Chagall, Le Cantique des Cantiques |
L’on associe souvent, avec
raison, la rêverie à l’enfance. Nous avons en mémoire ces belles heures durant
lesquelles nous rêvassions, un peu hors du temps, à tout et à rien, vagabondant
en esprit dans un vaste monde invisible.
Généralement, dans le contexte de
productivisme performant effréné que nous connaissons, le temps dévolu à la
rêverie est perçu comme inutile ; les expressions telles que
« être dans les nuages » ou « être dans la lune »,
couramment utilisées pour désigner l’état du rêveur font référence à l’astre
nocturne, aux éléments air et eau, liés, dans la psychanalyse jungienne, à
l’inconscient, à l’intériorité, à ce qui est caché.
Et pourtant, cette rêverie,
phénomène naturel, est pleinement active, voire bouillonnante ; elle entretient des liens étroits avec
l’imagination, l’imaginaire, la confiance, la créativité ; en cela, elle
est la matrice même de toute fiction. Elle n’est pas négation ou fuite du réel,
mais une certaine approche de la réalité qui ose la défier et la dépasser. La
rêverie nourrit la pensée dirigée et consciente, enrichit l’activité mentale,
et ancre même les apprentissages. Elle offre un espace infini de liberté, sans
limites ni contraintes, apprivoisant les ailes de la solitude, et la rendant
féconde. Mais il s’agit aussi d’un espace de jeu créé à partir d’images, un jeu
libre et vivant.
La rêverie fait partie intégrante
d’une éducation de l’être : elle ouvre une porte vers soi, vers son potentiel
et sa conscience, dès lors émerveillée de sa grandeur et de son immensité. Il
s’agit d’une voie autonome vers soi, d’une voie spirituelle, reliant méditation
et contemplation, en quête de soi.
Mais la rêverie n’est pas
l’apanage de l’enfant : en grandissant, nous continuons à rêvasser, c’est à
dire à penser de façon non dirigée, notamment lors d’actions mécaniques. La vie
ne serait-elle pas bien monotone, sans rêverie ? Mais plus profondément:
celui qui a su grandir sans cesser de rêver est un être qui ne vieillit pas,
toujours relié à sa source d’enfance. Il aura les ressources pour dépasser les
conflits, les désillusions, la désespérance.
Bachelard a développé (et rêvé)
une poétique de la rêverie : « L'enfant
se sent fils du cosmos quand le monde humain lui laisse la paix. Et c'est ainsi
que dans ses solitudes, dès qu'il est maître de ses rêveries, l'enfant connaît
le bonheur de rêver qui sera plus tard le bonheur des poètes. »
Mais en fait, bonheur de tout être
conscient, qui vit et crée pleinement son existence, se nourrissant à sa source
– la rêverie est alors rempart contre, et échappe à l’indifférence, l’ennui, la
lassitude, l’inertie ; elle participe à l’équilibre psychique, accroit la
sensibilité, la beauté - et la vie elle-même. C’est un geste d’enfance que
d’avoir l’audace de vivre pour la beauté du geste, pour la beauté de l’existence.
Pour Bachelard, « La rêverie
poétique nous donne le monde des mondes. »
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