samedi 9 février 2013

L'école, c'est fini (presse)



FORUM DE GRENOBLE Mehdi Benchoufi livre une tribune hétérodoxe en vue de sa participation au forum de Grenoble. Par MEDHI BENCHOUFI, fondateur du Club Jade - Libération, 29/01/13 - 

A l'évidence, pour qu’une réforme de l’Education soit conçue à la mesure de l’urgence que les gouvernements semblent y attacher, la réflexion doit partir d’un point extrémal : en quoi l’Ecole est-elle nécessaire ? En quoi observe-t-elle le monde tel qu’il est au présent, en quoi transmet-elle la volonté de le transformer ? S’il est réputé faire consensus que les enfants y apprendront la vie en société, il n’est pas évident que les enfants y développeront d’autres compétences que celles déduites de tâches plates et scolaires de mémorisation.

Il n’est pas anodin de constater qu’Internet est un sujet largement absent des débats qui animent la communauté éducative. Il demeure loin des préoccupations et des représentations apprises de nos élites, lors même qu’il est l’espace premier de circulation, de diffusion et d’expansion de savoir. C’est de là que nous allons remonter le noeud de notre raisonnement : en effet, nous voyons deux points de tensions majeurs qui amènerons l’Ecole à un changement radical.

Elle est un espace hermétique de la transmission du savoir, alors qu’Internet est devenu le lieu où l’Information, sans préjugé de sa qualité, s’accumule et se partage massivement et ce lieu est ubiquitaire, ce qui un jour ou l’autre contraindra l'école à lever son rideau de fer pour se connecter à un environnement qui trop souvent lui est extérieur. Par ailleurs, comme l’affirment certains sociologues, si le media est le message, internet par nature met en lien et, à la mesure du monde qui vient, se construit et ne peut évoluer que selon une dynamique d’ouverture et de partage.

Or, l’Ecole française est un espace reclus, où l’on ne partage pas, où pire, partager est gruger, un espace compétitif où l’on bâtit l’estime de soi contre celle des autres. A l’heure où le savoir circule partout à toute vitesse notamment et notablement par internet, il s’en faudra peu pour que l’Ecole et l’université n’apparaissent aux yeux des générations qui viennent ce que nous percevons aujourd’hui des abbayes du bas moyen-âge, des lieux canoniques, clos et fermés de dispensation du savoir.

Alors qu’une nouvelle réforme de l'éducation est âprement discutée, nous pouvons regretter que le récent débat n’ait pas su situer la réflexion loin des frontières battues. L'échec patent de notre système scolaire est établi depuis de nombreuses années et jaugé à un rythme régulier, tous les trois ans, par l’Etude PISA : la France roupille au fond du classement, quelque part vers la 23ème place. Les compétences de nos élèves sont plutôt médiocres.

A l’inverse de quoi, le système finlandais étonne par sa réussite : les élèves y obtiennent globalement un bon niveau, et la différence entre les plus forts et les plus faibles y est la plus faible. Les piètres résultats en France sont le prix à payer d’un système tout entier érigée vers la constitution d’une élite, qui en elle seule recèlerait la capacité de présider aux destinées de la Nation, la recherche des talents rares, la détection des exceptions qui feront la règle consacrant l’idée d’un messianisme méritocratique. En formulant l’hypothèse de l’exception de quelque uns, on l’induit.

Or, nous avons ici la conviction que l'école républicaine, dont les fondements sont acceptés par tous, parents d'élèves en tête, demeure un des lieux les plus violents de notre société, celui où l’on construit le succès des uns sur l’humiliation des autres. Comment peut-il encore échapper à la Gauche française, thuriféraire du projet républicain, que la méritocratie est une silhouette aussi discrète qu’extrême de l’individualisme qu’elle conteste.

Aussi nettement que l’Etude PISA le mesure, les élèves français peinent à s’adapter devant des situations nouvelles, et pire que tout craignent le jugement niché dans le regard du professeur ou de leurs congénères. En effet, que peut-il rester de l’enseignement après se l'être vu infligé ? L'école peut-elle demeurer le lieu trop commun où l’on enseigne le culte de la culture, l’autorité et la soumission à de grandes figures dont on nous abreuve du génie? abstractions que l’on retrouvera quelque années plus tard transmuées sous une symbolique de plomb : grandes écoles, grandes entreprises, grands hommes. ..

Les enfants sont alors écrasés de références, on apprend l’admiration et peu la création, la fascination pour le sachant, dans le costume duquel l’enseignant se glisse souvent, au prix d’ailleurs d’une confusion d’identité parfois troublante, qui est la substance même de ce que l’on appelle la vocation. Quand on apprend à admirer, on apprend à soumettre. On ne peut fixer un système éducatif sous la marque de l’autorité des enseignants et prétendre former les individus au jugement critique. La valorisation du sachant qui l’emporte sur l’interrogation du savoir lui-même est une faute et explique l’enclenchement de la marche arrière pleine vitesse qui nous éconduit aujourd’hui.

Essentiellement, lorsqu’il s’agit de faire évoluer l’ensemble de ce système, deux attitudes s’opposent : d’une part la crispation autour d’un passé mythifié, celui où les élèves apprenaient sans broncher, sous la férule d’un professeur drapé d’une aura ou d’une autorité légitime, cette autorité par défaut devenant alors l'évidence initiale et première à l’ensemble du système, nous y reviendrons - d’autre part le choix d’un système articulé autour de l’ouverture, du partage du savoir, et d’une autorité professorale qui ne serait pas première mais construite, consentie plus qu’imposée, et qui en tout état de cause ne serait pas le coeur du dispositif éducatif mais un collatéral accepté et second à l'épanouissement des élèves et des enseignants, le tout formulé dans une relation mûre où au fond l’enseignant deviendrait pour les élèves un partenaire de savoir.

Le numérique et les nouvelles humanités

Nous pensons que les outils numériques peuvent être un allié de choix pour développer les compétences des enfants et que l’usage du web doit être à la mesure de ce qu’Internet est à notre monde ce que l’imprimerie fut au siècle de Guttemberg. Il ne s’agit donc pas de numériser nos vieilles méthodes pédagogiques en apposant le terme numérique à chaque utilité scolaire : cartable numérique, tableau numérique, etc..
Il s’agit de transformer un système qui ne se gravit qu'à la maîtrise de la répétition-restitution, l’enjeu n'étant pas de savoir mais de comprendre.
Avant que d’aborder l’impact des opportunités qu’offrent les technologies numériques, construisons l’espace qui saura les accueillir afin d’en déduire l’usage le plus efficace. Ainsi, en tout premier lieu, revoyons totalement le design des classes pour faire place à des espaces qui, à la mesure du savoir qui sera transmis, doivent être, ouverts, larges et partagés.

Pour mémoire, un nourrisson apprend largement du fait qu’il est en constant déplacement, qu’il tente tout, qu’il explore son environnement : abattons donc les cloisons physiques entre les classes, ré-agençons les espaces de l'école, car, aussi naturel que cela puisse paraître, asseoir un enfant dans une classe est un acte d’autorité d’une invraisemblable violence et 15 ans durant l''élève' ne sera ni debout ni libre de ses mouvements.

L’apprentissage des langues informatiques ne doit pas être considéré comme un luxe éducatif. Ces langues sont devenues une nécessité, aussi importantes que le sont les mathématiques. Outil d’apprentissage de la rigueur et de la concentration, elles sont parties prenantes des nouvelles humanités.
Au delà de l’enjeu qui consiste pour nos sociétés à trouver les bonnes complémentarités entre l’homme et la machine, ce que certains synthétisent dans la formule «programmer ou être programmé», elles sont un langage performatif où l’enfant peut construire sa récompense, notamment par le serious gaming. Indiquons à ce titre, que de tels enseignements sont devenus obligatoires en Estonie et aussi bien la Finlande s’apprête à généraliser l’apprentissage de l'écriture sur clavier en lieu et place du papier-crayon.

Le rapport de l’enfant et du professeur ne doit plus être celui du sachant et de l’apprenant, de l’autorité qui dispense et du sujet qui reçoit. Il s’agit d’insister sur le partage dans le processus d’apprentissage et non sur la compétition par les notes. L’usage des technologies numériques ouvrent un horizon à perte revue : serious games** pour un apprentissage ludique et exploratoire, à l’image de ce qu’il est dans les toutes premières années de la vie ; réseaux sociaux intra-scolaires ; apprentissage de l'écriture et de la lecture 'en passant', par la découverte du web ; acquisition de nouvelles compétences sociales essentielles à une vie en société en partie digitale ; classes virtuelles (et pourquoi pas jumelage de classes européennes pour apprentissage des langues étrangères par la pratique). Au fond nous voyons dans le numérique un intermédiaire possible pour une paix négociée entre élèves et professeurs.

Le travail des enseignants peut être largement facilité : tâches contraignantes et répétitives transférées aux machines ; accompagnement personnalisé des enfants ; affinement des indicateurs de suivi des acquisitions des enfants ; détection précoce des difficultés scolaires ; informations aux parents facilitées ; transmission des nouvelles compétences : learning by doing, navigation et recherche des informations sur le net ; ranimation des cours de rhétorique si l’on considère qu’aujourd’hui l’alexandrin s'écrit en 140 caractères ; plutôt que de contester la qualité de wikipedia, dont le taux d’erreur est aujourd’hui comparable à celui de l’encyclopédie Britannica, amenons les enfants à y contribuer, orientant les enfants vers une scolarité contributive.

Au fond, il s’agit de revoir avec humilité l’ensemble des processus de diffusion du savoir. Partons d’un constat simple : les enfants acquiert le langage à une vitesse vertigineuse pendant les première années de leur vie, alors qu’ils ne connaissent ni grammaire ni conjugaison, (ce constat devrait être l’occasion d’un plaidoyer appuyé pour la fin de la notation et contre la culpabilisation de l’erreur par l’obsession du zéro-faute). Les enfants en très bas âge ont des capacités remarquables et évoluent selon une courbe d’apprentissage sensiblement constante d’un milieu à l’autre, d’une société à l’autre, d’une culture à l’autre. A quelques semaines d’intervalle, les compétences motrices, sensorielles sont acquises de façon exceptionnellement synchrone.

Nous formulons l’hypothèse que c’est le jour de l’entrée à l'école que l’ensemble de ces capacités déclinent, le processus de différentiation sociale en exagérant ou en limitant les effets. Les processus d’intellection sont chez les enfants infiniment plus puissants que ce à quoi les méthodes discursives les ramènent : l’enfant apprend en s’appuyant sur l’expérience, un learning by doing naturel, il converge vers le processus d’expression par itération successive. Ainsi l’apprentissage devrait être profondément pratique et interactif...

Quittons-nous alors sur l'évocation d’une expérience réalisée en Inde, «a hole in the wall», apparentée aux courants pédagogiques dits «SOLE», Self Organized Learning Environment. Un professeur, Suga Mitra, a travaillé plusieurs mois avec une classe d'élèves au patrimoine social et culturel faible, chacun d’entre eux ayant pu travailler avec un ordinateur et surfer sur le web. De façon spectaculaire, les enfants ont développé des compétences au-delà de ce qui était attendu d’eux, notamment en langues (la fréquence de l’usage de l’anglais sur internet ayant rendu incontournable sa maîtrise).

Mais le plus surprenant est que les enfants, à des fins d’exploration d’un internet vaste, dense et complexe, ont développé une stratégie de partage des informations pour accéder aux sites et aux informations recherchées. A la lumière de tout cela, nous pensons que nous entrons dans une ère nouvelle qui verra l'école armer et mettre en réseau les potentiels de chacun, et ce, selon un design d’intervention des enseignants revus, corrigés et limités : c’est une éducation aussi collaborative qu’autonome, nous pensons alors que l’Ecole telle qu’on la connaît disparaîtra, qu’elle sera un espace d’animation où les enfants découvriront la vie en société, et que l’apprentissage se jouera ailleurs, tout au long de la vie, et sans doute quelque part partout sur internet... comme une genèse pour des Emile.

**Serious gaming, learning by doing… : ne perdons pas de vue qu’ici les enjeux économiques sont forts et il ne faudra pas s'étonner que le sort réservé aux Majors et autres Virgin ne soit celui de l’industrie éducative. En effet, La bataille du savoir étant une des clés, sinon la clé qui ouvrira le chemin de la compétitivité, de nombreux pays développent des stratégiques économiques agressives autour d’un marché de l’apprentissage aujourd’hui mondial. Pépinières d’innovation, de très nombreuses start-ups américaines s’emparent du sujet éducatif et développent des outils particulièrement efficaces et créatifs dans ce secteur (Khan Academy, Brightstorm, Engrade,...).De la même façon, à l’autre bout de la chaîne de formation, les universités américaines sont aussi remarquablement présentes sur la toile, offrant des formations en ligne de grande qualité, l’occasion pour ces dernières de former et aussi bien de communiquer. Ici, l’Open Access est le paradigme fondateur, sur lequel nous nous alignerons tôt ou tard, après, comme d’habitude, avoir défendu l’exception culturelle française, laquelle n’est qu’une façon de dire non avant de dire oui, et le temps sera perdu.

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