Avec près de 500 élèves, l’école
Nouvelle de la Prairie de Toulouse propose une pédagogie singulière aux
enfants, parents et enseignants. Créée en 1969 par Marie de Vals, élève de
Roger Cousinet, cette école privée sous contrat avec l’Éducation nationale jongle
avec les méthodes Freinet, Montessori, Oury… Il se fabrique ici une pédagogie
en perpétuelle évolution dans chaque classe et à chaque instant.
Roger Cousinet disait de
l’éducation nouvelle que « c’est un esprit pour l’éducateur et un mode de
vie pour les enfants ». Une définition qui en dit long sur la
philosophie qui parcours chaque moment d’enseignement de la petite section de
maternelle jusqu’à la fin du collège.
C’est lundi matin. Pour bien
démarrer la semaine, il faut d’abord raconter son week-end avec papa, le
dernier film visionné, ses petits soucis et ses grands bonheurs… « Quoi de
neuf ? c’est 30 mn pour raconter à la classe ce que l’on veut, et après
chacun peut se mettre au boulot. C’est immuable, précise Claire Chatard,
enseignante spécialisée. C’est le principe de la pédagogie
institutionnelle : installer un objet médiateur entre le prof et l’élève ».
Fernand Oury, un des fondateurs de cette approche la définissait comme « un
ensemble de techniques, d’organisations, de méthodes de travail, d’institutions
internes, nées de la praxis de classes actives. Elle place enfants et adultes
dans des situations nouvelles et variées qui requièrent de chacun, engagement
personnel, initiative, action, continuité »(1).
13h30, les enfants rentrent de la
cantine. Ça bavarde, ça s’agite. Jean-pierre Quayret, enseignant de CM2, prend
la parole pour annoncer le moment de la répartition
des « métiers ». Le silence se fait. Carnet en main, le ton est
sérieux. Visiblement, le moment n’est plus à la rigolade.
Répartition des « métiers »
« Ceux qui pensent que
le métier de distribution a été bien fait lèvent la main », demande l’instituteur.
Les mains se lèvent. Jean-pierre compte les votants. « Qui pensent que ce
métier n’a pas été bien fait durant la semaine ? ». Bastien ne se
démonte pas et argumente posément : « quand Kévin a distribué
les feuilles, il les a jetés comme ça… ». L’instituteur consigne
scrupuleusement les remarques des uns et des autres. Ainsi, sont passés en
revue toutes les tâches ou « métiers » effectués pendant la
semaine ; le ménage, la corbeille, le rangement des étagères, des
chaussons, le soin des plantes, la distribution des documents… Les tâches sont
alors redistribuées pour la semaine suivante. Pas de tire aux flancs, chaque
enfant semble satisfait d’être utile à la collectivité.
À la Prairie, la démocratie
transpire à chaque instant. Coline, qui se ballade dans la classe, tout en
écoutant ce qui se trame, explique avec le plus grand naturel les étranges
règles de cette étrange école : « chaque semaine, on fait un conseil
de classe et dans le cahier du conseil on note les félicitations et les
propositions d’un côté, les blâmes et les critiques de l’autre ». Du haut
de ses 10 ans, Coline maîtrise déjà parfaitement les jeux démocratiques
institutionnalisés à la Prairie. Le but : former les enfants aux débats
collectifs, les aider à prendre de la distance face aux conflits, tout en
dépassant le nombrilisme.
« Il existe aussi un conseil spécial, où tout le
monde vote pour l’acquisitions des ceintures de comportement. Plus on a des
ceintures, comme pour le judo, plus on a de l’autonomie, des responsabilités »,
rappelle l’instituteur.
Jean-pierre Quayret a aussi mis
en place un marché particulier dans sa classe. Tous les vendredis, les enfants
peuvent vendre et acheter des objets, pâtisseries ou livres, tout cela en
monnaie intérieure, appelée « les blabillons », une monnaie non
spéculative. Une fiche de travail réussie, c’est entre 1 et 3 blabillons, un
bavardage, c’est une amende de 1 blabillon. « C’est une façon de
relativiser la monnaie. C’est aussi un moyen d’échange », s’amuse
l’enseignant.
Les élèves construisent la consigne
« Ce matin, on va écrire »,
annonce Amanda Larrive, institutrice de CE1. Pas d’angoisse, pas d’inquiétude
sur le visage des élèves. Certains savent déjà écrire et lire, d’autres n’en
sont pas là. Peu importe, « on prend les enfants où ils en sont, on
respecte leur rythme », précise Claire Chatard, qui pour l’occasion est en
soutien dans la classe. La maîtresse distribue une feuille avec quatre dessins
de robots insolites. « De quoi parle ce document ? On lève la
main ! De robot affirme Eva. Il y a des phrases et des numéros. Il faut
trouver le robot », rétorque Youri. Marius, le doigt bien haut prend la
parole : « il y a des points d’interrogation. Ce sont des questions.
En fait ce sont des devinettes ! ».
La deuxième partie de la séance
engage les compétences d’écriture, et tous les enfants se donnent à cœur joie
pour trouver un nom original à leur robot et en faire la description la plus
précise. Amar, petit brun de 10 ans s’est fait aider, mais n’est pas peu fier
de ses écrits : « Roboboom est le seul qui n’a pas de ressort.
Il est grand et blessé… ». Lorca répond : « c’est le numéro 3 ».
Amanda Larrive est satisfaite,
chaque petit élève a avancé. « On veut avant tout que les enfants
acquièrent la méthode de recherche de l’information, plus que d’apprendre des
connaissances qui ne font pas sens. Ce sont eux qui formalisent la consigne.
Dans cet exercice, l’objectif est d’écrire 4 phrases. Ceux qui n’y parviennent
pas peuvent demander l’aide des autres. Il n’y a pas de jugement. On fait appel
en permanence à la coopération et à l’esprit de groupe pour valoriser chacun. »
À
l’école Nouvelle de la Prairie, une des priorités consiste dans le respect de
l’enfant, dans une utopie souvent oubliée : apprendre tout en étant
heureux.
Et si l’école devenait partout, cet oasis où le bonheur se vit, sans
recherche de performance, d’efficacité ou de compétition. Un monde où chaque
enfant prend le temps de s’épanouir et de devenir…
(1) OURY F. et
VASQUEZ A., Vers une pédagogie institutionnelle, Paris, Maspéro, 1967
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