Article Le Point - Publié le 21/09/2012
Propos recueillis par C. LABBÉ
ET O. RECASENS
Pour Michel Serres, membre de
l'Académie française et professeur à l'université Stanford, la véritable
autorité est celle qui "grandit l'autre".
On parle partout de la
"crise de l'autorité". Tout le monde cherche l'autorité perdue. Mais
de quoi parle-t-on ? Il ne s'agit plus de l'autorité "coup de bâton".
Cette autorité-là n'est que le décalque des conduites animales, celle du mâle
dominant chez les éléphants de mer ou les chimpanzés. C'est pourquoi, quand je
vois un patron avec son staff autour, plein de courbettes, je ne peux
m'empêcher de penser aux ruts des wapitis dans les forêts de Californie du
Nord. Cette autorité-là fait marcher les sociétés humaines comme des sociétés
animales.
La hiérarchie est animale, il n'y
a pas de doute là-dessus. Dès que vous exercez une contrainte, vous redevenez
la "bête humaine". Le nazisme est le symbole de cette autorité,
représentée - ce n'est pas un hasard - par un animal. L'autoritarisme a
toujours été une tentation des sociétés humaines, ce danger qui nous guette de
basculer très facilement dans le règne animal. En France, une femme meurt tous
les jours sous les coups de son compagnon, mari ou amant. Est-ce cela,
l'autorité masculine ? L'autorité perdue que l'on essaie de récupérer peut vite
conduire au retour de l'autorité "coup de bâton".
La véritable autorité, celle qui
grandit l'autre
Heureusement, la culture humaine
a remplacé le schéma animal. Dans la langue française, le mot
"autorité" vient du latin auctoritas, dont la racine se rattache au
même groupe que augere, qui signifie "augmenter". La morale humaine
augmente la valeur de l'autorité. Celui qui a autorité sur moi doit augmenter
mes connaissances, mon bonheur, mon travail, ma sécurité, il a une fonction de
croissance. La véritable autorité est celle qui grandit l'autre. Le mot
"auteur" dérive de cette autorité-là. En tant qu'auteur, je me porte
garant de ce que je dis, j'en suis responsable. Et si mon livre est bon, il
vous augmente. Un bon auteur augmente son lecteur.
Dans mon dernier livre (1), je
raconte l'avènement d'un nouvel humain, né de l'essor des nouvelles
technologies, "Petite Poucette", l'enfant d'Internet et du téléphone
mobile. Un clin d'oeil à l'usage intensif du pouce pour converser par texto.
L'avènement de Petite Poucette a bousculé l'autorité et le rapport au savoir.
Parents et professeurs ont le sentiment d'avoir perdu leur crédibilité dès lors
que, face à eux, Petite Poucette tient entre ses pouces un bout du monde. Ce
que j'appelle dans mon livre la présomption de compétence. Il y a vingt ans,
lorsque, enseignant, j'entrais dans un amphithéâtre, je présumais que mes
étudiants ne savaient pas. Désormais, j'ai des Petite Poucette devant moi, qui
ont probablement compulsé sur Wikipedia les questions que je traite dans mon
cours. À l'égard de son élève, le maître a maintenant cette présomption de
compétence qu'il est de son devoir d'"augmenter".
Autrefois, le médecin pouvait
présumer que le patient qui consultait ignorait tout de la maladie dont il
souffrait. Aujourd'hui, avant d'aller voir le médecin, on cherche sur Internet
des informations concernant ses symptômes, pour tenter de poser soi-même un
diagnostic. Le médecin a perdu l'autorité qu'il détenait par la présomption
d'incompétence de son patient. Il ne peut plus dire : "C'est moi le
médecin, laissez-moi faire !"
Nouvelle démocratie du savoir.
Avant la génération des Petite
Poucette, seuls le tyran, le plus riche ou le plus savant tenaient le monde
entre leurs mains. Aujourd'hui, pour peu qu'il ait consulté un bon site,
l'étudiant, le patient, le consommateur, ou même l'enfant peut en savoir autant
sur le sujet traité que le maître, le médecin, le directeur, le journaliste ou
l'élu. Nous disons que l'autorité est en crise parce que nous passons d'une
société hiérarchique, verticale, à une société plus transversale, notamment
grâce aux réseaux comme Internet. Tout ne coule plus du haut vers le bas, de
celui qui sait vers l'ignorant. Les relations parent-enfant, maître-élève,
État-citoyen... sont à reconstruire.
Les puissants supposés qui
s'adressaient à des imbéciles supposés sont en voie d'extinction. Une nouvelle
démocratie du savoir est en marche. Désormais, la seule autorité qui peut
s'imposer est fondée sur la compétence. Si vous n'êtes pas investi de cette
autorité-là, ce n'est pas la peine de devenir député, professeur, président,
voire parent. Si vous n'êtes pas décidé à augmenter autrui, laissez toute
autorité au vestiaire. L'autorité doit être une forme de fraternité qui vise à
tous nous augmenter. Si ce n'est pas ça la démocratie, je ne connais plus le
sens des mots !
1. "Petite Poucette"
(Le Pommier, 84 p., 9,50 euros).
Connaissez vous Antonella Verdiani ? elle vient de publier un livre :
RépondreSupprimer" Ces écoles qui rendent nos enfants heureux."
aux éditions Actes Sud
http://www.actes-sud.fr/catalogue/societe/ces-ecoles-qui-rendent-les-enfants-heureux
Bonjour Cher(e) anonyme,
Supprimermerci de votre commentaire...
Je connais en effet Antonella Verdiani, et son livre m'arrivait dès sa sortie! ;)
Mais je vous remercie de votre attention!
A bientôt!