Où il est question de comprendre
pourquoi les multinationales ont intérêt à éviter tout anonymat sur Internet,
pourquoi Facebook "est et restera une saloperie" et pourquoi donc le
mode scolaire a tout intérêt à créer des réseaux sociaux alternatifs et interconnectés
entre eux. Serge Tisseron se méfie fortement
des réseaux sociaux « En dessous de 12 ans, Facebook n’est pas possible »
Interview de Serge Tisseron par
Jean Claude Vantroyen pour Le Soir du
Jeudi 20 septembre 2012
Faut-il ou non autoriser l’utilisation de Facebook aux moins de 13 ans
?
Il faut constater que
l’interdiction aux moins de 13 ans est actuellement contreproductive. Pour deux
raisons. D’abord près de 30% des enfants de 9 ans ont déjà un compte Facebook
et 50% à 12 ans. En trichant sur leur âge : ils se vieillissent. Quand ils ont
14 ans dans la réalité, ils en ont 18 sur Facebook. Je vois régulièrement des
mamans qui me disent : ma fille a 14 ans et des hommes sur Facebook lui parlent
comme si elle en avait 18. Mais, stupeur : les parents n’ont pas réalisé que
leurs enfants pouvaient être plus âgés sur Facebook qu’en réalité. Ensuite, les
enfants le font en cachette. A un âge où il leur est très difficile de gérer
l’espace Facebook, parce que, pour bien le faire, il faut avoir des choses à
échanger. Or quand on a 9 ans, on n’a pas grand-chose à partager, à mettre en
ligne, donc on raconte sa vie. Avec papa et maman, on ira en vacances du 15
juillet au 15 août, il n’y aura personne à la maison, mes parents ont peur des
cambrioleurs. Une autre anecdote. En famille, cette jeune femme raconte qu’elle
a des difficultés financières. Sa jeune sœur le raconte sur Facebook, et prie
ses amis de verser des dons pour l’aider sur son compte bancaire. Ça montre
bien l’incapacité d’un enfant de moins de 13 ans de régler la complexité des
espaces Facebook, la distinction intime-public, de ce qu’on peut et ne peut pas
dire, etc.
L’idée que Facebook soit
accessible à des enfants, c’est une manière de faire en sorte qu’ils soient
accompagnés. Facebook ne pourra jamais sécuriser ce que font les enfants, quoi
qu’il dise. Comment sécuriser le contenu des messages ? Ce n’est pas possible.
D’autant plus avec des interlocuteurs qui n’indiquent jamais leur âge réel.
Facebook vit dans une illusion à
laquelle il essaie de faire croire : que les affiliés n’ont qu’une seule
adresse IP. Le modèle économique de Facebook, c’est le détournement des données
personnes et ceci n’est possible que si vous n’avez qu’une seule page Facebook.
Si j’ouvre trois ou quatre pages Facebook avec des identités d’emprunt, si j’ai
14 ans et que je me fais passer pour un homme de 40 ans sur une page, une fille
de 18 ans sur un autre et une mamy de 90 ans sur une troisième, Facebook ne
peut pas m’envoyer des publicités ciblées puisque j’ai des identités fictives.
Le modèle économique de Facebook suppose que les gens n’aient qu’une seule
page. Le problème, c’est que les ados sont parvenus à détourner le modèle en se
créant plusieurs pages et je subodore que derrière l’idée annoncée dernièrement
par Facebook de mieux contrôler ce que font les mineurs, il y a celle d’établir
un système de contrôle qui permet d’éviter l’ouverture de plusieurs pages
Facebook. Vous savez, ce ne sont pas des philanthropes. Dès qu’ils annoncent
quelque chose pour le bien du peuple, il faut chercher l’entourloupe.
Comment les parents doivent-ils agir ?
Je crois qu’un enfant peut bien
gérer Facebook seul à partir de 12 ans, en en parlant avec ses parents. En
dessous de 12 ans, ce n’est pas possible. Avant 11-12 ans, un enfant a du mal à
comprendre qu’on peut associer deux émotions différentes à un même événement,
comme à comprendre que ce qu’on lui raconte pour expliquer une émotion qu’il
observe ne soit pas vrai. Ce qui rend la gestion de Facebook très compliquée.
Ce qui fascine ces enfants, c’est d’être comme les grands. Avant, ils ne
savaient pas ce que faisaient les grands. Aujourd’hui, on est dans une culture
où les petits savent tout ce que font les adultes. Il n’y a plus de mystère. Et
quand ce ne sont pas des choses interdites, ils ont envie de les faire le plus
tôt possible. Ils sont inspirés par cette culture de l’imitation de plus en
plus précoce des adultes, ce qui n’est pas une bonne chose parce que, pour être
bien introduit aux écrans, il faut l’être au bon moment.
Des réseaux sociaux alternatifs, alors ?
Il faut en effet inviter les
parents et les communautés éducatives à créer leur propre réseau. On peut faire
des choses formidables avec un réseau, mais pas avec Facebook, parce que le
modèle économique nous piège. Il faut créer des réseaux parallèles. A Belfort,
d’où je viens, on est en train de créer un réseau indépendant de Facebook entre
toutes les écoles et les bâtiments publics de la ville et de la région. Il faut
créer des réseaux sociaux alternatifs. Parce que Facebook est et restera une
saloperie, et qu’on récupérera nos données personnelles. Parce que sur
Facebook, le produit c’est vous. Le consommateur, c’est l’industriel qui achète
vos données à Facebook et le produit, c’est vous, c’est moi, c’est tous les
utilisateurs de Facebook dont les informations personnelles sont pillées. Et ça
aussi il faudrait que les enfants l’apprennent au plus tôt.
Source : yapaka.be
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