jeudi 26 juillet 2012

A la Prairie, une autre école est possible (presse)



Avec près de 500 élèves, l’école Nouvelle de la Prairie de Toulouse propose une pédagogie singulière aux enfants, parents et enseignants. Créée en 1969 par Marie de Vals, élève de Roger Cousinet, cette école privée sous contrat avec l’Éducation nationale jongle avec les méthodes Freinet, Montessori, Oury… Il se fabrique ici une pédagogie en perpétuelle évolution dans chaque classe et à chaque instant.

Roger Cousinet disait de l’éducation nouvelle que « c’est un esprit pour l’éducateur et un mode de vie pour les enfants  ». Une définition qui en dit long sur la philosophie qui parcours chaque moment d’enseignement de la petite section de maternelle jusqu’à la fin du collège.

C’est lundi matin. Pour bien démarrer la semaine, il faut d’abord raconter son week-end avec papa, le dernier film visionné, ses petits soucis et ses grands bonheurs… « Quoi de neuf ? c’est 30 mn pour raconter à la classe ce que l’on veut, et après chacun peut se mettre au boulot. C’est immuable, précise Claire Chatard, enseignante spécialisée. C’est le principe de la pédagogie institutionnelle : installer un objet médiateur entre le prof et l’élève ». 
Fernand Oury, un des fondateurs de cette approche la définissait comme «  un ensemble de techniques, d’organisations, de méthodes de travail, d’institutions internes, nées de la praxis de classes actives. Elle place enfants et adultes dans des situations nouvelles et variées qui requièrent de chacun, engagement personnel, initiative, action, continuité  »(1).

13h30, les enfants rentrent de la cantine. Ça bavarde, ça s’agite. Jean-pierre Quayret, enseignant de CM2, prend la parole pour annoncer le moment de la répartition des « métiers ». Le silence se fait. Carnet en main, le ton est sérieux. Visiblement, le moment n’est plus à la rigolade.

Répartition des « métiers »
«  Ceux qui pensent que le métier de distribution a été bien fait lèvent la main », demande l’instituteur. Les mains se lèvent. Jean-pierre compte les votants. « Qui pensent que ce métier n’a pas été bien fait durant la semaine ? ». Bastien ne se démonte pas et argumente posément : «  quand Kévin a distribué les feuilles, il les a jetés comme ça…  ». L’instituteur consigne scrupuleusement les remarques des uns et des autres. Ainsi, sont passés en revue toutes les tâches ou « métiers » effectués pendant la semaine ; le ménage, la corbeille, le rangement des étagères, des chaussons, le soin des plantes, la distribution des documents… Les tâches sont alors redistribuées pour la semaine suivante. Pas de tire aux flancs, chaque enfant semble satisfait d’être utile à la collectivité.

À la Prairie, la démocratie transpire à chaque instant. Coline, qui se ballade dans la classe, tout en écoutant ce qui se trame, explique avec le plus grand naturel les étranges règles de cette étrange école : « chaque semaine, on fait un conseil de classe et dans le cahier du conseil on note les félicitations et les propositions d’un côté, les blâmes et les critiques de l’autre ». Du haut de ses 10 ans, Coline maîtrise déjà parfaitement les jeux démocratiques institutionnalisés à la Prairie. Le but : former les enfants aux débats collectifs, les aider à prendre de la distance face aux conflits, tout en dépassant le nombrilisme.
« Il existe aussi un conseil spécial, où tout le monde vote pour l’acquisitions des ceintures de comportement. Plus on a des ceintures, comme pour le judo, plus on a de l’autonomie, des responsabilités », rappelle l’instituteur.
Jean-pierre Quayret a aussi mis en place un marché particulier dans sa classe. Tous les vendredis, les enfants peuvent vendre et acheter des objets, pâtisseries ou livres, tout cela en monnaie intérieure, appelée « les blabillons », une monnaie non spéculative. Une fiche de travail réussie, c’est entre 1 et 3 blabillons, un bavardage, c’est une amende de 1 blabillon. «  C’est une façon de relativiser la monnaie. C’est aussi un moyen d’échange », s’amuse l’enseignant.

Les élèves construisent la consigne
« Ce matin, on va écrire », annonce Amanda Larrive, institutrice de CE1. Pas d’angoisse, pas d’inquiétude sur le visage des élèves. Certains savent déjà écrire et lire, d’autres n’en sont pas là. Peu importe, « on prend les enfants où ils en sont, on respecte leur rythme », précise Claire Chatard, qui pour l’occasion est en soutien dans la classe. La maîtresse distribue une feuille avec quatre dessins de robots insolites. «  De quoi parle ce document ? On lève la main ! De robot affirme Eva. Il y a des phrases et des numéros. Il faut trouver le robot », rétorque Youri. Marius, le doigt bien haut prend la parole : « il y a des points d’interrogation. Ce sont des questions. En fait ce sont des devinettes ! ».

La deuxième partie de la séance engage les compétences d’écriture, et tous les enfants se donnent à cœur joie pour trouver un nom original à leur robot et en faire la description la plus précise. Amar, petit brun de 10 ans s’est fait aider, mais n’est pas peu fier de ses écrits : «  Roboboom est le seul qui n’a pas de ressort. Il est grand et blessé… ». Lorca répond : « c’est le numéro 3 ».

Amanda Larrive est satisfaite, chaque petit élève a avancé. «  On veut avant tout que les enfants acquièrent la méthode de recherche de l’information, plus que d’apprendre des connaissances qui ne font pas sens. Ce sont eux qui formalisent la consigne. Dans cet exercice, l’objectif est d’écrire 4 phrases. Ceux qui n’y parviennent pas peuvent demander l’aide des autres. Il n’y a pas de jugement. On fait appel en permanence à la coopération et à l’esprit de groupe pour valoriser chacun. »
À l’école Nouvelle de la Prairie, une des priorités consiste dans le respect de l’enfant, dans une utopie souvent oubliée : apprendre tout en étant heureux. 
Et si l’école devenait partout, cet oasis où le bonheur se vit, sans recherche de performance, d’efficacité ou de compétition. Un monde où chaque enfant prend le temps de s’épanouir et de devenir…

(1) OURY F. et VASQUEZ A., Vers une pédagogie institutionnelle, Paris, Maspéro, 1967


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