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« Hâte-toi de bien vivre et songe que chaque jour est à lui seul une vie. »
Sénèque, Lettres à Lucilius.
Qu’est ce qu’un écran ?
Selon le dictionnaire Larousse, entres autres, il s’agit de ce qui « Ce
qui s'interpose, s'intercale et dissimule » ou encore de « Tout ce
qui arrête le regard, qui dissimule, empêche de voir »[1].
Pourtant, la technologie est un
outil intelligent, formidable, pratique, créatif, souple ; un support
intéressant : il s’agit en cela d’une révolution, ou même d’un changement
de civilisation, comme le suggérait Michel Serres, à propos de Petite Poucette[2].
Les savoirs sont démocratisés, accessibles ; nous avons accès à des
bibliothèques entières, aux musées, à de la musique, à des
cours universitaires, à des revues en ligne, à des archives, des encyclopédies,
à la culture du monde entier… tout cela depuis notre écran. La communication et
la vie quotidienne sont infiniment facilitées, tant d’un point de vue personnel que professionnel.
Mais il y a un réel problème lorsque nous
devenons dépendants et que nous sommes envahis par les écrans – car alors, nous
ne les maîtrisons plus, nous devenons les esclaves d’une servitude
volontaire. « Selon une étude
britannique, 66% des utilisateurs de smartphones ressentent une souffrance
s'ils doivent s'en passer »[3].
Les Smartphones ne seraient-ils pas nos nouvelles idoles ? Pour celles-ci,
nous sommes prêts à bien des choses.
Ainsi ces adolescents (et même
des adultes), ayant remplacé leur doudou par un Smartphone[4].
Les selfies – pratique narcissique au
possible[5]
– des adolescents ou jeunes adultes postés chaque jour. Le Smartphone est
devenu un chapelet, un alter-ego, un autre nous, tant il est investi
affectivement[6]. Ces adultes
qui ne sont plus capables de partager un moment sans avoir recours à leur
portable pour vérifier leurs mails. Ou ces personnes en visite dans un musée ou
dans tout autre beau lieu, photographiant tout avec leur appareil, et répondant au
téléphone[7].
Ou encore lorsque nous étalons notre vie privée tous les jours sur les réseaux
sociaux, dans l’illusion d’avoir une quelconque reconnaissance ; tandis
que vie privée et vie publique ne sont plus clairement délimitées. Et ces
parents, toujours un Smartphone à la main, présents, mais si absents à leurs
enfants[8]. Ou encore, ces enfants, que l’on met au lit avec une tablette...
Et pourtant, l’indifférence
grandit – comme le montrent ces vidéos, de plus en plus courantes, filmées à
partir de Smartphones, montrant un accident ou une agression lors de laquelle
personne n’intervient. De même, notre rapport au temps est bouleversé :
nous sommes dans l’ère du « tout, tout de suite », de la réaction
immédiate, car nous sommes en principe joignables partout, tout le temps. Ce
rapport au temps, dans l’instantané, est une source de stress importante. Les
cas de burn-out et de dépression sont démultipliés ces dernières années. Les
technologies sont censées nous faire gagner du temps, mais elles nous en font
perdre, car nous y passons trop d’heures. Une autre question importante est
aussi de se demander qui contrôle ces médias, ces technologies, et quels sont
les messages qui y sont véhiculés ? Le rapport que nous entretenons à
l’information, qui ne laisse plus de place au recul, à la réflexion, à la
vérification, est dangereux, car il y a risque de manipulation, de propagande –
nous nous contentons du « prêt à penser », de la « pensée du zapping »[9].
De plus, nous souffrons de sur-information, de sur-sollicitation, dont nous ne
parvenons pas à faire un tri. Il est intéressant de noter que les enfants des directeurs des sociétés high-tech américaines n’ont pas accès aux écrans et sont scolarisés
dans des écoles Waldorf-Steiner[10],
où est mise à l’œuvre une pédagogie traditionnelle. Par ailleurs, les
neurosciences ont démontré qu’écrire sur du papier, et non à l’ordinateur,
représentait un avantage cérébral important[11],
le nombre de connexions neuronales étant démultiplié de façon exponentielle –
ce phénomène accroissant entre autres créativité et mémoire.
L’écran, par essence virtuel, ne
nous cacherait-il pas, tout simplement, de la vraie vie et de nous-mêmes ?
J’apprécie cette citation du poète Christian Bobin, dans laquelle nous pourrions ajouter le Smartphone :
« J'ai toujours craint ceux qui ne supportent pas d'être seuls et demandent au couple, au travail, à l'amitié voire, même au diable ce que ni le couple, ni le travail, ni l'amitié ni le diable ne peuvent donner : une protection contre soi-même, une assurance de ne jamais avoir affaire à la vérité solitaire de sa propre vie. Ces gens-là sont infréquentables. Leur incapacité d'être seuls fait d'eux les personnes les plus seules au monde. »
L’épuisement
Comme pour tout, il est question
de trouver un équilibre, de rester maître de son usage, de s’offrir des temps
de pause ou même de retraite. Prenons, avant tout, le temps de vivre, loin des
écrans. D’être présent, à nous-mêmes et aux autres. Reconnectons-nous plutôt à
notre nature profonde, à notre cœur, et à la nature. Le bonheur est fait de
choses simples : un bon livre, un repas partagé, une balade en foret, de la belle musique… C’est de tout cela dont nous nous souviendrons, et dont
nos enfants se souviendront : des temps de qualité, de présence, de l'amour. Alors,
nous sommes dans le cœur de la vie. Echappons-nous, car la vie n’attend pas.