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La socialisation, selon le
dictionnaire Larousse, se définit comme le « processus par lequel l'enfant
intériorise les divers éléments de la culture environnante (valeurs, normes,
codes symboliques et règles de conduite) et s'intègre dans la vie
sociale. » Mais il est révélateur que ce terme corresponde aussi, entre
autres, à la « collectivisation des moyens de production et d'échange, des
sources d'énergie, du crédit, etc. »
S’adapter, mais à quelle société, à quelles conditions ?
« Socialiser » se fait
naturellement : au cœur du cercle familial, amical, et plus encore. Il
s’agit de l’élan naturel et instinctif de l’homme à aller à la rencontre de
l’autre. Mais nous ne parlons plus de socialisation naturelle lorsque celle-ci
devient institution, obligation, ordre émis, dont les intentions sont douteuses.
Pour quelles raisons veut-on socialiser à tout prix?
Autrefois, le discours officiel
parlait de « civiliser » ou de
« faire œuvre de civilisation » : nous ne nous situons
pas dans une perspective différente aujourd’hui. La socialisation est toujours
l’apanage du pouvoir, et aujourd’hui, d’une société inégalitaire, indifférente,
consumériste, en polycrise (et surtout en crise de sens). Elle socialise en
produisant des individus dépendants, infantilisés, qui entretiennent des
relations de pouvoir et d’ego, comme ils l’ont si bien appris en se
« socialisant », dans un contexte de peur et de violence, en gardant
le contrôle sur tous – à des fins de rentabilisation et de déshumanisation.
Comme le dit Krishnamurti, s’adapter
à une société malade n’est pas un signe de bonne santé mentale.
Par ailleurs, n’est ce pas aussi
un prétexte pour rassembler de façon pratique les enfants, les enfermant toute la journée dans un
espace restreint[1] ? Sous
prétexte d’efficacité dans les apprentissages, les enfants sont aussi préparés au conditionnement, à la norme
commune, et bien entendu aux rapports de domination, l’école devenant comme ailleurs
le lieu de la lutte des egos pour enfin « exister ».
On a coutume d’opposer la socialisation
à l’individualisation, sous prétexte que si l’enfant n’est pas socialisé, il
sera égocentrique, égoïste, inadapté, incapable, mais c’est tout à fait
l’inverse qui se produit : ayant toujours été obligé de s’ignorer et de ne
pas s’écouter pour s’adapter et obéir au plus grand nombre, l’individu ne sait
pas qui il est, il est alors influençable et fragile, et donc plus
égocentrique.
Car cette
« socialisation » forcée n’est pas sans conséquence pour les
enfants : perte d’estime de soi, perte de confiance, peur de l’échec, du
rejet, etc. Cela va de pair avec une anesthésie des consciences, de la
créativité, et de la réflexion critique, un mépris des différences
individuelles, du potentiel unique de chacun. Naturellement, certaines
personnes sont plus introverties que d’autres, certaines ont le goût de la
solitude ; or, ce droit ne leur est pas accordé – elles sont même alors
suspectes !
Par ailleurs, n’est ce pas
justement en forçant un processus de socialisation que l’on prend le risque de
rendre asocial un individu ? Abîmé, ce dernier est mis au ban de la
société, dans sa différence, pour avoir osé ne pas se soumettre au dogme.
Asociaux, en vérité, nous le sommes tous, fondamentalement, car qui peut
vraiment s’adapter à de telles normes et en être heureux ?
En fin de compte, ne parlons nous
pas, dès lors, d’un mythe ? Nous sommes dans l’ordre du récit imaginaire et de la croyance
collective.
Une nouvelle définition de la socialisation : la reliance, pour un
vivre ensemble authentique
La socialisation est donc un
processus naturel : il s’agit d’aller à la rencontre de l’autre. Si nous
accompagnons l’enfant de manière libre et autonome, cela se fait dans le respect
de chacun, et des rythmes de chacun.
Si nous quittons nos habitudes de
domination et de pouvoir et choisissons de nourrir des relations de
bienveillance et de non-violence, alors nous pourrons vraiment parler de
coopération, de co-création, de communauté, de solidarité. Alors, nous nous
sentirons reliés aux autres, au vivant même, et par là responsables de tous.
Voilà le sens d’une réelle socialisation : se sentir reliés les uns aux
autres, tout en respectant le caractère unique de chacun ; il n’y a alors
plus de compétition ou de lutte, mais partage et complémentarité.
Le cerveau, tout comme la vie sur
terre, fonctionne sur des modèles de réseaux. Vivre signifie déjà intégrer
des réseaux : famille, culture, ville, pays... réels ou entités virtuelles.
Entrer en relation – avec un être humain, un animal ou un végétal, signifie
aussi créer ou entrer dans de nouveaux réseaux, qui sont tous en interaction
et interconnectés, d’une manière ou d’une autre, via une relation dialogique
permanente. Bien que les neurosciences ou la physique quantique permettent
aujourd’hui de mieux comprendre ces processus, nos connaissances sont encore
lacunaires.
Reliance en soi avant tout, afin
de reconnecter et rassembler tout nos parts – parfois contradictoires - en une
unité, elle-même reliée au vivant. L’homme est par nature à la fois
égocentrique et altruiste, homo sapiens et homo démens (Morin). Il est plus
sage d’inclure toutes ces parties sans les juger, d’apprendre à vivre avec et
de faire de son mieux. Maîtriser notre égocentrisme, notre égoïsme, cultiver
notre altruisme, notre reliance. Nous devons vivre avec nos défauts, avec nos
contradictions multiples, et en tirer le meilleur (le plus sage) parti. Edgar
Morin parle à ce propos d’apprivoiser la « barbarie intérieure » de l’homme
par une auto-éthique développée à partir de diverses composantes telles que
l’auto-examen, l’autocritique, l’honneur, la tolérance, la lutte contre la
« moraline » (Nietzsche), etc.
Selon
Antonella Verdiani, dans son étymologie sanskrite, la reliance est également
proche de la joie : la racine en est yuj, soit «l’union de l'âme
individuelle avec l'esprit universel». De la joie individuelle dépend donc
la joie universelle ; pour Spinoza, «La joie est le passage de l’homme
d’une moindre à une plus grande perfection. »
Aujourd’hui, nous sommes invités,
plus que jamais, à construire un mode de vie basé sur plus d’authenticité et
de coopération, et peut-être plus proche aussi de la
vérité : une vie plus juste et authentique n’est-elle pas une vie plus vraie ? « Ce sentiment divin s’appellerait alors – humanité ! » écrivait Nietzsche.
vérité : une vie plus juste et authentique n’est-elle pas une vie plus vraie ? « Ce sentiment divin s’appellerait alors – humanité ! » écrivait Nietzsche.
[1]
L’espace vital d’un
chien dans un enclos est de 5m2, d’un poulet élevé en bio de 4m2, tandis que
pour pour un enfant scolarisé en maternelle, une recommandation de 60 m2 pour
30 élèves, soit moins de 2 m2 par enfant, auquel on doit ajouter un enseignant et un Atsem (agent
territorial spécialisé des écoles maternelles) (Source).
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