de l’école en cours de CE1 après un CP déjà très difficile. « Il faisait des cauchemars la nuit, il avait peur d’oublier des affaires dans son cartable », se souvient-elle. L’année suivante, il hurlait, s’accrochait à la table de la cuisine pour ne pas aller à l’école. Aujourd’hui, Marie est très critique. « Les enfants ne vont pas à l’école pour le plaisir d’apprendre, ils y vont pour les copains. Sans leurs camarades de classe, ils refuseraient d’y aller. » Le père d’Adrien, dont elle est séparée, était hostile à une scolarisation à domicile. Il a finalement accepté, à la condition que l’enfant soit inscrit à un cours par correspondance.

Publié le 22 septembre 2009 par Veille-Education, site indépendant de veille médiatique sur l’éducation

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