Par Delphine Gazzabin
Éloge sans partage de l’instruction assurée par les parents, en regard
d’une école vue comme source d’angoisse et de démotivation. Des propos qui
appellent, pour le moins, de sérieuses discussions sociologiques !
Source : Les Cahiers Pédagogiques
On estime à 40 000 en France le
nombre d’enfants qui reçoivent leur instruction en famille (IEF), un chiffre en
constante augmentation. Il s‘agit de familles n’ayant jamais scolarisé leurs
enfants ou les ayant retirés de l’école. Ils suivent des cours par
correspondance (par le CNED ou des cours privés), ou bien des pédagogies
particulières (Montessori, Freinet, Steiner...). D’autres
« homeschoolers » se servent de divers supports piochés ça et là,
manuels scolaires, cahiers de devoirs, logiciels d’apprentissages... Enfin,
pour les « unschoolers », l’apprentissage est « libre et
autogéré » [1] :
on laisse au vécu quotidien le soin de faire acquérir à l’enfant par lui-même
diverses connaissances.
Nous sommes tous des IEF
Notons d’abord que chaque
famille, y compris celle d’enfants scolarisés traditionnellement, pratique
l’IEF sans même en avoir conscience. La « culture familiale » est le
départ de l’instruction en famille. L’enfant apprend par imitation et les
parents ne doutent pas de leurs capacités à transmettre le langage, la marche,
le jeu et les normes rituelles de leurs familles.
À chaque geste, les conseils
se prodiguent, chacun devant faire le bon choix pour ne pas devenir un
« mauvais parent »... Chacun peut raconter comment il a acquis tel ou
tel savoir-faire auprès d’un parent ou d’un autre membre de sa famille ou d’un
voisin. Apprendre à cuisiner ou faire du vélo, apprendre à jardiner ou
bricoler, apprendre à naviguer sur internet ou utiliser une clef USB... C’est
de l’instruction en famille et chacun est certain de sa compétence, tant que
l’école ne s’empare pas du sujet. La curiosité de l’enfant, la passion de
l’adulte, la nécessité des circonstances sont le terreau le plus propice aux
passations de savoir -faire et savoir-être.
Pas de sentence, de points, de
compétition, juste le temps, l’envie et la présence.
L’apprentissage idéal
Si le schéma d’instruction en
famille semble loin de pouvoir aborder le contenu des programmes scolaires dans
l’ordre établi par le protocole de l’éducation nationale, il donne en revanche
tout son sens à l’apprentissage. L’enfant sait pourquoi il se questionne, il
attend la réponse pour combler un besoin : la contrainte extérieure est
remplacée par la motivation intrinsèque, l’enfant est au coeur de
l’apprentissage.
Fréquemment l’apprentissage est autonome et indépendant. Les
parents découvrent au gré des circonstances et dialogues, les connaissances que
l’enfant s’est approprié par lui-même.
Le raisonnement de l’enfant lui est
propre et son apprentissage arborescent crée des connexions et des liens entre
des faits, des apprentissages, que nous classifions d’ordinaire dans des
matières biens distinctes. L’instruction en famille ne catégorise pas les
connaissances, c’est l’enfant qui assemble et recoupe ses apprentissages
lui-même en fonction de ses intérêts et de ses raisonnements. On entend parler
d’apprentissages transversaux : l’IEF pratique cela quotidiennement.
Cuisiner revient à faire de la chimie mais aussi des maths et de la biologie à
la fois !
Dans l’IEF, il n’y a pas de jugement posé sur l’activité de
l’enfant, jeu ou travail. Pour un enfant de deux ans, monter une pyramide de
cubes est une activité sérieuse. De même à dix ans monter un systéme
hydraulique dans le ruisseau avec un moulin et un barrage est une activité
sérieuse. Selon le regard que l’on pose et l’attitude adoptée l’activité
devient le support d’un échange de connaissance et la source d’une recherche
non plus seulement « un jeu d’enfant ». L’enfant découvre par
lui-même des lois physiques, il les expérimente, se questionne, rencontre des
difficultés et l’adulte peut lui proposer de chercher avec lui des solutions,
des réponses : visiter un vrai moulin, regarder un reportage sur les
barrages en construction, parler avec une personne travaillant dans le domaine,
faire une recherche internet, aller trouver un livre en bibliothéque....de là
on peut aborder les grands ouvrages hydrauliques dans le monde (un peu de
géographie), l’évolution des techniques (l’histoire des progrès techniques),
les problèmes liés au manque d’eau ou aux crues (histoire des peuples,
actualités récentes).
Parents pédagogues
L’adulte est attentif à l’enfant,
il est à son écoute, prend le temps d’être avec lui et lui propose des
apprentissages qui l’intéressent particulièrement. Il perçoit jusqu’où l’enfant
est capable d’aller dans l’approfondissement du sujet sans perdre son
attention.
Par exemple, une grossesse dans la famille ou un deuil permet
d’aborder les sujets éthiques, et la biologie a un rythme et un degré bien
différents de ceux imposés par les programmes. Les circonstances de vie
quotidienne sont sources de questionnement pour l’enfant et donc relié
directement à son affect pas seulement sa curiosité intellectuelle.
Les
relations parents/enfants et les relations de fratries permettent
l’apprentissage de la gestion des conflits avec une approche constructive. En
IEF on ne peut pas « couper les ponts » en changeant d’école, ou de
banc, on ne peut pas se permettre de s’enfoncer dans une dispute, la résolution
des conflits s’impose par le dialogue, la négociation, l’écoute, le respect.
Les relations affectives et les liens familiaux exigent la résolution de
conflit pour que chacun et tous soient heureux de vivre ensemble. La solidarité
et la complémentarité se développent, la concurrence, la compétition
s’estompent.
Être curieux pour rendre curieux
Ce type d’Instruction parie sur
la capacité de l’adulte à revoir son schéma d’apprentissage et son rapport à
l’enfant : apprendre à faire confiance à l’enfant et à soi-même pour
avancer à un rythme qui est variable dans le temps et sans matière vraiment très
distincte. Chercher les supports, les sorties qui apporteront des éléments de
réponses à l’enfant. S’investir personnel en temps, énergie, et finances.
L’adulte
se voit poussé à reprendre une attitude curieuse et à ouvrir ses horizons,
chercher des réponses aux questions que l’enfant lui pose, avouer son ignorance
et repartir sur les sentiers de l’instruction !
Contrôle social
Pour les parents, il faut gérer
la pression due au contrôle social et pédagogique, où l’adulte (et l’enfant)
aura affaire à des personnes ayant une opinion sur l’IEF parfois négative.
Affronter
ces inspections et faire comprendre le fonctionnement de l’enfant, et de la
famille, apporter des preuves de l’instruction donnée alors que l’écrit n’a pas
une place prépondérante dans l’IEF et qu’il n’y a pas de contrôle sur table à
présenter, relève d’un défi parfois très complexe.
Pour être précis et complet
il faudrait noter minute par minute les questions de l’enfant, les échanges
verbaux.
L’adulte s’astreint donc à garder des traces, des livres empruntés,
des outils pédagogiques utilisés, des photos des activités, les billets des
sorties, des dessins, de quelques écrits ou collages. Des traces peu
représentatives du contenu réel de ce que l’enfant a abordé. Et évidemment,
cette complexité se renforce avec le nombre d’enfants instruits en famille.
Quel bilan ?
Des études menées par
Shyers [2]
et Thomas Smedley [3]
sur des groupes d’enfants scolarisé et d’autres enseignés à la maison,
concluent que « les enfants enseignés à la maison sont bien équilibrés
socialement et les enfants de l ’école traditionnelle peuvent ne pas
l’être. » (Shyers)
Une famille dans laquelle les
deux parents travaillent voit leur enfant passer 70 % de son temps d’éveil
en présence d’autres personnes et ce dès l’âge de 3 mois (nourrice, crèche,
école, colonie, centre aéré, garderie, cantine).
Il paraît difficile, alors de
parler de vécu de la parentalité et de lui associer un rôle prépondérant dans
l’évolution de l’enfant au vu du peu de temps qu’elle a pour se vivre.
Continuer de considérer la famille comme l’instance de socialisation primaire,
dans une configuration pareille, devient à mon sens, discutable.
Le choix de
confier son enfant à d’autres influe sur le fonctionnement familial, comme le
souligne Philippe Perrenoud [4] :
la scolarité pèse lourd sur la vie des familles : « dans notre
société, le destin d’une famille est pour une part lié à la scolarité de ses
enfants ; dès la naissance, parfois avant, l’école pointe son nez à
l’horizon familial et devient pour, dix, quinze, vingt ans, quarante semaines
par an, cinq à six jours par semaine, une composante de la vie
quotidienne ; pendant que les enfants progressent dans le cursus, la
famille s’organise en partie, bon gré, mal gré, en fonction des horaires, des
échéances et des exigences fixées par l’école, des dépenses et du travail
qu’elle exige, des jugements qu’elle porte, des décisions qu’elle prend, des
tensions et des espoirs qu’elle fait naître chez l’enfant et ses
proches. »
A moins que...
Une alternative est
possible : certains systèmes éducatifs se sont approprié le fonctionnement
de l’apprentissage libre et auto-géré, du respect des rythmes et de
l’individualité propre à chaque enfant.
« Une récente étude place
l’Australie en troisième position pour les résultats scolaires, [...]
Les
méthodes d’enseignement diffèrent de celles de France en ce sens que l’enfant
est incité à découvrir les règles plutôt que de les apprendre par coeur et les
appliquer.
Il n’y a pas non plus de niveau type pour une classe. Chacun apprend
à son rythme et celui qui est en avance se verra encouragé alors que celui qui
ne suit pas ne sera pas brimé. Les classes peuvent avoir donc des bons comme
des mauvais et chacun avancera à son rythme. Ce qui semble donner aux
Australiens le goût de la recherche et des capacités accrues à se débrouiller
seul en étant pratiques et pragmatiques. » [5]
On ne peut pas instruire sans
éduquer ni éduquer sans instruire.
La réussite de l’IEF peut inciter l’école à
changer de fonctionnement, et peut inciter les parents à se questionner sur
leur parentalité.
Controverses
On nous demande parfois si nous
n’ignorons pas que la séparation parents-enfants (avec la maternelle, l’école primaire,
les voyages scolaires...) est nécessaire selon les psychologues.
Je crois qu’il
est bon de recontextualiser le discours des psychologues. Vivre ensemble ne
signifie pas vie en co-dépendance totale, ni ne pas savoir vivre sans l’autre.
La question de la séparation n’est pas absente de l’IEF, elle se pose en
d’autres termes : celle de la volonté et de l’acceptation de l’enfant et
surtout de la gestion affective de celle-ci.
Les diverses cultures qui nous
environnent nous proposent des schémas familiaux de proximité ou séparation
bien différents de ce que nous vivons. Chez les Japonais les adolescents
dorment encore avec leurs parents... c’est culturel....et ce n’est pas perçu
comme malsain ou fusionnel.
Que dire des crises de larmes de
maternelle, des angoisses des enfants, leurs résignations, les pleurs cachés
des parents devant cette souffrance ?
Tout comme un jour l’enfant lâche la
main pour marcher seul, un jour il se sent prêt pour aller dormir ailleurs,
puis ensuite partir quelques jours... c’est son histoire, ses besoins, son
ressenti, son rythme d’évolution qui le laisse libre de rester ou de partir, ce
ne sont pas des contraintes d’âge.... Ni de discours psychologiques.... Les
adolescents vivent cette période de manière différente, bien moins en rébellion
et plus en proximité avec leurs familles.... Le cocon familial est un lieu
protecteur et lieu ressource, que l’on quitte quand on se sent prêt et qui ne
nous pousse pas dehors trop tôt !
Les familles sont rarement opposées au
système envers et contre tout. Si l’enfant retourne à l’école ceci n’est pas un
échec pour l’IEF. Des circonstances de vie peuvent y contraindre, ou des choix
de l’enfant pour vivre cette expérience...
Delphine Gazzabin, mère
instruisant en famille.
[1] Alan
Thomas et Roland Meighan « learning illimited apprentissage auto-géré et
instruction à la maison, perspective européenne » sous la direction de
Leslsie Barson, educational heretic press, 2006. Voir sur le site LEDA : http://www.lesenfantsdabord.org/ind....
[2] Extraits
de Homescholling today vol 3 N°3, mai/juin 1994 S.Squared publications.
[3] Descritpion
de cette étude à l’adresse internet : http://wwwhslda.ca/frsocial.asp ;
socialization of homeschooled children.
[4] Voir
le texte sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teach....
[5] Voir
le site canadien http://www.immigrer-contact.com/bes....
Merci pour le partage de ce texte que j'avais lu au hasard de mes pérégrinations sur le net et que j'ai eu un mal fou à retrouver ensuite ! Le voilà, cette fois, je garde le lien et même mieux : je sauvegarde le texte!
RépondreSupprimerAvec plaisir, cher(e) anonyme, c'est pour cela aussi que je mets certains articles dans ce blog, pour pouvoir remettre facilement la main dessus ;)
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