FORUM DE GRENOBLE Mehdi Benchoufi
livre une tribune hétérodoxe en vue de sa participation au forum de Grenoble. Par MEDHI BENCHOUFI, fondateur du
Club Jade - Libération, 29/01/13 -
A l'évidence, pour qu’une réforme
de l’Education soit conçue à la mesure de l’urgence que les gouvernements
semblent y attacher, la réflexion doit partir d’un point extrémal : en
quoi l’Ecole est-elle nécessaire ? En quoi observe-t-elle le monde tel qu’il
est au présent, en quoi transmet-elle la volonté de le transformer ? S’il est
réputé faire consensus que les enfants y apprendront la vie en société, il
n’est pas évident que les enfants y développeront d’autres compétences que
celles déduites de tâches plates et scolaires de mémorisation.
Il n’est pas anodin de constater
qu’Internet est un sujet largement absent des débats qui animent la communauté
éducative. Il demeure loin des préoccupations et des représentations apprises
de nos élites, lors même qu’il est l’espace premier de circulation, de
diffusion et d’expansion de savoir. C’est de là que nous allons remonter le
noeud de notre raisonnement : en effet, nous voyons deux points de
tensions majeurs qui amènerons l’Ecole à un changement radical.
Elle est un espace hermétique de
la transmission du savoir, alors qu’Internet est devenu le lieu où l’Information,
sans préjugé de sa qualité, s’accumule et se partage massivement et ce lieu est
ubiquitaire, ce qui un jour ou l’autre contraindra l'école à lever son rideau
de fer pour se connecter à un environnement qui trop souvent lui est extérieur.
Par ailleurs, comme l’affirment certains sociologues, si le media est le
message, internet par nature met en lien et, à la mesure du monde qui vient, se
construit et ne peut évoluer que selon une dynamique d’ouverture et de partage.
Or, l’Ecole française est un
espace reclus, où l’on ne partage pas, où pire, partager est gruger, un espace
compétitif où l’on bâtit l’estime de soi contre celle des autres. A l’heure où
le savoir circule partout à toute vitesse notamment et notablement par
internet, il s’en faudra peu pour que l’Ecole et l’université n’apparaissent
aux yeux des générations qui viennent ce que nous percevons aujourd’hui des
abbayes du bas moyen-âge, des lieux canoniques, clos et fermés de dispensation
du savoir.
Alors qu’une nouvelle réforme de
l'éducation est âprement discutée, nous pouvons regretter que le récent débat
n’ait pas su situer la réflexion loin des frontières battues. L'échec patent de
notre système scolaire est établi depuis de nombreuses années et jaugé à un
rythme régulier, tous les trois ans, par l’Etude PISA : la France roupille
au fond du classement, quelque part vers la 23ème place. Les compétences de nos
élèves sont plutôt médiocres.
A l’inverse de quoi, le système
finlandais étonne par sa réussite : les élèves y obtiennent globalement un
bon niveau, et la différence entre les plus forts et les plus faibles y est la
plus faible. Les piètres résultats en France sont le prix à payer d’un système
tout entier érigée vers la constitution d’une élite, qui en elle seule
recèlerait la capacité de présider aux destinées de la Nation, la recherche des
talents rares, la détection des exceptions qui feront la règle consacrant
l’idée d’un messianisme méritocratique. En formulant l’hypothèse de l’exception
de quelque uns, on l’induit.
Or, nous avons ici la conviction
que l'école républicaine, dont les fondements sont acceptés par tous, parents
d'élèves en tête, demeure un des lieux les plus violents de notre société,
celui où l’on construit le succès des uns sur l’humiliation des autres. Comment
peut-il encore échapper à la Gauche française, thuriféraire du projet
républicain, que la méritocratie est une silhouette aussi discrète qu’extrême
de l’individualisme qu’elle conteste.
Aussi nettement que l’Etude PISA
le mesure, les élèves français peinent à s’adapter devant des situations
nouvelles, et pire que tout craignent le jugement niché dans le regard du
professeur ou de leurs congénères. En effet, que peut-il rester de
l’enseignement après se l'être vu infligé ? L'école peut-elle demeurer le lieu
trop commun où l’on enseigne le culte de la culture, l’autorité et la
soumission à de grandes figures dont on nous abreuve du génie? abstractions que
l’on retrouvera quelque années plus tard transmuées sous une symbolique de
plomb : grandes écoles, grandes entreprises, grands hommes. ..
Les enfants sont alors écrasés de
références, on apprend l’admiration et peu la création, la fascination pour le
sachant, dans le costume duquel l’enseignant se glisse souvent, au prix
d’ailleurs d’une confusion d’identité parfois troublante, qui est la substance
même de ce que l’on appelle la vocation. Quand on apprend à admirer, on apprend
à soumettre. On ne peut fixer un système éducatif sous la marque de l’autorité
des enseignants et prétendre former les individus au jugement critique. La
valorisation du sachant qui l’emporte sur l’interrogation du savoir lui-même
est une faute et explique l’enclenchement de la marche arrière pleine vitesse
qui nous éconduit aujourd’hui.
Essentiellement, lorsqu’il s’agit
de faire évoluer l’ensemble de ce système, deux attitudes s’opposent :
d’une part la crispation autour d’un passé mythifié, celui où les élèves
apprenaient sans broncher, sous la férule d’un professeur drapé d’une aura ou
d’une autorité légitime, cette autorité par défaut devenant alors l'évidence
initiale et première à l’ensemble du système, nous y reviendrons - d’autre part
le choix d’un système articulé autour de l’ouverture, du partage du savoir, et
d’une autorité professorale qui ne serait pas première mais construite, consentie
plus qu’imposée, et qui en tout état de cause ne serait pas le coeur du
dispositif éducatif mais un collatéral accepté et second à l'épanouissement des
élèves et des enseignants, le tout formulé dans une relation mûre où au fond
l’enseignant deviendrait pour les élèves un partenaire de savoir.
Le numérique et les nouvelles humanités
Nous pensons que les outils
numériques peuvent être un allié de choix pour développer les compétences des
enfants et que l’usage du web doit être à la mesure de ce qu’Internet est à
notre monde ce que l’imprimerie fut au siècle de Guttemberg. Il ne s’agit donc
pas de numériser nos vieilles méthodes pédagogiques en apposant le terme
numérique à chaque utilité scolaire : cartable numérique, tableau
numérique, etc..
Il s’agit de transformer un
système qui ne se gravit qu'à la maîtrise de la répétition-restitution, l’enjeu
n'étant pas de savoir mais de comprendre.
Avant que d’aborder l’impact des
opportunités qu’offrent les technologies numériques, construisons l’espace qui
saura les accueillir afin d’en déduire l’usage le plus efficace. Ainsi, en tout
premier lieu, revoyons totalement le design des classes pour faire place à des
espaces qui, à la mesure du savoir qui sera transmis, doivent être, ouverts,
larges et partagés.
Pour mémoire, un nourrisson
apprend largement du fait qu’il est en constant déplacement, qu’il tente tout,
qu’il explore son environnement : abattons donc les cloisons physiques
entre les classes, ré-agençons les espaces de l'école, car, aussi naturel que cela
puisse paraître, asseoir un enfant dans une classe est un acte d’autorité d’une
invraisemblable violence et 15 ans durant l''élève' ne sera ni debout ni libre
de ses mouvements.
L’apprentissage des langues
informatiques ne doit pas être considéré comme un luxe éducatif. Ces langues
sont devenues une nécessité, aussi importantes que le sont les mathématiques.
Outil d’apprentissage de la rigueur et de la concentration, elles sont parties
prenantes des nouvelles humanités.
Au delà de l’enjeu qui consiste pour
nos sociétés à trouver les bonnes complémentarités entre l’homme et la machine,
ce que certains synthétisent dans la formule «programmer ou être programmé»,
elles sont un langage performatif où l’enfant peut construire sa récompense,
notamment par le serious gaming. Indiquons à ce titre, que de tels
enseignements sont devenus obligatoires en Estonie et aussi bien la Finlande
s’apprête à généraliser l’apprentissage de l'écriture sur clavier en lieu et
place du papier-crayon.
Le rapport de l’enfant et du professeur
ne doit plus être celui du sachant et de l’apprenant, de l’autorité qui
dispense et du sujet qui reçoit. Il s’agit d’insister sur le partage dans le
processus d’apprentissage et non sur la compétition par les notes. L’usage des
technologies numériques ouvrent un horizon à perte revue : serious games**
pour un apprentissage ludique et exploratoire, à l’image de ce qu’il est dans
les toutes premières années de la vie ; réseaux sociaux intra-scolaires ;
apprentissage de l'écriture et de la lecture 'en passant', par la découverte du
web ; acquisition de nouvelles compétences sociales essentielles à une vie en
société en partie digitale ; classes virtuelles (et pourquoi pas jumelage de
classes européennes pour apprentissage des langues étrangères par la pratique).
Au fond nous voyons dans le numérique un intermédiaire possible pour une paix
négociée entre élèves et professeurs.
Le travail des enseignants peut
être largement facilité : tâches contraignantes et répétitives transférées aux
machines ; accompagnement personnalisé des enfants ; affinement des indicateurs
de suivi des acquisitions des enfants ; détection précoce des difficultés
scolaires ; informations aux parents facilitées ; transmission des nouvelles
compétences : learning by doing, navigation et recherche des informations
sur le net ; ranimation des cours de rhétorique si l’on considère
qu’aujourd’hui l’alexandrin s'écrit en 140 caractères ; plutôt que de contester
la qualité de wikipedia, dont le taux d’erreur est aujourd’hui comparable à
celui de l’encyclopédie Britannica, amenons les enfants à y contribuer,
orientant les enfants vers une scolarité contributive.
Au fond, il s’agit de revoir avec
humilité l’ensemble des processus de diffusion du savoir. Partons d’un constat
simple : les enfants acquiert le langage à une vitesse vertigineuse
pendant les première années de leur vie, alors qu’ils ne connaissent ni
grammaire ni conjugaison, (ce constat devrait être l’occasion d’un plaidoyer
appuyé pour la fin de la notation et contre la culpabilisation de l’erreur par
l’obsession du zéro-faute). Les enfants en très bas âge ont des capacités
remarquables et évoluent selon une courbe d’apprentissage sensiblement
constante d’un milieu à l’autre, d’une société à l’autre, d’une culture à
l’autre. A quelques semaines d’intervalle, les compétences motrices,
sensorielles sont acquises de façon exceptionnellement synchrone.
Nous formulons l’hypothèse que
c’est le jour de l’entrée à l'école que l’ensemble de ces capacités déclinent,
le processus de différentiation sociale en exagérant ou en limitant les effets.
Les processus d’intellection sont chez les enfants infiniment plus puissants
que ce à quoi les méthodes discursives les ramènent : l’enfant apprend en
s’appuyant sur l’expérience, un learning by doing naturel, il converge vers le
processus d’expression par itération successive. Ainsi l’apprentissage devrait
être profondément pratique et interactif...
Quittons-nous alors sur
l'évocation d’une expérience réalisée en Inde, «a hole in the wall», apparentée
aux courants pédagogiques dits «SOLE», Self Organized Learning Environment. Un
professeur, Suga Mitra, a travaillé plusieurs mois avec une classe d'élèves au
patrimoine social et culturel faible, chacun d’entre eux ayant pu travailler
avec un ordinateur et surfer sur le web. De façon spectaculaire, les enfants
ont développé des compétences au-delà de ce qui était attendu d’eux, notamment
en langues (la fréquence de l’usage de l’anglais sur internet ayant rendu
incontournable sa maîtrise).
Mais le plus surprenant est que
les enfants, à des fins d’exploration d’un internet vaste, dense et complexe,
ont développé une stratégie de partage des informations pour accéder aux sites
et aux informations recherchées. A la lumière de tout cela, nous pensons que
nous entrons dans une ère nouvelle qui verra l'école armer et mettre en réseau
les potentiels de chacun, et ce, selon un design d’intervention des enseignants
revus, corrigés et limités : c’est une éducation aussi collaborative qu’autonome,
nous pensons alors que l’Ecole telle qu’on la connaît disparaîtra, qu’elle sera
un espace d’animation où les enfants découvriront la vie en société, et que
l’apprentissage se jouera ailleurs, tout au long de la vie, et sans doute
quelque part partout sur internet... comme une genèse pour des Emile.
**Serious gaming, learning by
doing… : ne perdons pas de vue qu’ici les enjeux économiques sont forts et
il ne faudra pas s'étonner que le sort réservé aux Majors et autres Virgin ne
soit celui de l’industrie éducative. En effet, La bataille du savoir étant une
des clés, sinon la clé qui ouvrira le chemin de la compétitivité, de nombreux
pays développent des stratégiques économiques agressives autour d’un marché de
l’apprentissage aujourd’hui mondial. Pépinières d’innovation, de très
nombreuses start-ups américaines s’emparent du sujet éducatif et développent
des outils particulièrement efficaces et créatifs dans ce secteur (Khan
Academy, Brightstorm, Engrade,...).De la même façon, à l’autre bout de la
chaîne de formation, les universités américaines sont aussi remarquablement
présentes sur la toile, offrant des formations en ligne de grande qualité,
l’occasion pour ces dernières de former et aussi bien de communiquer. Ici,
l’Open Access est le paradigme fondateur, sur lequel nous nous alignerons tôt
ou tard, après, comme d’habitude, avoir défendu l’exception culturelle
française, laquelle n’est qu’une façon de dire non avant de dire oui, et le
temps sera perdu.
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