mardi 23 décembre 2014

La socialisation en question

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La socialisation, selon le dictionnaire Larousse, se définit comme le « processus par lequel l'enfant intériorise les divers éléments de la culture environnante (valeurs, normes, codes symboliques et règles de conduite) et s'intègre dans la vie sociale. » Mais il est révélateur que ce terme corresponde aussi, entre autres, à la « collectivisation des moyens de production et d'échange, des sources d'énergie, du crédit, etc. » 


S’adapter, mais à quelle société, à quelles conditions ?

« Socialiser » se fait naturellement : au cœur du cercle familial, amical, et plus encore. Il s’agit de l’élan naturel et instinctif de l’homme à aller à la rencontre de l’autre. Mais nous ne parlons plus de socialisation naturelle lorsque celle-ci devient institution, obligation, ordre émis, dont les intentions sont douteuses. Pour quelles raisons veut-on socialiser à tout prix?

Autrefois, le discours officiel parlait de « civiliser » ou de  « faire œuvre de civilisation » : nous ne nous situons pas dans une perspective différente aujourd’hui. La socialisation est toujours l’apanage du pouvoir, et aujourd’hui, d’une société inégalitaire, indifférente, consumériste, en polycrise (et surtout en crise de sens). Elle socialise en produisant des individus dépendants, infantilisés, qui entretiennent des relations de pouvoir et d’ego, comme ils l’ont si bien appris en se « socialisant », dans un contexte de peur et de violence, en gardant le contrôle sur tous – à des fins de rentabilisation et de déshumanisation.

Comme le dit Krishnamurti, s’adapter à une société malade n’est pas un signe de bonne santé mentale. 

Par ailleurs, n’est ce pas aussi un prétexte pour rassembler de façon pratique les enfants,  les enfermant toute la journée dans un espace restreint[1] ? Sous prétexte d’efficacité dans les apprentissages, les enfants sont aussi  préparés au conditionnement, à la norme commune, et bien entendu aux rapports de domination, l’école devenant comme ailleurs le lieu de la lutte des egos pour enfin « exister ».

On a coutume d’opposer la socialisation à l’individualisation, sous prétexte que si l’enfant n’est pas socialisé, il sera égocentrique, égoïste, inadapté, incapable, mais c’est tout à fait l’inverse qui se produit : ayant toujours été obligé de s’ignorer et de ne pas s’écouter pour s’adapter et obéir au plus grand nombre, l’individu ne sait pas qui il est, il est alors influençable et fragile, et donc plus égocentrique.
Car cette « socialisation » forcée n’est pas sans conséquence pour les enfants : perte d’estime de soi, perte de confiance, peur de l’échec, du rejet, etc. Cela va de pair avec une anesthésie des consciences, de la créativité, et de la réflexion critique, un mépris des différences individuelles, du potentiel unique de chacun. Naturellement, certaines personnes sont plus introverties que d’autres, certaines ont le goût de la solitude ; or, ce droit ne leur est pas accordé – elles sont même alors suspectes !

Par ailleurs, n’est ce pas justement en forçant un processus de socialisation que l’on prend le risque de rendre asocial un individu ? Abîmé, ce dernier est mis au ban de la société, dans sa différence, pour avoir osé ne pas se soumettre au dogme. Asociaux, en vérité, nous le sommes tous, fondamentalement, car qui peut vraiment s’adapter à de telles normes et en être heureux ?

En fin de compte, ne parlons nous pas, dès lors, d’un mythe ? Nous sommes dans l’ordre  du récit imaginaire et de la croyance collective.


Une nouvelle définition de la socialisation : la reliance, pour un vivre ensemble authentique

La socialisation est donc un processus naturel : il s’agit d’aller à la rencontre de l’autre. Si nous accompagnons l’enfant de manière libre et autonome, cela se fait dans le respect de chacun, et des rythmes de chacun.
Si nous quittons nos habitudes de domination et de pouvoir et choisissons de nourrir des relations de bienveillance et de non-violence, alors nous pourrons vraiment parler de coopération, de co-création, de communauté, de solidarité. Alors, nous nous sentirons reliés aux autres, au vivant même, et par là responsables de tous. Voilà le sens d’une réelle socialisation : se sentir reliés les uns aux autres, tout en respectant le caractère unique de chacun ; il n’y a alors plus de compétition ou de lutte, mais partage et complémentarité.

Le cerveau, tout comme la vie sur terre, fonctionne sur des modèles de réseaux. Vivre signifie déjà intégrer des réseaux : famille, culture, ville, pays... réels ou entités virtuelles. Entrer en relation – avec un être humain, un animal ou un végétal, signifie aussi créer ou entrer dans de nouveaux réseaux, qui sont tous en interaction et interconnectés, d’une manière ou d’une autre, via une relation dialogique permanente. Bien que les neurosciences ou la physique quantique permettent aujourd’hui de mieux comprendre ces processus, nos connaissances sont encore lacunaires.

Reliance en soi avant tout, afin de reconnecter et rassembler tout nos parts – parfois contradictoires - en une unité, elle-même reliée au vivant. L’homme est par nature à la fois égocentrique et altruiste, homo sapiens et homo démens (Morin). Il est plus sage d’inclure toutes ces parties sans les juger, d’apprendre à vivre avec et de faire de son mieux. Maîtriser notre égocentrisme, notre égoïsme, cultiver notre altruisme, notre reliance. Nous devons vivre avec nos défauts, avec nos contradictions multiples, et en tirer le meilleur (le plus sage) parti. Edgar Morin parle à ce propos d’apprivoiser la « barbarie intérieure » de l’homme par une auto-éthique développée à partir de diverses composantes telles que l’auto-examen, l’autocritique, l’honneur, la tolérance, la lutte contre la « moraline » (Nietzsche), etc.

Selon Antonella Verdiani, dans son étymologie sanskrite, la reliance est également proche de la joie : la racine en est yuj, soit «l’union de l'âme individuelle avec l'esprit universel». De la joie individuelle dépend donc la joie universelle ; pour Spinoza, «La joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. »

Aujourd’hui, nous sommes invités, plus que jamais, à construire un mode de vie basé sur plus d’authenticité et de coopération, et peut-être plus proche aussi de la
vérité : une vie plus juste et authentique n’est-elle pas une vie plus vraie ? « Ce sentiment divin s’appellerait alors – humanité ! » écrivait Nietzsche.



[1] L’espace vital d’un chien dans un enclos est de 5m2, d’un poulet élevé en bio de 4m2, tandis que pour pour un enfant scolarisé en maternelle, une recommandation de 60 m2 pour 30 élèves, soit moins de 2 m2 par enfant, auquel on doit ajouter un enseignant et un Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) (Source).

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