Classes surchargées, rythmes
scolaires controversés, enfants inadaptés au système établi, menace de
déscolarisation... Voilà quelques jours à peine qu'a débuté la
nouvelle année scolaire et déjà, les polémiques s'enchainent ; le changement
tant attendu tarderait à venir. Nombre de parents se prennent ainsi
à rêver d'une autre voie pour l'éducation de leurs enfants. Pourtant, c'est
bien connu, l'école est obligatoire jusqu'à 16 ans. "L'école" ?
Pas vraiment...
La fameuse loi L 131-2
du Code de
l'éducation parle plutôt "d'instruction obligatoire". En
réalité, les parents ont le choix dans le mode d'instruction de leurs
enfants : à l'école publique, au sein d'un établissement privé sous
contrat avec l’État, dans un établissement privé non reconnu ou simplement à la
maison, "dans la famille". Sans pour autant pratiquer l'école
buissonnière, l'enfant peut donc tout à fait quitter les bancs de l'école pour
ceux - plus confortables - du salon familial.
Scolarité et instruction, deux
faux synonymes donc. Or leur définition législative reste ambigüe ; en
1999, une circulaire ministérielle demandant de "renforcer le contrôle de
l'obligation scolaire" afin d'éviter les dérives sectaires, ouvrait le
débat sur la question des limites du droit à l'enseignement (Lire ici
Prevensectes.com). Jusqu'en décembre 2011, où une nouvelle circulaire a enfin
défini précisément l'encadrement de "l'instruction
dans la famille" (Lire ici
Éducation.gouv.fr).
Si dans les pays anglo-saxons, ce
phénomène baptisé "homeschooling"
a pris une grande importance - pratiqué par plus 1,5 millions d'enfants aux
USA, soit 2,9% des étudiants américains (Lire ici Education
statistics), son usage reste très confidentiel en France. Sur près de 12
millions d'étudiants - dont 7 millions d'écoliers -, 30.000 suivent une
éducation à distance - dont 27.000 au Centre national d'éducation à distance (Cned) ou dans des cours privés. Au final, ils
sont "seulement" 3.000 élèves à pratiquer l'instruction en famille,
soit moins de 0,03 % des étudiants français.
Alors que samedi 15 septembre
2012 a lieu la Journée internationale pour la liberté de l'instruction (Jipli), une poignée d'associations sont
engagées toute l'année dans la défense de cette pratique : Libres
d'apprendre et d'instruire autrement (LAIA),
Les enfants d'abord ou
encore Choisir d'instruire son enfant (Cise).
En Bourgogne, s'est mis en place un réseau informel d'une trentaine de familles
pratiquant les cours à la maison : le "Nonsco21". Pour fêter
cette Jipli 2012, les familles se réuniront ainsi au parc de la Colombière, à
Dijon (Voir ci-dessous les infos pratiques).
L'occasion pour les 65 enfants de
2 à 17 ans non scolarisés d'y retrouver leurs "camarades", mais aussi
d'accueillir et d'informer d'éventuelles familles désireuses d'en savoir plus
sur ce mode d'instruction. Pour les accompagner, Ysabel Aubé, animatrice de
Nonsco21, qui prend elle-même en charge l'enseignement de ses deux filles de 9
et 10 ans. Très impliquée en faveur de l'école à domicile, elle ne se considère
pourtant "ni revendicatrice, ni militante". Samedi 15 septembre, elle
ne "sortira pas les banderoles". Son simple souhait :
accompagner les familles dans leur choix, même dans leur processus de
rescolarisation...
Ysabel Aubé, bonjour. Quelles raisons peuvent pousser certaines
familles à choisir un autre mode d'enseignement que celui de l'école publique
pour leurs enfants ?
"Les causes sont vraiment
plurifactorielles, même si majoritairement, ce choix fait suite à un échec
scolaire que les enfants ont mal vécu. Chaque famille a son cas qui lui est
propre. L'idée globale, c'est le bien-être des enfants. Certains subissent à
l'école des agressions, sont victimes de phobie scolaire, ou au contraire s'y
ennuient car sont surdoués.
D'autres parents font ce choix
par philosophie de vie ou envie de liberté. Ils peuvent considérer par exemple
suranné ou obsolète de mettre vingt-cinq enfants dans une même classe pour
apprendre le même programme scolaire, et dénoncer un système scolaire très figé
qui ne répond pas à la demande individuelle de chaque enfant. Pour d'autres
familles encore, l'école est synonyme de contraintes, pour des raisons
professionnelles, parce qu'elles voyagent beaucoup ou simplement parce qu'elles
vivent en milieu rural. Avec le regroupement des écoles, la scolarité impose
parfois beaucoup de transports.
Quoi qu'il en soit, il y a
toujours une critique sous-jacente de l’Éducation nationale. Je pense encore à
des familles sans aucun a priori qui ont des enfants avec des problèmes de
dyslexie ou de handicap
comme l'autisme, et qui se retrouvent face à un système qui ne peut
pas accueillir leurs enfants. Au bout d'un moment, ils sont obligés de les
déscolariser car ils ne trouvent pas de place dans les établissements
spécialisés.
L'instruction en famille ne risque-t-elle pas de rendre l'enfant
asocial ?
Il faut d'abord distinguer
socialisation et sociabilité. En réalité, ce n'est pas la socialisation forcée
de l'école qui fait qu'on a plus d'amis, qu'on est plus sociable. Des milliers
de gens peuvent témoigner de leur expérience atroce de l'école. Certains ont
quitté l'école sans avoir aucun ami ! Il est vrai qu'un enfant qui a
toujours été à l'école dès le départ crée des liens sociaux autour de lui. Dans
les milieux ruraux, c'est très difficile de créer des liens si on appartient
pas à des structures.
Avant tout, il faut que l'enfant
soit bien. Il n'y a pas de hiérarchie entre l'école et la maison ;
l'important, c'est ce qu'il désire lui, qu'il soit le plus armé pour sa vie
sociale à lui. Bien que mes enfants soient à la maison, nous faisons beaucoup
de rencontres et de sorties ! Ils sont rassurés, sereins et font preuve
d'une adaptabilité formidable. Y compris dans le cadre d'une réinsertion dans
le milieu scolaire, même si parfois, il leur faut travailler un peu plus que
les autres. Ils ont une meilleure autonomie et une meilleure détermination
reconnues.
Qu'est-ce qui pourrait pousser un enfant à reprendre le chemin de
l'école ?
Se faire des amis. Trois de mes
grands enfants ont préféré faire une pause durant leur parcours scolaire, mais
y sont retournés. L'école était pour eux un lieu de rencontre, d'échange...
D'autres enfants intègrent le système éducatif car ils ont dans la tête
d'apprendre un travail réglementé, comme architecte ou médecin. L'école a ses
codes ; ils peuvent donc réintégrer l'école souvent en seconde – pour
passer le bac et se préparer aux grandes écoles.
Comment l’État peut vérifier peut vérifier la qualité de l'instruction
que l'enfant reçoit à la maison ?
L'instruction en famille est
soumise, non pas à autorisation, mais simplement à déclaration à la mairie et à
l'inspecteur d'académie. Par la suite, la mairie vient tous les deux ans vérifier,
par une impression globale, si l'enfant peut recevoir une instruction correcte.
De son côté, l'inspection vient elle aussi contrôler une fois par an le suivi
de l'instruction des enfants.
L'instruction en famille n'est pas soumise aux
programmes scolaires, mais les enfants doivent recevoir les enseignements cités
dans le socle commun
de connaissances et de compétences. Seulement, nous n'avons pas à
respecter les paliers du socle commun (CM1, sixième ...). L'inspecteur vérifie
simplement si l'enfant progresse d'année en année.
Cependant, les façons
d'instruire les enfants peuvent s'avérer très diverses : certains parents
les font asseoir comme à l'école de 9h à 12h, puis de 14h à 17h, alors que
d'autres familles sont beaucoup plus libres. Le travail de l'inspecteur est
donc assez délicat, surtout que la plupart ne savent même pas que nous ne
sommes pas soumis au programme scolaire ! Toute la difficulté est de leur
expliquer que l'enfant n'a peut-être pas forcément encore, dans un domaine
spécifique, le niveau scolaire en rapport avec son âge, mais qu'il peut tout à
fait le rattraper et le dépasser plus tard !
Niveaux d'étude variables, manque de temps... Ce mode d'apprentissage
est-il vraiment accessible à tous les parents ?
Il existe pourtant beaucoup de
parents seuls ou isolés qui pratiquent l'éducation à la maison ! Et ce,
principalement en raison de la démocratisation du télétravail. Je connais
également des cas de parents qui travaillent tous deux à mi-temps et organisent
leur semaine autour de l'éducation des enfants. Mais c'est évident que le cas
le plus fréquent, c'est celui d'une maman qui ne travaille pas et s'occupe des
enfants à la maison, pendant que le papa travaille.
Concernant le niveau des
parents, légalement, il n'y a aucun niveau d'études requis. J'ai constaté que
des parents n'ayant pas un niveau d'études élevé et qui ont pourtant fait le choix
de l'instruction en famille, réapprennent quasiment tout avec leurs enfants,
car ils relisent tous les cours ! J'ai en mémoire par exemple le cas d'une
mère qui ne maîtrisait pas la langue française et qui, simplement en enseignant
à ses enfants, a réappris toutes les bases de la grammaire. En quelques années,
elle s'est mise à écrire parfaitement !
Par ailleurs, il est possible de
demander de l'aide à n'importe qui susceptible d'éclairer l'enfant dans un
domaine spécifique, que ce soit grâce à des proches ou en souscrivant à des
cours particuliers payants.
Quels sont les cas d'échec parmi les expériences d'instruction à la
maison ?
Oui c'est vrai, il y a beaucoup
d'échecs. Mais ils sont surtout dû à la déscolarisation : l'enfant,
habitué au fait qu'on lui dicte tout à l'école, se retrouve du jour au
lendemain autonome à la maison. Il faut que la famille se restructure autour de
ce nouveau quotidien, que l'enfant s'adapte, et c'est parfois dur. D'autres
jeunes, à l'inverse, n'ont pas forcément choisi de rester à la maison car il
ont dû quitter l'école pour des raisons d'inadaptation médicale par exemple.
Ils se sentent écartés de force.
Le succès de l'expérience se joue toujours
dans l'année scolaire, voire dans les six premiers mois. On voit beaucoup de
parents qui rescolarisent leur enfant au plus tard au mois de janvier. Dans
tous les cas, la période où l'enfant est resté à la maison a permis aux parents
de réfléchir à l'enseignement, à l'apprentissage, de faire des recherches pour
accompagner au mieux leur fils ou leur fille.
Quand l'enfant est rescolarisé,
ce n'est jamais dans les conditions dans lesquelles il avait quitté l'école
avant. Le fait de l'avoir gardé à la maison est très contrariant pour le
directeur d'une école ; celui-ci va faire un effort et tout faire pour
l'accueillir de nouveau dans de meilleures conditions. En règle générale, pour
toutes ces raisons, la réintégration dans le système scolaire se passe
bien."
Source: blog Mediapart dijonscope, 15 septembre 2012.
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