mercredi 31 décembre 2014

L’écran et la vraie vie

Source

« Hâte-toi de bien vivre et songe que chaque jour est à lui seul une vie. »
Sénèque, Lettres à Lucilius.

Qu’est ce qu’un écran ? Selon le dictionnaire Larousse, entres autres, il s’agit de ce qui « Ce qui s'interpose, s'intercale et dissimule » ou encore de « Tout ce qui arrête le regard, qui dissimule, empêche de voir »[1].

Pourtant, la technologie est un outil intelligent, formidable, pratique, créatif, souple ; un support intéressant : il s’agit en cela d’une révolution, ou même d’un changement de civilisation, comme le suggérait Michel Serres, à propos de Petite Poucette[2]. Les savoirs sont démocratisés, accessibles ; nous avons accès à des bibliothèques entières, aux musées, à de la musique, à des cours universitaires, à des revues en ligne, à des archives, des encyclopédies, à la culture du monde entier… tout cela depuis notre écran. La communication et la vie quotidienne sont infiniment facilitées, tant d’un point de vue personnel que professionnel.

Mais il y  a un réel problème lorsque nous devenons dépendants et que nous sommes envahis par les écrans – car alors, nous ne les maîtrisons plus, nous devenons les esclaves d’une servitude volontaire. « Selon une étude britannique, 66% des utilisateurs de smartphones ressentent une souffrance s'ils doivent s'en passer »[3]. Les Smartphones ne seraient-ils pas nos nouvelles idoles ? Pour celles-ci, nous sommes prêts à bien des choses.

Ainsi ces adolescents (et même des adultes), ayant remplacé leur doudou par un Smartphone[4]. Les selfies – pratique narcissique au possible[5] – des adolescents ou jeunes adultes postés chaque jour. Le Smartphone est devenu un chapelet, un alter-ego, un autre nous, tant il est investi affectivement[6]. Ces adultes qui ne sont plus capables de partager un moment sans avoir recours à leur portable pour vérifier leurs mails. Ou ces personnes en visite dans un musée ou dans tout autre beau lieu, photographiant tout avec leur appareil, et répondant au téléphone[7]. Ou encore lorsque nous étalons notre vie privée tous les jours sur les réseaux sociaux, dans l’illusion d’avoir une quelconque reconnaissance ; tandis que vie privée et vie publique ne sont plus clairement délimitées. Et ces parents, toujours un Smartphone à la main, présents, mais si absents à leurs enfants[8]. Ou encore, ces enfants, que l’on met au lit avec une tablette... 

Et pourtant, l’indifférence grandit – comme le montrent ces vidéos, de plus en plus courantes, filmées à partir de Smartphones, montrant un accident ou une agression lors de laquelle personne n’intervient. De même, notre rapport au temps est bouleversé : nous sommes dans l’ère du « tout, tout de suite », de la réaction immédiate, car nous sommes en principe joignables partout, tout le temps. Ce rapport au temps, dans l’instantané, est une source de stress importante. Les cas de burn-out et de dépression sont démultipliés ces dernières années. Les technologies sont censées nous faire gagner du temps, mais elles nous en font perdre, car nous y passons trop d’heures. Une autre question importante est aussi de se demander qui contrôle ces médias, ces technologies, et quels sont les messages qui y sont véhiculés ? Le rapport que nous entretenons à l’information, qui ne laisse plus de place au recul, à la réflexion, à la vérification, est dangereux, car il y a risque de manipulation, de propagande – nous nous contentons du « prêt à penser », de la « pensée du zapping »[9]. De plus, nous souffrons de sur-information, de sur-sollicitation, dont nous ne parvenons pas à faire un tri. Il est intéressant de noter que les enfants des directeurs des sociétés high-tech américaines n’ont pas accès aux écrans et sont scolarisés dans des écoles Waldorf-Steiner[10], où est mise à l’œuvre une pédagogie traditionnelle. Par ailleurs, les neurosciences ont démontré qu’écrire sur du papier, et non à l’ordinateur, représentait un avantage cérébral important[11], le nombre de connexions neuronales étant démultiplié de façon exponentielle – ce phénomène accroissant entre autres créativité et mémoire.

L’écran, par essence virtuel, ne nous cacherait-il pas, tout simplement, de la vraie vie et de nous-mêmes ?

J’apprécie cette citation du poète Christian Bobin, dans laquelle  nous pourrions ajouter le Smartphone :
« J'ai toujours craint ceux qui ne supportent pas d'être seuls et demandent au couple, au travail, à l'amitié voire, même au diable ce que ni le couple, ni le travail, ni l'amitié ni le diable ne peuvent donner : une protection contre soi-même, une assurance de ne jamais avoir affaire à la vérité solitaire de sa propre vie. Ces gens-là sont infréquentables. Leur incapacité d'être seuls fait d'eux les personnes les plus seules au monde. »
L’épuisement

Comme pour tout, il est question de trouver un équilibre, de rester maître de son usage, de s’offrir des temps de pause ou même de retraite. Prenons, avant tout, le temps de vivre, loin des écrans. D’être présent, à nous-mêmes et aux autres. Reconnectons-nous plutôt à notre nature profonde, à notre cœur, et à la nature. Le bonheur est fait de choses simples : un bon livre, un repas partagé, une balade en foret, de la belle musique… C’est de tout cela dont nous nous souviendrons, et dont nos enfants se souviendront : des temps de qualité, de présence, de l'amour. Alors, nous sommes dans le cœur de la vie. Echappons-nous, car la vie n’attend pas.


mardi 30 décembre 2014

La joie de la simplicité


Source

La simplicité est une démarche philosophique, écologique, humaniste, voire spirituelle et poétique, qui prône un retour à l’essentiel. Elle est déjà présente chez des penseurs tels que Tolstoï, Ruskin ou encore Bergson. Il s’agit d’une véritable éthique, qui répond à la question du « comment doit-on vivre ? », recherchant les « vraies » richesses de la vie, telles que l’épanouissement personnel, la relation à la nature, etc. « Mieux que l’amour, l’argent, la gloire, donnez-moi la vérité. » demandait Thoreau.

Il nous est nécessaire de nous désencombrer, de privilégier l’être à l’avoir et le faire, les apparences, la superficialité, le gaspillage, qui nous emprisonnent et nous aliènent. Nous privilégions alors la valeur à la médiocrité, la beauté à la vulgarité, le bon sens naturel à l’absurdité et à la bêtise – car la simplicité n’est pas simplisme mais intelligence du vivant. Il s’agit d’un questionnement émancipateur, qui permet de distinguer les besoins réels des désirs d’accumulation, de remettre en question les préjugés de l’apparence, les mirages de la publicité et les tentations de la superficialité. Apprécions et remercions pour ce que nous avons, mais n’en soyons pas les prisonniers.
Il est essentiel de revoir notre rapport à la nature et aux objets, pour être dans une relation juste et bienveillante. Pour Thoreau, la nature est la source de morale, de sagesse spirituelle, et l’homme a tout à y gagner : en préservant la nature, il est aussi question aussi de préserver sa propre nature, sage et morale.
En favorisant l’être, je nourris donc, à moi-même et aux autres, des relations d’authenticité, d’empathie et de présence réelle. Dès lors, nous sommes alors dans la rencontre et la reconnaissance mutuelle.

Ce cheminement mène à l’autonomie, et permet de quitter les pensées de peur pour entrer dans la confiance. Alors, nous sommes libres, et nous connaissons l’abondance réelle, qui est richesse véritable, synonyme d’authenticité, de qualité, de beauté.  « Développe en toi l’indépendance à tout moment, avec bienveillance, simplicité et modestie. » conseillait Marc-Aurèle.

Quittant la frénésie systématique et esclavagisante de notre époque compulsivement  surfaite, nous nous recentrons, pour pratiquer l’agir juste au temps juste ; il s’agit de ne plus réagir sans réflexion, mais d’agir avec sagesse, justesse, douceur. Et parfois même, de pratiquer l’art de ne rien faire. La sieste, le repos, le silence et la solitude, la rêverie,  sont invités avec joie dans une vie de simplicité.

On peut également voir une opportunité pour la créativité : de peu, nous pouvons créer de grandes choses. Possibilité que nous n’avons plus lorsque nous sommes dans le tout prêt ou le tout fait – qu’il s’agisse d’objets ou de pensées, de réel ou d’imaginaire. Choisissons des objets – ou jouets – simples, nobles, naturels, qui nous correspondent vraiment. Choisissons des nourritures éveillant et embellissant notre conscience.

La simplicité offre aussi l’opportunité de l’émerveillement de toute chose : une abeille butinant, un rire d’enfant, le printemps revenant. L’émerveillement est étonnement et fraicheur de l’âme. Ainsi disait Barjavel : « Il ne suffit pas d'être en vie, il faut être vivant. C'est à dire savoir à chaque instant qu'on est au cœur d'un prodige et être en contact, en harmonie avec lui. Pourtant chacun de nous est au centre de tout, au milieu de l'univers entier. Chacun de nous possède les portes que le créateur (ou la nature, comme l'on voudra) lui a données pour y pénétrer. Mais nous oublions de les ouvrir. Pour ma part, je suis sans arrêt ébloui par le phénomène de la vie. »[1]

L’art de vivre simplement signifie aussi et surtout expérience poétique. Ainsi l’écrit Hölderlin : « l’homme vit sur la terre poétiquement. » Car la poésie a pour fonction de nous rendre voyants, conscients, et plus humains aussi. La poésie n’est-elle pas, après tout, le langage qui échappe aux conditionnements et aux règles, pour revenir, dans un éclair de simplicité, à la parole essentielle?

Nous terminerons par ce passage d’Edgar Morin, dans le sixième tome de La Méthode, qui résume parfaitement l’esprit de cet article :

« Vivre, c’est vivre poétiquement.
L’état poétique est un état de participation, communion, ferveur, amitié, amour qui embrase et transfigure la vie. Il fait vivre à grand feu dans la consumation (Bataille), et non à petit feu dans la consommation.
L’état poétique porte en lui la qualité de la vie, dont la qualité esthétique qu’il peut ressentir jusqu’à l’émerveillement devant le spectacle de la nature, un coucher de soleil, le vol d’une libellule, devant un regard, un visage, devant une œuvre d’art…
Il porte en lui l’expérience du sacré et de l’adoration, non dans le culte d’un dieu, mais dans l’amour de l’éphémère beauté.
Il porte en lui la participation au mystère du monde. »



[1] Interview de René BARJAVEL dans France-Soir Magazine du 13 octobre 1984 (n°12.493)

lundi 29 décembre 2014

Les rêveries de l’enfance

Chagall, Le Cantique des Cantiques

L’on associe souvent, avec raison, la rêverie à l’enfance. Nous avons en mémoire ces belles heures durant lesquelles nous rêvassions, un peu hors du temps, à tout et à rien, vagabondant en esprit dans un vaste monde invisible.

Généralement, dans le contexte de productivisme performant effréné que nous connaissons, le temps dévolu à la rêverie est perçu comme inutile ; les expressions telles que « être dans les nuages » ou « être dans la lune », couramment utilisées pour désigner l’état du rêveur font référence à l’astre nocturne, aux éléments air et eau, liés, dans la psychanalyse jungienne, à l’inconscient, à l’intériorité, à ce qui est caché.

Et pourtant, cette rêverie, phénomène naturel, est pleinement active, voire  bouillonnante ; elle entretient des liens étroits avec l’imagination, l’imaginaire, la confiance, la créativité ; en cela, elle est la matrice même de toute fiction. Elle n’est pas négation ou fuite du réel, mais une certaine approche de la réalité qui ose la défier et la dépasser. La rêverie nourrit la pensée dirigée et consciente, enrichit l’activité mentale, et ancre même les apprentissages. Elle offre un espace infini de liberté, sans limites ni contraintes, apprivoisant les ailes de la solitude, et la rendant féconde. Mais il s’agit aussi d’un espace de jeu créé à partir d’images, un jeu libre et vivant. 

La rêverie fait partie intégrante d’une éducation de l’être : elle ouvre une porte vers soi, vers son potentiel et sa conscience, dès lors émerveillée de sa grandeur et de son immensité. Il s’agit d’une voie autonome vers soi, d’une voie spirituelle, reliant méditation et contemplation, en quête de soi.

Mais la rêverie n’est pas l’apanage de l’enfant : en grandissant, nous continuons à rêvasser, c’est à dire à penser de façon non dirigée, notamment lors d’actions mécaniques. La vie ne serait-elle pas bien monotone, sans rêverie ? Mais plus profondément: celui qui a su grandir sans cesser de rêver est un être qui ne vieillit pas, toujours relié à sa source d’enfance. Il aura les ressources pour dépasser les conflits, les désillusions, la désespérance.

Bachelard a développé (et rêvé) une poétique de la rêverie : « L'enfant se sent fils du cosmos quand le monde humain lui laisse la paix. Et c'est ainsi que dans ses solitudes, dès qu'il est maître de ses rêveries, l'enfant connaît le bonheur de rêver qui sera plus tard le bonheur des poètes. » 

Mais en fait, bonheur de tout être conscient, qui vit et crée pleinement son existence, se nourrissant à sa source – la rêverie est alors rempart contre, et échappe à l’indifférence, l’ennui, la lassitude, l’inertie ; elle participe à l’équilibre psychique, accroit la sensibilité, la beauté - et la vie elle-même. C’est un geste d’enfance que d’avoir l’audace de vivre pour la beauté du geste, pour la beauté de l’existence. Pour Bachelard, « La rêverie poétique nous donne le monde des mondes. »




mardi 23 décembre 2014

Avec une infinie tendresse

Source

La tendresse est une qualité de présence : une qualité de regard, d’écoute, de contact – ou même de silence. La tendresse s’offre souvent délicatement, par un sourire ou une caresse, ou par une étreinte : elle s’inscrit toujours dans la rencontre confiante du corps. Par un geste, j’ouvre une porte de mon cœur vers un autre cœur : de corps à cœur, d’âme à âme. En cela, elle est aussi contemplation active. Par la tendresse, dans ce présent, je crée un instant d’éternité – un espace temps hors de portée de la course effrénée menée par tous, une respiration rafraichissante.

En grec, tendresse se dit storgê, (tendre vers, aller vers) et signifie amour qui ne prend pas, qui accueille, qui consolide ; car la tendresse fait le choix d’aimer inconditionnellement, et d’offrir sa douceur sans attente, même si cela lui apporte souvent la gratitude.

Lorsqu’elle est destinée à soi, la tendresse mène à la confiance en soi, à l’estime de soi, à l’amour de soi. Soyons tendres avec nous-mêmes, nos vulnérabilités et avec notre enfant intérieur. La tendresse est besoin vital : qu’elle manque, et nous nous asséchons, nous dépérissons, nous sommes affamés. Mais que de douceur en sa présence nourrissante et guérisseuse.

Mais la tendresse est aussi un engagement profond dans la relation qui nous unit à l’autre, aux autres, au monde. Elle n’est pas mièvrerie, mais bien au contraire, force et puissance : elle ignore la peur, la dureté et la superficialité, et refuse plus encore l’indifférence. Sans celle-ci, aucun lien ne peut durer. La tendresse est profondeur et courage ; elle confère humanité, prenant le risque véritable de la rencontre, comme une invitation – laissant l’autre libre de l’accepter ou non, et l’accueillant avec empathie lorsqu’il expérimente sa propre fragilité ou des émotions violentes.

Et que dire de l’infinie tendresse avec laquelle nous devrions accompagner nos enfants ? La première tendresse dont nous faisons l’expérience est celle de la mère pour son nourrisson, qui rassure, console et berce des mois, des années durant. Nous grandissons en bienveillance et en sécurité, car elle nous offre un solide soutien et nous aide à croitre en autonomie et émancipation.


La tendresse est le langage privilégié du monde : regardons bien, et nous verrons les milliers de témoignages de tendresse offerts comme autant de grâces qui parsèment nos vies. Il suffit d’ouvrir ses yeux et surtout son cœur, car la vie est généreuse : tout est présent. « L’amour, ce n’est pas faire des choses extraordinaires, héroïques, mais de faire des choses ordinaires avec tendresse » a écrit Jean Vanier ; la tendresse exige vérité nue, humilité et simplicité. Et il y a fort à parier que c’est la tendresse qui, jour après jour, sauve le monde.

La socialisation en question

Source

La socialisation, selon le dictionnaire Larousse, se définit comme le « processus par lequel l'enfant intériorise les divers éléments de la culture environnante (valeurs, normes, codes symboliques et règles de conduite) et s'intègre dans la vie sociale. » Mais il est révélateur que ce terme corresponde aussi, entre autres, à la « collectivisation des moyens de production et d'échange, des sources d'énergie, du crédit, etc. » 


S’adapter, mais à quelle société, à quelles conditions ?

« Socialiser » se fait naturellement : au cœur du cercle familial, amical, et plus encore. Il s’agit de l’élan naturel et instinctif de l’homme à aller à la rencontre de l’autre. Mais nous ne parlons plus de socialisation naturelle lorsque celle-ci devient institution, obligation, ordre émis, dont les intentions sont douteuses. Pour quelles raisons veut-on socialiser à tout prix?

Autrefois, le discours officiel parlait de « civiliser » ou de  « faire œuvre de civilisation » : nous ne nous situons pas dans une perspective différente aujourd’hui. La socialisation est toujours l’apanage du pouvoir, et aujourd’hui, d’une société inégalitaire, indifférente, consumériste, en polycrise (et surtout en crise de sens). Elle socialise en produisant des individus dépendants, infantilisés, qui entretiennent des relations de pouvoir et d’ego, comme ils l’ont si bien appris en se « socialisant », dans un contexte de peur et de violence, en gardant le contrôle sur tous – à des fins de rentabilisation et de déshumanisation.

Comme le dit Krishnamurti, s’adapter à une société malade n’est pas un signe de bonne santé mentale. 

Par ailleurs, n’est ce pas aussi un prétexte pour rassembler de façon pratique les enfants,  les enfermant toute la journée dans un espace restreint[1] ? Sous prétexte d’efficacité dans les apprentissages, les enfants sont aussi  préparés au conditionnement, à la norme commune, et bien entendu aux rapports de domination, l’école devenant comme ailleurs le lieu de la lutte des egos pour enfin « exister ».

On a coutume d’opposer la socialisation à l’individualisation, sous prétexte que si l’enfant n’est pas socialisé, il sera égocentrique, égoïste, inadapté, incapable, mais c’est tout à fait l’inverse qui se produit : ayant toujours été obligé de s’ignorer et de ne pas s’écouter pour s’adapter et obéir au plus grand nombre, l’individu ne sait pas qui il est, il est alors influençable et fragile, et donc plus égocentrique.
Car cette « socialisation » forcée n’est pas sans conséquence pour les enfants : perte d’estime de soi, perte de confiance, peur de l’échec, du rejet, etc. Cela va de pair avec une anesthésie des consciences, de la créativité, et de la réflexion critique, un mépris des différences individuelles, du potentiel unique de chacun. Naturellement, certaines personnes sont plus introverties que d’autres, certaines ont le goût de la solitude ; or, ce droit ne leur est pas accordé – elles sont même alors suspectes !

Par ailleurs, n’est ce pas justement en forçant un processus de socialisation que l’on prend le risque de rendre asocial un individu ? Abîmé, ce dernier est mis au ban de la société, dans sa différence, pour avoir osé ne pas se soumettre au dogme. Asociaux, en vérité, nous le sommes tous, fondamentalement, car qui peut vraiment s’adapter à de telles normes et en être heureux ?

En fin de compte, ne parlons nous pas, dès lors, d’un mythe ? Nous sommes dans l’ordre  du récit imaginaire et de la croyance collective.


Une nouvelle définition de la socialisation : la reliance, pour un vivre ensemble authentique

La socialisation est donc un processus naturel : il s’agit d’aller à la rencontre de l’autre. Si nous accompagnons l’enfant de manière libre et autonome, cela se fait dans le respect de chacun, et des rythmes de chacun.
Si nous quittons nos habitudes de domination et de pouvoir et choisissons de nourrir des relations de bienveillance et de non-violence, alors nous pourrons vraiment parler de coopération, de co-création, de communauté, de solidarité. Alors, nous nous sentirons reliés aux autres, au vivant même, et par là responsables de tous. Voilà le sens d’une réelle socialisation : se sentir reliés les uns aux autres, tout en respectant le caractère unique de chacun ; il n’y a alors plus de compétition ou de lutte, mais partage et complémentarité.

Le cerveau, tout comme la vie sur terre, fonctionne sur des modèles de réseaux. Vivre signifie déjà intégrer des réseaux : famille, culture, ville, pays... réels ou entités virtuelles. Entrer en relation – avec un être humain, un animal ou un végétal, signifie aussi créer ou entrer dans de nouveaux réseaux, qui sont tous en interaction et interconnectés, d’une manière ou d’une autre, via une relation dialogique permanente. Bien que les neurosciences ou la physique quantique permettent aujourd’hui de mieux comprendre ces processus, nos connaissances sont encore lacunaires.

Reliance en soi avant tout, afin de reconnecter et rassembler tout nos parts – parfois contradictoires - en une unité, elle-même reliée au vivant. L’homme est par nature à la fois égocentrique et altruiste, homo sapiens et homo démens (Morin). Il est plus sage d’inclure toutes ces parties sans les juger, d’apprendre à vivre avec et de faire de son mieux. Maîtriser notre égocentrisme, notre égoïsme, cultiver notre altruisme, notre reliance. Nous devons vivre avec nos défauts, avec nos contradictions multiples, et en tirer le meilleur (le plus sage) parti. Edgar Morin parle à ce propos d’apprivoiser la « barbarie intérieure » de l’homme par une auto-éthique développée à partir de diverses composantes telles que l’auto-examen, l’autocritique, l’honneur, la tolérance, la lutte contre la « moraline » (Nietzsche), etc.

Selon Antonella Verdiani, dans son étymologie sanskrite, la reliance est également proche de la joie : la racine en est yuj, soit «l’union de l'âme individuelle avec l'esprit universel». De la joie individuelle dépend donc la joie universelle ; pour Spinoza, «La joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. »

Aujourd’hui, nous sommes invités, plus que jamais, à construire un mode de vie basé sur plus d’authenticité et de coopération, et peut-être plus proche aussi de la
vérité : une vie plus juste et authentique n’est-elle pas une vie plus vraie ? « Ce sentiment divin s’appellerait alors – humanité ! » écrivait Nietzsche.



[1] L’espace vital d’un chien dans un enclos est de 5m2, d’un poulet élevé en bio de 4m2, tandis que pour pour un enfant scolarisé en maternelle, une recommandation de 60 m2 pour 30 élèves, soit moins de 2 m2 par enfant, auquel on doit ajouter un enseignant et un Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) (Source).

vendredi 19 décembre 2014

Avons-nous vraiment besoin de noter et de contrôler?


Source

  • Les notes prennent en otage les apprentissages

Lorsque nous utilisons les notes et les contrôles, nous créons une fausse motivation : non pas celle d’apprendre ou de comprendre, mais de faire le nécessaire pour un examen – ce nécessaire allant jusqu’à tricher parfois. Il ne restera ensuite que peu de choses de cet enseignement. Les notes ne reflètent donc aucunement les connaissances et compétences d’un élève ; elles ne sont donc pas fiables. Qu’il s’agisse de chiffres, de gommettes, ou encore de couleurs, le problème reste le même : on utilise toujours une carotte (et un bâton) au lieu d’encourager l’apprentissage pour l’apprentissage et de favoriser l’enthousiasme naturel des enfants à apprendre. Qu’il s’agisse d’une « évaluation », celle-ci est en réalité un contrôle déguisé.

Sur un autre plan, un système basé sur la notation et le contrôle est donc basé sur le jugement, la comparaison, le classement et la performance. Cela signifie que ce système est source de stress, d’angoisse, de dévalorisation, car alors, notre valeur est donnée par notre note. Durant nos années de scolarisation, notre principale identité est celle de l’élève, aussi les notes deviennent un repère identitaire important pour notre entourage. Le bon élève est donc celui qui est bien soumis, sage, assis sans bouger, et qui récite le mieux ses leçons. Qu’apprend alors l’enfant ? Que l’estime de soi et l’amour sont soumis à la reconnaissance, aux attentes et aux conditions des adultes, dans un climat de peur de l’échec.
Ainsi, engendrant des catégories, ce système est un facteur de discrimination, de dépendance. On tente désespérément de chiffrer ce qui n’est pas de l’ordre du quantifiable, dans cette obsession de maîtrise et de manque de confiance.

Par ailleurs, nous ne pouvons plus nous permettre de croire aujourd’hui qu’avoir de bonnes notes est suffisant et garantit d’une « belle vie », de réussite et de carrière professionnelle. L’école a été créée sur le modèle économique pour répondre à des impératifs économiques : elle est l’outil d’une idéologie qui assujettit l’humain et la vie. L’école de l’Etat est en réalité l’école des dominants - grandes entreprises et des banques, l’école du pouvoir et du profit à tout prix. L’école est l’instrument privilégié de l’inconscience, de la déresponsabilisation, de l’obéissance, de la passivité et de l’infantilisation. Or, aujourd’hui nous prenons conscience de la folie de ce système, de ses conséquences dramatiques, à tous points de vue : ce système met en danger notre vie et celle de la planète et des écosystèmes.


  • La confiance et l’amour pour guides

Aujourd’hui, nous pouvons tout simplement quitter ce système de peur, de contrôle et de notes pour enfin faire confiance, et accompagner nos enfants dans une relation basée sur un tout autre paradigme : confiance, accompagnement, bienveillance. Il faut sans doute accepter et respecter que les apprentissages des enfants nous échappent, et que si nous interférons sans y être invités, nous prenons le risque de les freiner. Nous pouvons partager leurs découvertes, leur proposer des outils et du matériel, dans la joie et l’enthousiasme. Apprendre est naturel, nous apprenons ce dont nous avons besoin lorsque l’occasion se présente, tout simplement. L’éducation n’a pas besoin de pédagogie, mais de bon sens, de présence, d’écoute et d’empathie. L’éducation n’a pas besoin de notes, de reconnaissance, de peur, ni de maîtres. Nous apprenons comme nous respirons. Dans cette perspective, apprendre est une joie, un accomplissement, en plus d’être utile, pour construire un monde meilleur. On récolte ce que l’on sème…


« Il est à la fois vrai et trompeur de dire que les enfants veulent apprendre. Oui, ils veulent apprendre, mais de la même manière qu’ils veulent respirer. »

John Holt

De l’instruction à l’éducation

Source

"La portée cosmique de la crise que nous traversons. C'est l'avenir de la complexité à son plus haut niveau, l'intelligence, la conscience, la créativité artistique, qui se joue aujourd'hui sur notre planète."
Hubert Reeves

L’instruction signifie l’acquisition de compétences, comme apprendre à lire, à écrire, à compter par exemple – il s’agit de la « transmission » d’un savoir, d’un savoir-faire, pratique et utile.
Toutefois, et malheureusement, cette instruction, délivrée par l’éducation nationale, paraît anachronique, obsolète, déconnectée des besoins de la vie réelle, en plus d’être cloisonnée et morcelée en disciplines abstraites. L’école, dans son obsession du modèle unique appliquée à tous, s’est noyée dans la pédagogie et le poids de l’administratif. Les élèves y sont passifs, soumis, notés et contrôlés, dans un système abstrait et théorique. De plus, certaines études ont démontré que plus de 60% des connaissances des élèves ne provenaient pas de l’école. 
Certes, nous avons « appris » des choses, mais qu’avons-nous vraiment « compris » ? 

L’importance toujours plus grande de l’instruction en famille a permis de comprendre à nouveau combien l’enfant, laissé libre dans ses apprentissages, était actif, créateur, et qu’il n’avait pas besoin de motivation, ni d’un cadre rigide, de contrôles et de notes. Il relie naturellement tous les savoirs, et sa connaissance fait sens, car elle est vécue et expérimentée à partir du réel, des besoins et envies de la vie quotidienne.

Mais il va de soi que l’instruction seule ne suffit pas, elle n’est pas une fin en soi et doit être un tremplin vers l’éducation. Car c’est l’éducation qui humanise : elle permet à chacun de se créer, d’œuvrer à la construction de soi, du sens de sa vie et de ses valeurs. Chacun découvre alors son intégrité, afin de vivre d’une vie pleine et authentique.
L’éducation pose aussi la question du « comment doit-on vivre ? » initiée par Socrate ; il s’agit de l’éthique, qui passant du JE au NOUS, reliant l’individu à la communauté. Chacun est alors en mesure d’apporter un changement notable à la société. 

L’éducation, dans sa plus noble tâche, mène chacun à découvrir la pensée critique, la réflexion, le questionnement, la conscience, la culture, la sagesse, l’empathie, la créativité. Voilà ce que nous devrions apprendre en priorité – notamment à l’aide de la philosophie, des arts, de l’éducation physique et émotionnelle, mais surtout à l’aide de la vie et de ses expériences.

Elle est abondance, et non austérité.
Elle est accomplissement, et non ébauche.
Elle est amour, et non indifférence.
Elle est autonomie, et non assujettissement.
Elle est bienveillance, et non laxisme ou malveillance.
Elle est bonheur, et non angoisse.
Elle est célébration, et non rabaissement.
Elle est cheminement, et non fin.
Elle est confiance et encouragement, et non crainte et peur.
Elle est conscience, et non folie.
Elle est créativité, et non répétition.
Elle est dépassement, et non stagnation.
Elle est émerveillement et joie, et non désillusion et chagrin.
Elle est empathie, et non antipathie.
Elle est enthousiasme, et non anesthésie.
Elle est épanouissement, et non échec ou même réussite.
Elle est être, et non avoir.
Elle est intériorité, et non imposition.
Elle est intuition, et non déduction.
Elle est jouissance, et non privation.
Elle est liberté et libération, et non aliénation et servitude.
Elle est lumière, et non obscurité.
Elle est maïeutique, et non dépendance.
Elle est métamorphose, et non permanence.
Elle est ouverte, et non fermée.
Elle est passion, et non ennui.
Elle est possibilité, et non restriction.
Elle est praxis, et non théorie abstraite.
Elle est présence, et non insensibilité.
Elle est profondeur, et non superficialité.
Elle est qualitative, et non quantitative.
Elle est questions, et non certitudes.
Elle est reliance, et non cloisonnement.
Elle est responsabilité, et non bêtise.
Elle est sagesse, et non dogme.
Elle est sens, et non absurdité.
Elle est unique, et non conforme.  
Elle est valeur et estime, et non humiliation et dévalorisation.
Elle est vivante, et non sclérosante.


jeudi 18 décembre 2014

Les plus beaux cadeaux n’ont pas de prix

Source

En cette période en particulier – souvent synonyme de frénésie consumériste, il est bon de se rappeler que ce dont nos enfants se souviendront, ce ne sont pas nos cadeaux, mais notre présence et notre amour pour eux. Nous avons encore en mémoire des moments de tendresse, des moments partagés, mais pas forcément les cadeaux que nous avions reçus pour les fêtes ou les anniversaires. Célébrer, partager, ne signifie pas consommer, fondamentalement. 

Il arrive aussi que les cadeaux cachent autre chose : combler un vide émotionnel, une précarité que nous avons vécue, ou encore, lorsque nous sommes en compétition avec d'autres, pour nous donner le plus d'importance. Les cadeaux sont souvent présentés comme conditionnels, comme le montre le fameux « as-tu été sage cette année, sinon… », sous-entendant le mérite, le chantage, ou encore la soumission et la menace.
Comme le dit Catherine Dumonteil Kremer : « Pour un enfant l'injonction "Sois sage!" signifie le plus souvent "Fais de ton mieux pour convenir aux adultes et ne pas poser de problème". Un enfant sage se soumet..." »
Il est intéressant de se pencher sur cette possibilité, afin que notre cadeau ne soit pas en réalité un cadeau empoisonné…

Allons plutôt à contre-courant de cette idée de consommation, pour donner une réelle valeur à nos cadeaux. Qu’ils soient en quelque sorte un symbole – choisi soigneusement -  de la relation qui nous lie à la personne à qui nous souhaitons l’offrir. Un cadeau, c’est aussi une rencontre avec l’autre ; c’est le don qui importe, et non le cadeau en lui-même ; c’est la qualité qui prime, et non la quantité.

Privilégions des ateliers créatifs, des promenades, des visites de lieux, bref, de la créativité, de l’inventivité, des moments, des expériences à vivre ensemble. Dans cette idée, afin de nourrir le contact des enfants avec la nature, l'initiative britannique "50 Things to do before you're 11 ¾" propose des idées d'activités - traduites sur le site Super Parents, telles que  faire de la trompette avec une herbe[1], faire du camping en pleine nature, faire un bateau en papier, faire une promenade la nuit avec une lampe de poche, découvrir des formes en regardant les nuages, etc. Non seulement, ces activités nourrissent le lien parent enfant, mais en plus, elle apportent joie, humilité, et émerveillement.

Et pour le matériel, pensons aux cadeaux qui font sens : des cadeaux de récupération, des cadeaux faits maison, des cadeaux écologiques et/ou éthiques et/ou solidaires provenant de chez des artisans ou de petites entreprises eco-responsables.

Alors, offrons des cadeaux qui ont du sens, de la valeur - et le plus souvent, les plus beaux cadeaux sont sans prix - offrons du temps, des moments de présence –  présent est  synonyme de cadeau, et ce n’est pas un hasard. Choisissons l’être à l’avoir, la qualité à la  quantité… Célébrons, partageons, rions, vivons !

vendredi 12 décembre 2014

Want to be happy? Be grateful



"Une vie de gratitude, voilà ce qu'il faut. Et comment peut-on vivre avec gratitude ?En vivant, en devenant conscient que chaque instant est un moment donné, comme on dit. C'est un cadeau. Vous ne l'avez pas gagné. Vous ne l'avez provoqué en aucune façon. Vous n'avez aucun moyen de vous assurer qu'un autre moment vous sera donné, et pourtant, c'est la chose la plus précieuse qui puisse jamais vous être donnée, ce moment, avec toutes les opportunités qu'il contient. (...) 

Mais quoi que ce soit, si on saisit cette occasion, on y va, on est créatif, les personnes créatives sont comme ça, et ce petit « S'arrêter, regarder, avancer » est une graine si puissante qu'elle peut révolutionner notre monde. Parce qu'on en a besoin, on est aujourd'hui au milieu d'un changement de conscience, et vous serez surpris si vous -- je suis toujours surpris quand j'entends combien de fois ces mots de « reconnaissance » et de « gratitude » apparaissent. Partout vous le trouvez, une compagnie reconnaissante, un remerciement au restaurant, un remerciement au café, un vin qui est gratitude. Oui, je suis même tombé sur du papier toilette dont la marque est "Merci". (Rires) Il y a une vague de gratitude parce que les gens prennent conscience combien c'est important et comment cela peut changer notre monde. Cela peut changer notre monde de façon extrêmement importante, parce que si vous êtes reconnaissant, vous n'avez pas peur, et si vous n'avez pas peur, vous n'êtes pas violent. Si vous êtes reconnaissant, vous agissez avec le sentiment qu'il y a assez, et pas avec un sentiment de manque, et vous êtes prêt à partager. Si vous êtes reconnaissant, vous appréciez les différences entre les gens, et vous êtes respectueux envers tout le monde, et cela change cette pyramide de pouvoir dans laquelle nous vivons."

Lâcher prise, quitter le contrôle pour la confiance

Source

« Il ne faut pas demander que les événements arrivent comme tu le veux, mais il faut les vouloir comme ils arrivent ; ainsi ta vie sera heureuse. »
Epictète, Le Manuel


Quitter l’illusion du contrôle

Dans de nombreuses situations, au quotidien, et notamment avec nos enfants, nous nous cachons parfois derrière des principes pour perpétrer une relation de domination et de contrôle. Au nom de ces principes, qui ne sont rien de plus que des croyances forgées au fil de notre histoire, nous créons des luttes de pouvoir avec nos enfants, desquels nous voulons à tout prix sortir victorieux.
C’est à notre mental et notre ego que nous sommes alors soumis, cet ego qui nous répète fièrement que tout nous est du, qui nous rappelle nos peurs, que nous pouvons tout contrôler selon nos souhaits. Il s’agit d’une fausse croyance, d’une illusion. Il est complètement illusoire de penser que nous sommes en mesure de tout contrôler – c’est un refus de la réalité. Que de stress et d’anxiété, et que de déceptions, de souffrances et de désillusions en préparation ! L’ego est certes utile dans notre processus d’individualisation, mais doit aussi être maîtrisé.

Un exemple concret : notre enfant ne veut pas dire merci alors que nous lui donnons quelque chose. Nous estimons que ce merci nous est du, que c’est un « mot magique »,  que la politesse est la moindre des choses, et que si nécessaire, nous allons punir, ou même reprendre l’objet donné. Nous avons tous assisté à ce genre de scène, si nous ne l’avons vécu personnellement. Mais que se passe t’il alors ? L’enfant se braque, incapable de dire merci, l’adulte se fâche et entre dans une spirale de colère ; l’enfant finit souvent par être émotionnellement débordé et comprendre que le don est soumis à condition et au chantage. Il apprend la politesse de manière artificielle, car nous avons faussé l’apprentissage de l’expression naturelle de la gratitude et la possibilité de la vivre spontanément.
De notre côté, nous ne savons même pas pourquoi, précisément, nous réclamons ce droit à la politesse, si ce n’est que sans doute, nous avons vécu enfant cette même situation, et nous avons alors forgé la croyance et le réflexe selon lesquels l’adulte « a droit à la politesse. » Il y a bien souvent, à l’origine de celle-ci une blessure ou une frustration d’enfance : souvenons-nous de ce que nous avions alors ressenti : la fermeture, la soumission, la honte, la culpabilité,…

Et en tant qu’adultes aujourd’hui : prenons-nous la peine de remercier les enfants spontanément ? Avons-nous conscience des cadeaux qu’ils nous font ? Notre attitude générale est-elle empreinte de gratitude ? Et s’il y existait une autre manière de nourrir la politesse, et plus profondément la gratitude ? Celle qui vient du cœur, et qui n’obéit pas à un ordre ? Oui : cela commence par un pas vers le lâcher prise pour cheminer vers la confiance.


Lâcher prise, fondement de la confiance

Lorsque je choisis de me responsabiliser vis à vis de mes croyances, de les remettre en question, je me rends compte qu’elles ne valent pas grand chose, si ce n’est qu’elles légitiment, de génération en génération, le pouvoir de l’adulte sur l’enfant (ou de l’adulte sur un autre adulte) – force est de constater que notre culture occidentale fonctionne de la sorte. Une croyance n’est finalement qu’une pensée dont nous avons l’habitude ; il est donc tout à fait possible de changer de croyance, à l’aide de prises de conscience, et de changer de système de pensée, en quittant son conditionnement.

Nous avons le choix. Nous pouvons décider de lâcher prise avec nos croyances fondées sur la peur et le contrôle, de ne plus leur donner d’importance. Lorsque nous ne nourrissons plus une croyance, elle perd sa légitimité, elle peut alors être remplacée par une autre croyance, plus épanouissante. 

Si je choisissais un tout autre angle de vue ? Tout est une question de regard. Si j’osais faire confiance à mon enfant, si j’osais me faire confiance, avec la certitude que tout ira bien? Si j’accueillais les événements, les expériences comme des opportunités ? Si j’acceptais ce qui ne peut être changé, comme l’affirmait John Locke en écrivant qu’il était nécessaire de « cesser de combattre ce qu'on ne peut changer ». 
Le lâcher prise ne signifie pas le renoncement, le laxisme ou le chaos : même si le principe semble simple, il s’agit d’un processus exigeant. Ceci est valable tant pour moi-même, que pour mes relations : j’abandonne mes projections idéales, celles qui me sabotent et me culpabilisent de ne pas être à la hauteur, pour accueillir ce qui est, ce que je suis, me responsabiliser et insuffler des changements positifs. Je m’adapte, et je maîtrise lorsque je gère une situation d’opposition de manière bienveillante et empathique. Alors, chacun est gagnant car respecté, et cela contribue à nourrir des relations aimantes et confiantes.

J’offre ainsi la possibilité à mon enfant de se respecter, de vivre à son rythme, de nourrir sa confiance et son estime de lui, de favoriser son autonomie, sa responsabilisation. Mon rôle est celui d’un accompagnant bienveillant, présent, patient, authentique, empathique, qui offre son soutien lorsque l’enfant le demande, qui observe et écoute.