mardi 30 décembre 2014

La joie de la simplicité


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La simplicité est une démarche philosophique, écologique, humaniste, voire spirituelle et poétique, qui prône un retour à l’essentiel. Elle est déjà présente chez des penseurs tels que Tolstoï, Ruskin ou encore Bergson. Il s’agit d’une véritable éthique, qui répond à la question du « comment doit-on vivre ? », recherchant les « vraies » richesses de la vie, telles que l’épanouissement personnel, la relation à la nature, etc. « Mieux que l’amour, l’argent, la gloire, donnez-moi la vérité. » demandait Thoreau.

Il nous est nécessaire de nous désencombrer, de privilégier l’être à l’avoir et le faire, les apparences, la superficialité, le gaspillage, qui nous emprisonnent et nous aliènent. Nous privilégions alors la valeur à la médiocrité, la beauté à la vulgarité, le bon sens naturel à l’absurdité et à la bêtise – car la simplicité n’est pas simplisme mais intelligence du vivant. Il s’agit d’un questionnement émancipateur, qui permet de distinguer les besoins réels des désirs d’accumulation, de remettre en question les préjugés de l’apparence, les mirages de la publicité et les tentations de la superficialité. Apprécions et remercions pour ce que nous avons, mais n’en soyons pas les prisonniers.
Il est essentiel de revoir notre rapport à la nature et aux objets, pour être dans une relation juste et bienveillante. Pour Thoreau, la nature est la source de morale, de sagesse spirituelle, et l’homme a tout à y gagner : en préservant la nature, il est aussi question aussi de préserver sa propre nature, sage et morale.
En favorisant l’être, je nourris donc, à moi-même et aux autres, des relations d’authenticité, d’empathie et de présence réelle. Dès lors, nous sommes alors dans la rencontre et la reconnaissance mutuelle.

Ce cheminement mène à l’autonomie, et permet de quitter les pensées de peur pour entrer dans la confiance. Alors, nous sommes libres, et nous connaissons l’abondance réelle, qui est richesse véritable, synonyme d’authenticité, de qualité, de beauté.  « Développe en toi l’indépendance à tout moment, avec bienveillance, simplicité et modestie. » conseillait Marc-Aurèle.

Quittant la frénésie systématique et esclavagisante de notre époque compulsivement  surfaite, nous nous recentrons, pour pratiquer l’agir juste au temps juste ; il s’agit de ne plus réagir sans réflexion, mais d’agir avec sagesse, justesse, douceur. Et parfois même, de pratiquer l’art de ne rien faire. La sieste, le repos, le silence et la solitude, la rêverie,  sont invités avec joie dans une vie de simplicité.

On peut également voir une opportunité pour la créativité : de peu, nous pouvons créer de grandes choses. Possibilité que nous n’avons plus lorsque nous sommes dans le tout prêt ou le tout fait – qu’il s’agisse d’objets ou de pensées, de réel ou d’imaginaire. Choisissons des objets – ou jouets – simples, nobles, naturels, qui nous correspondent vraiment. Choisissons des nourritures éveillant et embellissant notre conscience.

La simplicité offre aussi l’opportunité de l’émerveillement de toute chose : une abeille butinant, un rire d’enfant, le printemps revenant. L’émerveillement est étonnement et fraicheur de l’âme. Ainsi disait Barjavel : « Il ne suffit pas d'être en vie, il faut être vivant. C'est à dire savoir à chaque instant qu'on est au cœur d'un prodige et être en contact, en harmonie avec lui. Pourtant chacun de nous est au centre de tout, au milieu de l'univers entier. Chacun de nous possède les portes que le créateur (ou la nature, comme l'on voudra) lui a données pour y pénétrer. Mais nous oublions de les ouvrir. Pour ma part, je suis sans arrêt ébloui par le phénomène de la vie. »[1]

L’art de vivre simplement signifie aussi et surtout expérience poétique. Ainsi l’écrit Hölderlin : « l’homme vit sur la terre poétiquement. » Car la poésie a pour fonction de nous rendre voyants, conscients, et plus humains aussi. La poésie n’est-elle pas, après tout, le langage qui échappe aux conditionnements et aux règles, pour revenir, dans un éclair de simplicité, à la parole essentielle?

Nous terminerons par ce passage d’Edgar Morin, dans le sixième tome de La Méthode, qui résume parfaitement l’esprit de cet article :

« Vivre, c’est vivre poétiquement.
L’état poétique est un état de participation, communion, ferveur, amitié, amour qui embrase et transfigure la vie. Il fait vivre à grand feu dans la consumation (Bataille), et non à petit feu dans la consommation.
L’état poétique porte en lui la qualité de la vie, dont la qualité esthétique qu’il peut ressentir jusqu’à l’émerveillement devant le spectacle de la nature, un coucher de soleil, le vol d’une libellule, devant un regard, un visage, devant une œuvre d’art…
Il porte en lui l’expérience du sacré et de l’adoration, non dans le culte d’un dieu, mais dans l’amour de l’éphémère beauté.
Il porte en lui la participation au mystère du monde. »



[1] Interview de René BARJAVEL dans France-Soir Magazine du 13 octobre 1984 (n°12.493)

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