jeudi 31 janvier 2013

Apprendre à questionner ? Quand Socrate peut encore être utile !




Les débats autour des compétences informationnelles des jeunes, leurs habiletés, leur naïveté, leur absence de sens critique sont entrés désormais dans le champ de la banalité. Ils acquièrent des connaissances « futiles » et pas des connaissances « utiles », déclarait un orateur lors de la conclusion du séminaire sur le manuel numérique organisé par le ministère de l’éducation les 20 et 21 janvier à l’ENS de Lyon. Ils ne maîtrisent pas réellement l’ordinateur disent les autres enseignants, il leur faut des cours d’informatique disent encore d’autres, fiers d’annoncer qu’ils ont obtenu une option informatique en terminale et que l’informatique entre à nouveau dans l’enseignement.

Mais ce qui est le plus étonnant dans ces débats c’est que, dans la plupart des propos, deux dimensions sont ignorées ou modestement avancées, mais jamais intégrées dans les raisonnements : la première dimension est la question de la maîtrise des adultes, l’autre est la définition de la culture informationnelle. Enfin une proposition récurrente traverse toutes ces prises de parole le monde académique saurait définir ce qu’il faut maîtriser et que ce qui n’en fait pas partie est donc une « futilité », une « illusion ».

L’histoire est têtue, à moins qu’à nouveau l’amnésie ne continue de faire des ravages : « Dans une classe de lycée, remplacer Racine par Brecht, c’est modifier le rapport de l’enseignement avec une tradition autorisée, reçue de chez nous, liée aux pères et à des valeurs  « nobles »; c’est aussi introduire une problématique politique contraire au modèle culturel qui établissait le maître (d’école) en manuducteur de l’expression populaire » (manuducteur : Se disait autrefois d’un officier qui, placé au milieu du choeur, donnait le signal aux choristes pour entonner, marquait le temps et battait la mesure. – Littré en ligne). L’auteur de ce propos poursuit un peu plus loin de la manière suivante : « Chez les enseignants est apparu un sentiment d’insécurité.

Il coexiste avec la conscience de leur extériorité par rapport aux lieux où la culture se développe, l’usine les mass media, les techniques, les grandes entreprises… L’enseignant flotte à la surface de la culture : il se défend d’autant plus qu’il se sait fragile. Il se raidit. Il est porté à renforcer la loi sur les frontières d’un empire dont il n’est plus sûr. » A ce texte publié en 1974, il est intéressant d’associer un texte publié en 1983 : « Faut il encore une école ? Oui et plus que jamais, pour trois raisons : la communication, la distance, la mémoire [...] l’école pourrait d’abord être le lieu de la « table du savoir », table au sens traditionnel. Non pas tant le lieu de la communication du savoir, mais le lieu de la communication entre des hommes qui ont emmagasiné des connaissances à partir de la multiplicité de leurs récepteurs individuels ».

Renvoyons donc à la lecture du livre « la culture au pluriel » de Michel de Certeau (Points 1973 – 1987) ainsi qu’à celle du livre « Les nouveaux modes de comprendre » de Pierre Babin et Marie France Kouloumdjian (Le Centurion 1983). Bien d’autres auteurs nous ont avertis depuis longtemps, le signe de la peur du monde académique c’est son déni ou sa tentative de normalisation lorsqu’une culture autre que celle qu’elle promeut émerge. Avec les TIC il y a malheureusement plus de trente années que l’on observe cela. La lecture de cet article (http://www.cyberpresse.ca/place-publique/editorialistes/francois-cardinal/201101/14/01-4360295-nos-eleves-illettres-numeriques.php) de François Cardinal devrait pourtant nous faire réfléchir. Intitulé  » Nos élèves, ces illettrés numériques… » l’auteur met en évidence la carence du monde scolaire. Sans entrer dans le détail de l’argumentaire (un peu léger cependant), on peut déceler derrière ces propos les trois dimensions qui sont proposées à notre réflexion ici. En filigrane de ce propos et en faisant du lien avec de nombreuses observations, les enseignants, comme de nombreux adultes, sont très loin de maîtriser l’usage de ces technologies mais ce sont parfois (mais pas toujours) les mêmes qui voudraient imposer aux jeunes cette maîtrise dont ils ignorent même le sens réel.

Car c’est le contour de cette maîtrise qui a bien du mal à émerger des propos des uns et des autres. Les critiques nombreuses du B2i ou du C2I n’ont que rarement amené à un réel travail de recomposition (comme celui, par exemple, qui avait été fait entre 2006 et 2008 à propos de la « numériculture » http://numericulture.org/). Or le mérite de ces certifications était bien de s’attaquer aux deux supposés problèmes posés par les TIC à l’école : un travail technique et un travail culturel. Certes il y avait à redire et nous n’avons pas manqué de le signaler, mais force est d’observer que les résistances, mais surtout les oppositions (au delà des rituels « temps-moyens-formation) ont été nombreuses. Quant à la distance critique, l’ignorance n’a jamais permis de la créer. C’est au contraire de la connaissance que nait la distance critique; relisons Condorcet pour s’en convaincre, mais observons qu’autant il cherchait à ouvrir vers la connaissance, autant il cherchait à imposer un contrôle fort sur cette connaissance, ce contrôle repris ensuite par Jules Ferry et continué encore de nos jours par de nombreux acteurs politiques de l’éducation.

Un enseignant se questionnait l’autre jour à propos des opinions personnelles : comment en tant qu’enseignant amener les élèves à dépasser les « premières impressions »  pour aller vers la distance critique sans entrer dans le même cercle infernal qui consiste à opposer l’opinion de l’enseignant à celle de l’élève ? La meilleure réponse trouvée est tirée de deux approches : le questionnement Socratique (la maïeutique), le scepticisme argumenté (et non de principe). Malheureusement l’enseignant nous disait qu’avec l’environnement médiatique, il se sentait lui même en grande difficulté pour y parvenir. Manque d’outils d’analyse, manque de connaissance sur les dispositifs et les techniques, manque de connaissance de l’histoire des évolutions scientifiques et techniques, etc…
Interrogeons les enseignants du secondaire et du supérieur sur leur sentiment de maîtrise des TIC, mais aussi de l’environnement informationnelle et de la culture associée (information literacy…) et l’on se rendra rapidement compte qu’ils rivalisent souvent avec leurs élèves mais dans un autre sens : si souvent ils se sentent apte à maîtriser cet environnement, quelques mises en situation nous révèlent rapidement qu’une grande majorité reste très démunie et n’a, comme les élèves que des compétences de surface. Car les contextes sont nouveaux : non seulement il y a la maîtrise technique, mais aussi il y a la gestion dynamique de l’information et de la communication. Or ces deux champs de compétences ne sont pas aussi développées qu’on le pense : il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de noter l’importance de la demande de formation dans ces domaines chaque fois qu’on évoque le développement des TIC dans l’enseignement. Or la particularité de ces évolutions est de ne pas se satisfaire d’une connaissance théorisée et de nécessiter une pratique avancée régulière et surtout une forte capacité à « apprendre de l’expérience ». Et cette dernière compétence est particulièrement développée, dans le domaine des TIC par les jeunes (mais pas théorisée…).
Faire des cours d’informatique, faire des cours d’information, faire des cours de communication…. Belles intentions et nécessités probables, mais largement insuffisantes si elles ne sont pas précédées d’une longue analyse des pratiques spontanées (futiles) mais surtout très avancées, mais pas dans le sens scolaire… Or l’une des constantes des discours sur le domaine va à l’envers : commencer par faire cours et ensuite appliquer ! Mais d’abord cela n’est pas le modèle d’apprentissage développé par nos élèves, et ensuite c’est de « processus de structuration » dont ont réellement besoin les jeunes comme les adultes. Le sens des cours d’informatique ou de communication etc… n’apparait pour les jeunes que s’il permet de comprendre des pratiques réelles non scolaires d’abord et s’il leur permet d’aller plus loin en les amenant à des pratiques « structurantes » et « analysées »; mais pas seulement dans ces cours mais surtout dans toutes les occasions d’usage. Et c’est bien là que très souvent le frein est mis. Mais comme pour la méthodologie, impossible de développer des compétences sans contexte; comme pour l’apprentissage, un savoir ne se transforme en connaissance que s’il est utilisé, et pas dans des exercices systématiques, mais dans des situations complexes. C’est pourquoi ces savoirs, informatiques, informationnels et communicationnels ne peuvent être d’abord étudiés pour eux-mêmes.

Quand à l’esprit critique, il ne peut se développer que dans cette dialectique qui permet de comprendre que les outils ne sont jamais neutres, et qu’ils prennent sens dans des contextes dans lesquels les acteurs les manipulent, les utilisent, les « instrumentalisent ». Les enseignants sont en réalité très démunis pour mettre en oeuvre cet esprit critique pour eux-mêmes et aussi pour le faire développer par leurs élèves. Il y a plusieurs explications à cela dont la principale est que cela demande du temps et de l’activité, ce qui va à l’opposé d’un système scolaire qui « accumule » toujours plus de savoirs sans toujours se poser la question de leur maîtrise, et de la durée nécessaire à leur maîtrise.

Les TIC ont cette particularité d’être disponibles aussi bien dans le système d’enseignement qu’en dehors, il est très regrettable que l’on ne profite pas de cela pour faire du lien, et préférer trop souvent une opposition, voire dans certains cas un mépris… Or les jeunes sont en train de rendre au système scolaire un retour assez juste de cette opposition : ils l’ignorent…

A suivre et à débattre…

Mind mapping (video)


mercredi 30 janvier 2013

L'éducation buissonnière : L'Ecole a-t-elle à apprendre des activités électives des jeunes ?



L'Ecole n'a pas le monopole de l'éducation. Alors que certains enseignants réfutent le terme "éducateur", l'ouvrage d'Anne Barrère (Paris Descartes) fait le point sur les activités choisies par les adolescents. Sport, danse, musique et surtout ordinateur et Internet, ces activités contribuent à façonner les jeunes. Même s'ils restent sous influence des industries culturelles, les jeunes, selon Anne Barrère, n'en sont pas esclaves. Ces activités forgent leur caractère, estime-t-elle, en conclusion d'un ouvrage qui jette un regard positif sur la jeunesse.

"L'éducation buissonnière" part d'une hypothèse, vérifiée par Anne Barrère : les activités électives des adolescents participent fortement de leur éducation. Basé sur des entretiens individuels et de groupe avec des élèves de 3ème et de terminale, l'ouvrage part à la découverte de ces activités et leur donne du sens. Ces activités sont parfois encadrées, parfois informelles, parfois partagées avec les copains, parfois solitaires. A Barrère montre le zapping entre activités et l'explique par trois notions clés pour comprendre les adolescents : la recherche d'intensité, un rapport un peu obsessionnel à la dépendance, et la quête éternelle de sa singularité.

Ainsi nos ados savent se sauvegarder des excès de façon beaucoup plus efficace que ce que les parents et les enseignants peuvent craindre. En tous cas ils ont en permanence l'idée de ne pas y succomber et gèrent leurs excès, sur Internet par exemple, de façon assez fine. Car ce que recherchent vraiment ces ados c'est l'intensité. Ils acceptent beaucoup de choses, y compris des adultes tyranniques, pourvu qu'ils leur permettent d'être "à fond" dans leur activité. C'est cette oscillation entre excès et intensité qui est particulièrement éducative pour ces jeunes. C'est là qu'ils façonnent leur caractère. C'est aussi leur point faible tant il est difficile de maintenir l'intensité longtemps.

Et puis il y a le numérique. Il est modéré par les jeunes de façon plus consciente qu'on ne le craindrait. D'un coté il enferme cette génération dans les schémas des industries culturelles, de l'autre il leur ouvre de nouveaux espaces et de nouvelles façons de grandir. Il contribue aussi à leur construction indépendamment de l'école et des parents et ça c'est peut-être nouveau.

L'école justement a-t-elle à apprendre de cette éducation buissonnière ? Anne Barrère pense que oui. Pour elle ces activités sont "la seule culture gratuite" des ados à une époque où l'Ecole est perçue avant tout comme utilitaire. Elle invite aussi l'école à utiliser ce goût de l'intensité que possèdent les ados pour poser des défis aux élèves. Enfin elle pose la question de l'utilisation de la démarche essai / erreur si propre aux jeunes de la civilisation numérique. L'ouvrage se termine sur une vision de la jeunesse qui est loin d'être pessimiste. "Ils ne s'en sortent pas si mal", des contradictions et des demandes de la société.

Anne Barrère : "Les jeunes sont confrontés par cette culture de masse à des épreuves"

Quand on pense aux adolescents on a souvent l'image d'une génération aliénée par les industries culturelles. Et vous parlez "d'activités électives". Pire encore, vous dites que celles-ci sont "la seule culture gratuite" qu'ils connaissent. Mais la culture n'est ce pas l'affaire de l'Ecole ?

Je parle d'activités électives au sens où, avec beaucoup de chercheurs je remarque que les adolescents ont conquis un droit à une certaine autonomie culturelle depuis les années 1970. Ces activités sont souvent au départ influencées par des adultes. Mais, en grandissant, ils revendiquent ces choix. L'idée d'une aliénation culturelle des jeunes, souvent portée par le monde de l'école, ne rend pas compte de ce qui passe concrètement dans les consommations et pratiques juvéniles, des différences dans la réception, des choix.  Elle donne l’idée trop simple d’une soumission et d’une manipulation globale, dans un domaine où les adolescents sont aussi très avertis et critiques.. Sur la culture gratuite, il y a une sorte de renversement dont est responsable l'Ecole. Etant donnés les enjeux sociaux énormes que porte l'Ecole depuis la massification, la culture scolaire est principalement associée à la réussite et à la trajectoire sociale. Elle y perd un peu d’une gratuité que conserve une sphère extra scolaire qui ne sert pas de manière aussi structurée.

Vous donnez une valeur formative à ces activités. Dans quel domaine ? De quelles activités s'agit-il ? Que font-ils ces ados ?

Je donne une valeur formative à ces activités en ne prenant pas le mot "éducation" au sens d'instruction ou de compétences ou même de socialisation. Je le prends au sens du caractère, de formation de l'individu. En raison de la place de choix qu'elles tiennent dans leur vie. Et aussi parce qu'elles ne sont pas placées sous le seul signe de l'hédonisme ou du divertissement généralisé comme elles sont souvent vues par les adultes. Elles sont aussi une sphère où les adolescents se construisent par rapport à certaines tensions, la première étant cet excès d'opportunités que les adolescents ont depuis le tournant numérique. Contrairement à l'idée d’un laisser-aller général, les adolescents sont contraints au quotidien de « gérer », c’est leur expression, une multiplicité potentielle d’activités. Ils se confrontent alors à des démesures possibles, opèrent des choix, arrivent à certaines formes de modération, que les adultes ne voient pas toujours. Ils ne voient pas non plus comment ils sont pris dans une tension très forte entre la standardisation de l'offre culturelle en fonction de la mode ou de la pression du groupe et la recherche d'une singularité. Comme me le disait une collégienne, "J'ai envie d'être unique mais tout le monde veut faire comme moi".

Observe-t-on des variations selon le genre ? La classe sociale ?

Il y a évidemment tout un continent d'inégalités potentielles dans cette sphère, qui dans l’enquête, paraissent augmenter avec l'âge. Si les collégiens ont tous beaucoup d'activités sportives et culturelles encadrées, les jeunes de LP ou de section technologique des lycées en ont clairement moins. Dans un collège populaire du Pas-de-Calais l'offre est restreinte, et paraît polarisée sur le foot. Le genre aussi fait des différences même s'il ne faut pas tomber dans la caricature. Les jeux vidéo restent très masculins, mais la recherche de singularité se fait parfois en se démarquant des stéréotypes : c'est la bagarreuse par exemple et le garçon qui sature de jeux vidéos et « décroche » d’Internet.

Ces jeunes semblent vouloir vivre ces activités avec intensité. Est-ce vraiment un trait nouveau pour des ados ?

Effectivement, on peut dire que c'est une caractéristique attribuée depuis toujours à l’adolescence. Ce qui est nouveau sans doute, ce sont les injonctions sociales à l'implication existentielle, à la passion ordinaire, au "vivre fort". Le monde du travail, la publicité, l'art même, sont pleins d'injonctions à cette implication. Si l'adolescence a toujours été un âge intense, la société le valorise aujourd’hui d’une manière inédite. L'autre facteur nouveau, c'est le tournant numérique avec une possibilité d'activités potentiellement illimitées. Cette source d' intensité est plus enveloppante dans la vie quotidienne qu'elle ne l'a jamais été pour les adolescents.

Parmi les activités, le numérique s'impose. Dans quelle mesure les jeunes en dépendent-ils ? Quel impact a-t-il sur leur sociabilité ?

Dans une phase de l'enquête j'ai soumis aux jeunes l'hypothèse qu'Internet les isolait des vrais contacts, les éloignait de la vie sociale. Ils sont en total désaccord et ont répondu que ça créée au moins autant d'autre sociabilité que ça isole. Effectivement, certains décrivent des enfermements ou des excès périodiques, mais pour beaucoup d'autres Internet ouvre d'autres perspectives. Le discours adulte sur le numérique est d'ailleurs en partie inaudible car les jeunes s'expriment eux-mêmes tout le temps en terme de risque d’addiction. Ils sont critiques voire marginalisent presque ceux d'entre eux qu'ils disent addictifs au numérique, ils les condamnent eux mêmes. Et puis Internet transforme la sociabilité. On a une subtile dialectique entre sociabilité réelle et virtuelle. Cela ouvre sur des jeux sur l'authenticité, la sincérité des relations. Enfin, sur les réseaux sociaux ils rencontrent aussi des adultes, d’une manière inédite. Un jeune lycéen par exemple dirigeait un groupe de joueurs dont certains étaient bien plus âgés que lui.  

Au carrefour de l'intensité, de l'accro et du numérique, le jeu vidéo tient-il une part particulière dans la vie de ces jeunes ? Les transforme-t-il ?

Difficile de répondre. Mais il me semble que les jeux vidéos sont une sorte d'univers matriciel pour les garçons au collège. Ils perdent cette fonction en avançant en âge. Tous les collégiens font énormément de jeux vidéos, les filles nettement moins. Mais ça se diversifie au lycée. Ils se connectent autant en nombre d'heures mais pour autre chose. En même temps, un jeu peut accompagner toute une scolarité en fonction des scores et des changements de plateforme. L'aspect compétition ludique, l'aspect fatiguant rapproche le jeu du modèle du sport. Et puis il y a l'emprise sur le temps, cette expérience très particulière de ne plus s’apercevoir que le temps passe, tant on est pris par le jeu. Cette expérience particulière est un défi pour les autres activités. Mais pas de caricature, les adolescents décrivent aussi des moments où ils s'ennuient avec les jeux. Il n’y a pas que des moments intenses.

Pourquoi l'Ecole devrait-elle s'intéresser à ces activités électives ?

L'Ecole ne peut que s’y intéresser parce que, pour emprunter une expression de Marcel Gauchet, "ce sont les conditions ordinaires de l'éducation". D’ailleurs,  elle s’y intéresse dans la mesure où elle se sent très souvent menacée, voire envahie par ces activités et par une forme de culture adolescente. De plus, paradoxalement les activités s'organisent en fonction de l'Ecole et sont indissociables d’elle. Elles sont décrites comme un espace de décompression nécessaire après le temps scolaire.

Mais s’y intéresser n’est pas s'y adapter mais comprendre que ces activités posent questions à l'Ecole. L'école doit certainement défendre une partie de sa temporalité lente, cumulative. Mais elle ne peut plus le faire comme si cela allait de soi. Une autre interrogation porte sur les exercices scolaires, qui aujourd’hui ne sont plus vraiment reliés à des préoccupations éducatives. Beaucoup d'enseignants cherchent d'ailleurs des exercices qui font lien entre l'école et la sphère des activités électives. Mais encore une fois, l’enjeu est moins l’importation de ces activités à l’école que le fait de réfléchir à la spécificité de l’école dans cette nouvelle donne culturelle.

Anne Barrère, 2011. L'éducation buissonnière. Quand les adolescents se forment par eux-mêmes. Ed. Armand Colin. 228p.

mardi 29 janvier 2013

Sir Ken Robinson: Building a Culture of Innovation (video)


Visite du Musée de la Musique (vidéo)


« Comment l’élève apprend », conférence de Daniel Favre



Conférence « Comment l’élève apprend » de Daniel Favre, Docteur en neurosciences et professeur en sciences de l’éducation à l’université de Montpellier 2, faite lors du séminaire des inspecteurs de l’académie de Versailles le jeudi 18 novembre 2010 à l’auditorium de l’Internat d’excellence de Marly-le-Roi.

Docteur d’État en neurosciences et docteur en sciences de l’éducation, Daniel Favre est professeur des universités en Sciences de l’éducation à l’IUFM de l’académie de Montpellier. Spécialiste reconnu des mécanismes cognitifs et affectifs de la violence, il a co-organisé en 1999 à la Villette l’expo « Le désir d’apprendre ». Auteur de Transformer la violence des élèves. Cerveau, motivations et apprentissage, (Dunod, 2007), il vient de publier Cessons de démotiver les élèves. 18 clés pour favoriser l’apprentissage (Dunod, 2010) et apporte l’éclairage des neurosciences sur les mécanismes d’apprentissage.

En ligne,  le document de la conférence, ainsi que divers documents sonores :

- « Comment l’élève apprend » : Ouverture de la conférence par M. Favre
Présentation du contexte de ses recherches en neurosciences et des liens avec le thème de la conférence (16 min.)
- « Comment l’élève apprend » : De la perception… aux motivations
De la perception…..aux motivations, l’éclairage des neurosciences (27 min.)
- « Comment l’élève apprend » : Trois systèmes de motivation
Trois systèmes de motivation, complémentaires ou antagonistes en interaction (9 min. 30)
- « Comment l’élève apprend » : Les motivations et apprentissage
Les motivations qui favorisent l’apprentissage et celles qui s’y opposent (9 min. 30)
- « Comment l’élève apprend » : Stress et Apprentissage par M. Favre
Peut-il y avoir un bon et mauvais stress et quelles relations entretiendraient-ils avec l’apprentissage ? (5 min.)
- « Comment l’élève apprend » : 18 clefs pour favoriser l’apprentissage par M. Favre
 « cessons de démotiver les élèves » , 18 clefs pour favoriser l’apprentissage (8 min.)

  

lundi 28 janvier 2013

Revue de presse radio - joyeuse



Quelques émissions à écouter, podcaster,…  sur France Culture

Jouets à fabriquer à partir d'éléments récoltés dans la nature et de matériaux de récupération… Avec :  Daniel Descomps, auteur de « Jouets d’autrefois »

L’invité est le photographe Reza. Il vient de réaliser un travail sur 15 projets éducatifs innovants dans 14 pays différents, du Japon à la Finlande en passant par le Bengladesh. Ces photos sont publiées dans un livre « Learning a living, radical innovation in education for work » publié dans le sillon du Wise (World Innovation Summit for Education), une conférence internationale, organisée par l’état du Qatar, qui réunit des enseignants et des spécialistes des sciences de l’éducation du Monde entier (pour en savoir plus et pour des commentaires critiques, suivre les liens indiqués ci-dessous).
Descendant d’une longue lignée d’enseignants, Reza nous parle  d’école mais aussi de pédagogie et de compétences et nous livre une réflexion nourrie de son expérience de photographe, de journaliste et voyageur.
Learning a living, le livre de photographies de Reza paraîtra le 3 janvier 2013, uniquement en anglais, aux Editions Bloomsbury / Qatar Foundation.

C’est une chose bien singulière que les choses en soient arrivées à ce point, dans notre siècle, que la philosophie, ce soit, jusque chez les gens de grande intelligence, un mot vain et chimérique, qui se trouve n’être d’aucune utilité ni d’aucune valeur et dans l’opinion commune et en fait… Qui me l’a masquée de ce faux visage pâle et hideux ? Il n’est rien de plus gai, de plus allègre et peu s’en faut que je ne dise folâtre. Elle ne prêche que fête et bon temps. Une mine triste et abattue montre qu’elle n’a pas son gite. 

Aujourd’hui nous vous proposons un entretien avec Pierre Léna, astrophysicien, membre de l'Académie des Sciences, il a été l'un des cofondateurs de La Main à la pâte, (avec Georges Charpak et Yves Quéré)  -  Il y est d'ailleurs toujours fortement impliqué, après avoir été de 2005 à 2011, Délégué à l'Education et à la formation de l'Académie des Sciences.-
Il a écrit de très nombreux ouvrages scientifiques et de vulgarisation, et notamment "29 notions-clés pour savourer et faire savourer  les sciences " (Le Pommier, 2010) -
Le titre de son dernier livre : « Enseigner, c’est espérer : Plaidoyer pour l'école de demain » (Editions du Pommier, 2012)… C'est à l'occasion de la parution de ce livre que nous l'avons invité.
Pierre Léna nous dira pourquoi, pour lui, encore aujourd'hui...Enseigner c'est espérer… Une perspective intéressante et pleine d'avenir et d'espoir, à la fois pour les enseignants et les élèves..

Arborescences, une école pilote indépendante (vidéo)


Jacquard: la vraie intelligence (video)


La théorie des Intelligences multiples d'Howard Gardner



La notion d' « Intelligences multiples » a été proposée par un professeur de l'Université de Harvard, Howard Gardner, en 1983 dans son livre Frames of Minds : the Theory of Multiple Intelligence. 
Il suggère que chaque individu dispose de plusieurs types d'intelligences, pour lesquelles il a naturellement une plus ou moins grande compétence. Sa théorie a été reprise par de nombreux chercheurs et on distingue aujourd'hui huit principales formes d'intelligences :

L'intelligence corporelle / kinesthésique 

C'est la capacité à utiliser son corps d'une manière fine et élaborée, à s'exprimer à travers le mouvement, à être habile avec les objets. 

L'intelligence interpersonnelle 

C'est la capacité d'entrer en relation avec les autres. 

L'intelligence intrapersonnelle 

C'est la capacité à avoir une bonne connaissance de soi-même. 

L'intelligence logique-mathématique 

C'est la capacité à raisonner, à compter et à calculer, à tenir une raisonnement logique. C'est cette forme d'intelligence qui est évaluée dans les tests dits de « Quotient intellectuel ». 

L'intelligence musicale / rythmique 

C'est la capacité à percevoir les structures rythmiques, sonores et musicales. 

L'intelligence naturaliste 

C'est la capacité à observer la nature sous toutes ses formes, la capacité à reconnaître et classifier des formes et des structures dans la nature. 

L'intelligence verbale-linguistique 

C'est la capacité à percevoir les structures linguistiques sous toutes leurs formes. 

L'intelligence visuelle / spatiale 
C'est la capacité à créer des images mentales et à percevoir le monde visible avec précision dans ses trois dimensions.

L'utilisation de la théorie des Intelligences multiples ne vise pas, bien sûr, à classifier les individus selon un seul type d'intelligence et à les enfermer dans des catégories et exclusives. Il s'agit au contraire de s'appuyer sur des capacités naturellement plus développées pour développer les autres. De plus, la ou les formes d'intelligences privilégiées par un individu peut varier avec le temps.
 L'apport de la théorie d'Howard Gardner aux pratiques pédagogiques a été introduit en France par Bruno Hourst, enseignant et chercheur en pédagogie. 
Face à l'hétérogénéité des élèves, souvent présentée comme un frein aux apprentissages, le prisme des Intelligences Multiples peut apporter un éclairage nouveau et enrichir les pratiques de différenciation. Il ne s'agit pas de suivre un modèle et on peut donc adapter la théorie des Intelligences Multiples à toute situation d'apprentissage et à tout contexte de classe.

Quels sont les apports des intelligences multiples ?

Pour les élèves
Ils apprécient cette démarche et se montrent très motivés. Elle leur permet d'exprimer tout leur potentiel, souvent bien au-delà des attentes des enseignants.
 Ils prennent ainsi confiance en eux. Les élèves les plus en difficulté prennent conscience qu'ils peuvent tout aussi bien réussir que leurs camarades et acquérir les compétences et les savoirs attendus en utilisant d'autres chemins d'accès. Le risque d'enkystement des difficultés est réduit.
 Quel que soit le niveau des élèves ils trouvent tous, dans la démarche des Intelligences Multiples une source de progrès. Pour ceux qui sont les plus avancés dans les apprentissages, la possibilité qui leur est offerte d'approfondir un sujet leur évite l'ennui.
L'autonomie est renforcée par l'habitude que prennent les élèves de gérer leur participation aux divers ateliers.

Pour les enseignants
« La mise en place de cette démarche d'apprentissage change, c'est certain, des pratiques de classe conventionnelles et oblige l'enseignant à se poser bien plus de questions... » (E. Meddeb)
Utiliser la démarche des Intelligences Multiples, c'est faire le choix d'un changement de posture pédagogique. En début de séquence, il est organisateur, accompagnateur. En fin de séquence, il apporte des connaissances, synthétise l'ensemble des acquis et structure les savoirs à acquérir.
 Le rôle de l'enseignant est évidemment primordial dans la mise en place des séquences. Il doit prendre soin de développer toutes les formes d'intelligence et éviter de renforcer seulement celles qui sont dominantes et que les élèves utilisent spontanément par facilité.


dimanche 27 janvier 2013

Apprendre avec les neurosciences (livre)



Le monde qui vient suppose que nous sachions transmettre à ceux qui arrivent et vont nous remplacer, nous citoyens aujourd'hui adultes, la passion d'apprendre, de comprendre et d'inventer un univers dont nous ignorons encore ce qu'il sera.
Le livre de Pascale Toscani nous ouvre des voies neuves pour faire évoluer ensemble notre si précieux système éducatif et lui permettre d'être demain à la hauteur d'une si haute et si nécessaire ambition. Pour moi, "Apprendre avec les neurosciences", c'est un grand livre. Extrait de la préface d'Hervé Sérieyx. Ce livre réintroduit la confiance et le professionnalisme indispensable non seulement à la réussite des élèves mais aussi à l'épanouissement professionnel des enseignants et des éducateurs. La prise en compte des sciences cognitives dans l'espace scolaire va permettre à chacun de mieux comprendre les chemins sinueux de l'apprentissage, de la mémoire, de l'attention, de la motivation, des effets du stress. Ce livre nous offre deux leçons: celle d'un renouvellement de notre système éducatif par l'introduction des neurosciences et celle de l'efficacité d'une recherche-action quand elle conjugue la rigueur scientifique et la culture de la complexité. Extrait de la postface de Christian Philibert

Biographie de l'auteur
Pascale Toscani est enseignante-chercheuse, maître de conférence, à l'Université catholique de l'Ouest (UCO Angers). Elle contribue à la formation des enseignants. Elle conduit, depuis plusieurs années, des programmes de formation pour introduire les connaissances liées aux neurosciences dans l'acte éducatif. Elle collabore notamment avec des acteurs québécois à ce sujet.

Pascale Toscani, Apprendre avec les neurosciences. 2012. Ed. Chronique sociale.

samedi 26 janvier 2013

Les Relations Maître-Elève (livre)



Les relations du maître et de l'élève se déploient dans un réseau de stratégies. L'auteur s'est efforcé de considérer la relation pédagogique dans toute son ampleur, de la maternelle à l'université, en montrant comment, au-delà de la nécessaire maîtrise des techniques d'enseignement, celle-ci pèse de façon décisive sur le destin scolaire de l'enfant et de l'adolescent. S'agit-il d'une histoire d'amour ou d'une histoire de raison ? Un ouvrage miroir pour chaque éducateur, un texte décapant qui n'hésite pas à remettre en cause la déontologie de tradition dans l'éducation nationale. Ce texte est la seconde édition revue et augmentée d'un ouvrage paru en 1995, chez Armand Colin.

Biographie de l'auteur
Daniel GAYET est maître de conférences à l'Université Paris X-Nanterre. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le système scolaire, sur les pratiques familiales et sur les relations entre enfants.

Daniel Gayet, Les Relations Maître-Elève. 2007. Ed. Anthropos.

vendredi 25 janvier 2013

Yoga des enfants : la sérénité à leur portée



Leurs journées ne sont pas toujours une partie de plaisir. Sollicités sans relâche par des programmes chargés, les enfants sont souvent surmenés, comme les adultes. Et, comme eux, ils ont besoin de se relaxer. A l’école ou à la maison, le yoga peut les y aider.
Odile Chabrillac, pour Psychologies.com
Entretien avec Micheline Flak
Chercheuse en sciences de l’éducation et formatrice pour l’Education nationale, elle a fondé, en 1978, Recherche sur le yoga dans l’éducation (RYE - T. : 01.47.70.09.29. . Elle a écrit, avec Jacques de Coulon, “Des enfants qui réussissent” (Desclée de Brouwer, 1991).
Site Internet : rye.free.fr

Micheline Flak se bat depuis les années 1970 pour que le yoga franchisse les portes de l’école. Pari gagné aujourd’hui. Dans le cadre des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres), de plus en plus d’élèves instituteurs bénéficient d’un enseignement du yoga.

Psychologies : Comment peut-on intégrer ces techniques dans la vie scolaire ?
Micheline Flak : Il existe deux manières de le faire. Soit un intervenant extérieur donne un cours (sur le temps scolaire ou à l’heure du déjeuner). Soit l’enseignant, formé au yoga, propose une pratique de quelques minutes avant de commencer la journée ou lorsqu’il sent ses élèves particulièrement tendus.

De quelle manière procède l’enseignant ?
Dans la classe, les enfants sont assis à leur place ou debout près de leur table, selon les exercices. La séance dure de cinq à vingt minutes. Elle se déroule en six étapes toujours identiques qui correspondent au déroulé d’un cours de hatha yoga, même si nous n’utilisons pas les noms sanskrits !

Les enfants réagissent-ils bien ?
Ils adorent ! Plus ils sont petits, plus ils entrent vite dans les exercices, d’autant que ceux-ci ressemblent à des jeux. Les plus grands posent beaucoup de questions. Mais une fois qu’ils ont compris l’intérêt et en ont ressenti les bienfaits, ils sont tellement demandeurs que l’on doit les freiner…

Quels bénéfices en retirent-ils ?
Notre objectif est de développer leur attention. Mais une attention spontanée, naturelle, très différente de celle que l’on exige dans l’enseignement. Il s’agit de les aider à mieux apprendre, dans la détente, le plaisir, et non dans la contrainte. Je pars du principe que l’attention, ça se cultive. Nous sommes là pour leur permettre d’utiliser au mieux leurs potentialités. Parents et professeurs remarquent qu’ils sont plus calmes, parlent moins fort et parviennent mieux à se concentrer.

Les parents peuvent-ils pratiquer avec leurs enfants ?
Il est possible de faire cinq minutes d’exercices le matin. Se dérouiller les articulations, sentir sa respiration sous ses doigts au niveau du diaphragme, faire l’arbre (debout, yeux clos, l’enfant sent ses pieds enracinés dans le sol, puis se balance doucement comme poussé par le vent), visualiser un événement attendu… On peut se relaxer, le soir, quand un apprentissage est difficile. Autant de moyens d’intégrer le yoga au quotidien sans surcharger les enfants.

UNE SEANCE TYPE :
Les séances se déroulent systématiquement en six étapes. Chacune a un objectif précis que les enfants cherchent à atteindre par des mouvements simples, explique Micheline Flak.
1 - Apprendre à être attentif aux autres.
Les enfants accomplissent des gestes en commun et pratiquent des respirations accordées, excellent moyen pour que l’instruction civique soit totalement intégrée.
2 - Eliminer toxines et pensées négatives.
Il s’agit de travailler à débloquer les articulations au niveau des pieds, des épaules, des mains, des doigts, du cou. Equilibrants, ces petits exercices calment autant qu’ils tonifient.
3 - Se mettre en bonne posture, pour prendre conscience de son dos et le fortifier.
Une "petite salutation au travail" a été mise au point, qui n’est pas sans rappeler la salutation au soleil connue des pratiquants du yoga. Puis les enfants apprennent à s’asseoir correctement, tout simplement. Les positions du corps ont un rapport direct avec le développement du cerveau.
4 - Prendre le temps de respirer pour recharger ses batteries.
Faire prendre conscience aux enfants qu’ils respirent est un enjeu essentiel à l’école. Et c’est plus complexe qu’il n’y paraît. En les entraînant à la respiration en triangle – ils alternent inspiration par la narine droite et expiration par la narine gauche, et inversement –, on leur permet de rééquilibrer les hémisphères cérébraux.
5 - Se relaxer pour recentrer son énergie.
Les pauses dans le temps pédagogique sont des moments privilégiés pour optimiser les capacités des élèves à assimiler les apprentissages. Par des exercices respiratoires et de relaxation, ils apprennent à se déconnecter des sollicitations extérieures et à se brancher sur leurs perceptions corporelles.
6 - Rassembler ses forces pour revenir à la réalité.
En l’aidant à se concentrer sur un point ou en pratiquant de petits exercices de visualisation, on stimule la créativité de l’enfant. On l’amène ainsi à un état de vigilance détendue qui lui permettra d’être plus efficace dans ses activités.

A LIRE :
• “Apprenez à relaxer vos enfants” de Denise Chauvel et Christiane Noret (Retz, 1991).
• “Yoga et expression corporelle pour enfants et adolescents” de Jacques Choque (Albin Michel, 2000).

jeudi 24 janvier 2013

L'intelligence et l'école (livre)


Dans cet ouvrage, Howard Gardner étudie la formation de la pensée chez l'enfant avant l'entrée à l'école, et les causes des difficultés de compréhension rencontrées lors de la scolarité, puis à l'âge adulte. Selon Gardner, l'évolution de l'enfant vers une pensée rationnelle, experte dans les champs de la pratique et du savoir, n'est pas un chemin rectiligne, comme on a pu le croire à la suite de Piaget. En réalité, l'enfant construit très précocement des "théories intuitives" sur le monde physique, le monde vivant, le monde des idées et des hommes. Acquises au contact de l'expérience, sans le soutien de l'école, ces théories sont profondément ancrées quelles que soient leur rationalité et leur valeur explicative. Mais, bien qu'elles comportent des erreurs de conception et des stéréotypes culturels, elles manifestent l'aptitude du tout jeune enfant à penser le monde, aussi bien qu'à parler ou à marcher. Et dans bien des situations de la vie courante, on constate que l'adulte raisonne encore comme s'il avait cinq ans... Si l'enseignant veut parvenir à remplacer ces formes précoces de compréhension, acquises avant l'école, par des formes disciplinaires plus scientifiques et opératoires, il importe : que la force de ces théories enfantines soit pleinement reconnue ; que des contextes d'apprentissage mettant en jeu l'expérience concrète de l'enfant soient promus dans et autour de l'école ; enfin, que les pédagogies de la coopération et du projet soient mises en oeuvre de façon renouvelée. Les institutions scolaires sont donc invitées à se réformer pour enseigner aux jeunes en mobilisant toute leur intelligence.

Howard Gardner est professeur de cognition et d'éducation à la Harvard Graduate School of Education de Boston. Connu mondialement pour sa théorie des intelligences multiples, il a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages, traduits en vingt-sept langues.


Howard Gardner, 2012. L'intelligence et l'école : La pensée de l'enfant et les visées de l'enseignement. Ed. Retz

mercredi 23 janvier 2013

Le plaisir, condition de l’apprentissage



Un texte de Michel Lobrot

Au début du siècle, des penseurs intéressés par la pédagogie - Dewey, Maria Montessori, Decroly, Ferrière, etc - crurent découvrir une nouvelle loi de l’apprentissage, qui avait été déjà entrevue par Rousseau, Pestalozzi et d’autres, à savoir qu’un sujet apprenant ne peut faire des acquisitions,  développer des capacités et des savoirs que dans le plaisir, c’est à dire dans un contexte de libre choix et d’autonomie. Cela contredisait à angle droit la pratique installée depuis des millénaires dans les familles et dans les écoles, dont H.I. Marrou a fait une analyse magistrale dans son livre Histoire de l’éducation dans l’antiquité (1), pratique fondée sur la contrainte et la menace de sanctions. 

Cette idée était révolutionnaire. Elle a donné naissance à des méthodes tout à fait nouvelles, comme les méthodes actives, la pédagogie Freinet, la pédagogie institutionnelle, etc. Malheureusement, elle s’est trouvée compromise par le phénomène de massification, apparu à peu près à la même époque, qui résultait de la généralisation de l’enseignement, de son extension à des âges de plus en plus avancés et même à toute la vie, de la multiplication incroyable des effectifs scolaires et universitaires. Cet accroissement quantitatif ne permettait pas les expérimentations et les tâtonnements nécessaires à l’invention d’une nouvelle pédagogie. Celle-ci, après quelques avancées spectaculaires et prometteuses, dans les années 60, s’est trouvée étouffée par d’autres préoccupations.

RETOUR AU PROBLEME -
Aujourd’hui, où des inquiétudes surgissent concernant l’intérêt que les enfants peuvent avoir pour l’école, où on essaye de comprendre la dérive de celle-ci vers la violence, où des méthodes, comme la “remédiation cognitive”, qui avait suscité l’enthousiasme il n’y a pas longtemps , se trouvent critiquées par des chercheurs désintéressés que essayent d’en mesurer les effets (2), il faut à nouveau reposer le problème posé par les penseurs du début du siècle: quel est le contexte le plus favorable pour apprendre? Est ce que l’apprentissage se réalise de la même manière que le travail, c’est à dire dans l’imposition et la contrainte? Quelle place faut-il faire au plaisir dans l’apprentissage? 


Pour résoudre ce problème d’une manière aussi scientifique que possible, il importe d’avoir une méthodologie. 
Celle qui a été utilisée le plus couramment jusqu’ici relève de ce qu’on a appelé la défectologie, qui consiste à partir des déficiences et des troubles pour essayer de formuler des lois. Par exemple, on part des enfants qui échouent dans les apprentissages scolaires et on essaie de voir quels sont les facteurs qui peuvent expliquer ces échecs. 
 Malheureusement cette méthode ne peut donner les résultats qu’on en attend. L’échec, d’une manière générale, comme la déficience et le manque, peut résulter d’une multitude de causes, car il suffit d’une seule cause ou condition absente pour produire l’échec. Il suffit par exemple qu’un enfant ne soit pas aidé à la maison pour qu’il échoue. 
On ne peut rien conclure de là pour expliquer un phénomène donné, comme l’apprentissage. Du fait qu’un enfant non aidé ou qui vit dans une famille agitée échoue à l’école, peut-on conclure que l’enfant qui réussit arrive à ce résultat parce qu’il est aidé chez lui ou vit dans une famille calme? Evidemment non. Les facteurs qui expliquent l’absence de quelque chose ne sont pas les mêmes qui expliquent la présence de cette chose. Cette  remarque capitale s’applique aussi bien à la théorie de la “sélection naturelle” de Darwin, qui explique parfaitement pourquoi des espèces ont  disparu mais non pas pourquoi elles sont apparues. Une espèce n’existe pas seulement parce qu’elle n’a pas disparu, même si sa non-disparition est une condition de son existence. Il existe des processus spécifiques qui font apparaitre et naitre les choses, y compris les organes qui leur permettent de se défendre. Ce sont ces processus qu’il faut découvrir. 
Pour revenir à la pédagogie, je propose d’appeler perfectologie la méthode complètement inverse à la méthode traditionnelle. Cette méthode consiste à essayer d’expliquer pourquoi les sujets qui réussissent dans les apprentissages précisément réussissent. Ce procédé pourrait s’appliquer au moins à trois domaines: 

1- A l’étude des apprentissages qu’on pourrait appeler naturels, tels que la parole, la communication, l’”attribution”  (connaissance d’autrui), les lois de la vie sociale, les lois du déplacement physique (conservations de Piaget), les processus intellectuels (cognitivisme), les valeurs des actions et des situations (expérience évaluative), etc, 
 
2 - A l’étude des phénomènes en jeu  dans les quelques domaines où l’école réussit , c’est-à-dire là où elle réussit  (il y en a peu: les bases de la lecture, savoir compter, quelques connaissances générales), 

3- A l’étude des génies et réussites exceptionnelles dans tous les domaines, ce qu’on a appelé la “géniologie”, sur laquelle il ya maintenant quelques ouvrages importants. 
Je me centrerai surtout par la suite sur le  premier domaine, qui est le plus général.

LES APPRENTISSAGES NATURELS -
Ce qui frappe le plus quand on observe les apprentissages naturels, qui concernent peut-être 90 % de la totalité des connaissances que nous utilisons dans notre vie, en tous cas les plus fondamentaux, sans lesquels nous ne pourrions même pas vivre, c’est leur caractère parfaitement spontané, on pourrait presque dire non-volontaire. Ils se font sur les objets et situations qui apparaissent au moment où ils apparaissent, d’une manière qui échappe presque complètement au contrôle du milieu et qui dépend presque entièrement des intérêts, des goûts, des penchants du sujet. 
 Cette conclusion découle d’à peu près toutes les études qui ont été faites ces dernières décennies sur les apprentissages naturels en question. 
Qu’on regarde les études des “cognitivistes” (Lécuyer, Pêcheux, Olson, etc) et on verra que des phénomènes comme “la réaction à la nouveauté”, l’”habituation”, fondements de la vie intellectuelle, sont en grande partie spontanés, immédiats, non contrôlés. De même, les psychologues sociaux qui se sont penchés sur les phénomènes de représentations sociales et d’”attribution” (Asch, Anderson, Kaplan, Kelley, etc) remarquent que le savoir considérable acquis à travers eux s’acquière au fur et à mesure de la vie, à travers les événements concrets de celle-ci et par des processus qui ne sont pas loin de l’induction  scientifique. Depuis longtemps, on sait que le jeu permet à l’nfant de découvrir les lois du mouvement physique et les structures de l’imaginaire. Les spécialistes de la psychologie de l’enfant, comme Bower, Montagner, etc, qui ont étudié la communication chez l’enfant, dès les premiers mois de la vie, observent que la “synchronie interactionnelle” est mise en jeu par l’enfant  spontanément à partir des situations et impacts qui se présentent. L’acquisition du langage, qui a été très étudiée, en particulier par Bruner, ne dépend en aucune manière des efforts du milieu pour faire acquérir un “bon langage” (voir l’ouvrage Talking to children  (3 )  qu fait le point là-dessus), etc. 
Tout se passe comme s’il existait deux sortes de domaines, divisant l’ensemble de nos activités et de nos opérations psychologiques. 
 D’un côté, il y a les activités qu’on pourrait appeler endogènes, qui ne se font pas à partir d’autres et pour satisfaire des exigences extérieures  mais à partir du sujet et pous satisfaire ses exigences. Par définition, ces activités sont non volontaires, car la volonté est une fonction qui nous permet de soumettre une opération psychologique à une visée extérieure, dont elle permet la réalisation. Par exemple, je prête spontanément attention à un événement qui se produit devant moi, sans que j’ai aucunement l’intention d’en tirer un profit quelconque, je me souviens spontanément d’un événement passé, sans que je sache pourquoi j’y pense, je réfléchis spontanément à un problème, sans que ma survie dépende de la solution de celui-ci, etc. Tout cela se fait, si l’on peut dire, naturellement, parfois avec de grands efforts, mais sans ennui  et pour satisfaire une pulsion intérieure. 

A l’opposé, existent des activités que j’appellerai exogènes, qui nous permettent  de nous ajuster au flux incessant des événements et des transformations du  milieu. Les incitations viennent de celui-ci. Il est donc souverain et fixe les normes auxquelles nous devons nous adapter. Le contrôle externe, en particulier celui de la société ambiante, est dans ce cas non seulement possible mais nécessaire. 
Une différence importante entre les deux registres consiste dans la permanence des informations qui surviennent dans chacun d’eux. Dans le premier, la mémoire à long terme est possible et constitue même la règle, ce qui rend possible l’accumulation des connaissances et le savoir proprement dit. Dans le second, au contraire, les connaissances passent et ne restent souvent pas plus longtemps que quelques heures ou une journée. Ce sont des milliers d’informations auxquelles nous sommes confrontés chaque jour, que nous oublions immédiatement et qui ne font souvent appel qu’à la “mémoire à court terme” (“mémoire de travail” des spécialistes). 

Une autre différence importante réside dans la nature de la relation SR (Stimulus-Réponse, en théorie de l’apprentissage). Dans le premier système, le stimulus ou, si l’on préfère, le milieu extérieur n’est qu’un support et un excitant. L’impulsion vient de l’intérieur, du sujet qui cherche, si l’on peut dire, des objets dans lesquels s’investir et qui les traite quand il les a  trouvés. Dans le second système, au contraire, le stimulus est une cible c’est à dire un objet dont la transformation est visée explicitement comme une finalité. Par exemple, dans le premier schéma, l’homme lance une pierre au loin pour expérimenter sa capacité de lanceur.
Dans le second schéma, il la lance au loin pour débarrasser de cet objet gênant le champ qu’il est en train de cultiver. 
Il résulte de cela une conséquence très importante au point de vue pédagogique, à savoir que le contrôle du milieu extérieur, par exemple l’école, ne peut s’exercer, dans le premier schéma, que d’une manière indirecte, c’est à dire en présentant des situations et des objets qui peuvent ou non être acceptés. Il ne peut s’exercer directement, à partir d’un programme ou autrement  On ne peut rien faire d’autre que de ”montrer” les mathématiques ou la musique, comme on disait autrefois. Le modèle non-directif s’impose.

LA PLACE DU PLAISIR
 Il apparait clairement que le plaisir constitue le moteur essentiel dans le premier schéma. Cela se déduit de sa nature même. Il est par essence “autotélique”, comme disait Baldwin, c’est à dire centré sur les besoins du sujet, sur ses exigences internes. Pour autant que nous puissions le décrire, ce qui n’est pas facile, car il constitue plus une expérience intérieure qu’un objet observable, il consiste dans un mouvement intense, une rupture dans le continuum, dont l’expression la plus pure est l’orgasme, analysé par Masters et Johnson (4).
Ce côté extatique est important, comme nous allons le voir, pour comprendre sa nécessité. 
Certains auteurs ont essayé de le toucher, dans son rapport avec l’acte d’apprendre. C’est ce qu’a fait Jérôme Kagan, quand il a montré, contre Piaget, que les enfants, dans la première année de leur vie, pensent (Do infants think?) et qu’il  a mesuré, en même temps, les rythmes cardiaques. Ceux-ci se modifient  au moment de l’activité de penser. C’est ce qu’a fait aussi Goldstein, qui a établi un rapport direct entre le sourire de l’enfant et son développement intellectuel 
Le plus important à comprendre est que le plaisir ne constitue pas seulement un adjuvant mais joue le rôle d’un indicateur. C’est en effet lui qui permet au sujet de repérer le moment où il est  en présence d’un élément nouveau qui va lui permettre d’opérer la rupture inhérente à l’apprentissage. 
 J.D. Vincent, dans son dernier livre ( La chair et le diable ) (6) cite une recherche américaine, dans laquelle on met des rats dans un labyrinthe en Y, dont on ferme, dans un premier temps, la branche non pertinente, de telle sorte que les rats ne peuvent  rien faire d’autre que d’aller directement vers la récompense  Dans un deuxième temps, on ouvre les deux bras et on observe quels sont les rats qui, bien que sachant quelle est la route bénéfique, explorent cependant l’autre route, par curiosité. Celle-ci n’est pas un luxe inutile.
On sait, par d’autres recherches que ce qu’on appelle l’”apprentissage latent” est indispensable pour que l’apprentissage utile ( par ”renforcement”) ait lieu. Autrement dit, il faut que le rat se donne des repères, ce qu’il ne peut faire qu’en isolant des formes et en les comparant, comme le bébé. L’activité libre est là aussi nécessaire. 
Une question cependant se pose. C’est celle de savoir comment  fonctionne l’apprentissage, quand il ne se fait pas d’une manière que j’ai appelée “naturelle”, c’est à dire quand il est voulu, organisé, programmé, ce qui se passe évidemment à l’école. Ne doit-on pas penser qu’alors les incitations ou impositions extérieures exercent leur influence et sont même indispensables.
Que serait l’école si elle n’exerçait pas un contrôle sur le travail des enfants (la discipline est un autre problème)? 
A mon sens, le schéma est exactement le même que celui qui joue pour les apprentissages naturels. Il faut en effet insister sur un fait, qui a une valeur quasiment expérimentale et qui a été mis en lumière, d’une manière éclatante, depuis que l’école a été rendue obligatoire. Il s’agit du fait que des milliers d’enfants, sur lesquels on effectue le maximum possible de pressions et de menaces, ne réussissent pas, malgré cela, à opérer les apprentissages élémentaires, comme lire, écrire, compter et d’autres choses. Un organisme européen de recherche a chiffré à 40 % en France le taux d’”analphabétisme fonctionnel” chez les adultes (7). 
 
Les incitations externes sont pourtant gigantesques: punitions et récompenses à l’intérieur même des classes, réprimandes des parents, honte aux yeux des autres élèves, menace pour la scolarité à venir, menaces pour l’insertion sociale future, etc. Malgré cela, les taux d’échecs sont considérables, ce que Skinner n’a pas pris en compte dans sa théorie. 
Il n’existe en fait que deux alternatives: ou bien on demande au sujet de mettre en œuvre une opération qu’il sait faire ou bien on lui demande d’apprendre à faire cette opération, en utilisant, dans les deux cas, toutes les pressions externes imaginables.
Dans le premier cas, il n’y a pas apprentissage mais seulement  exécution et le sujet peut  réaliser l’acte qu’on lui demande. Il suffit que la pression soit assez forte. Dans le second cas, au contraire, le sujet,  malgré toute sa bonne volonté, tout son désir d’obéir et d’obtenir les récompenses, ne peut pas, n’est pas capable d’effectuer l’apprentisage qu’on lui demande. Il peut, il est vrai, faire les actes extérieurs préparatoires, se mettre à sa table, ouvrir ses cahiers et ses livres, lire les données du problème, mais il ne peut aller plus loin. Cela est d’expérience courante. 
 Pourquoi cette impossibilité? Parce qu’on exige de l’élève de mettre en place un processus interne qui a des exigences intrinsèques, qui ne dépend pas de sa bonne volonté, et qui réclame impérativement l’intervention du plaisir, c’est à dire de cette spontanéité qui permet l’invention. Il lui manque précisément la dynamique qui induit le passage à un autre état, indispensable pour restucturer le donné et réaliser l’apprentissage. Il est plongé dans un état d’inertie qu’il ne faut pas lui imputer, qui n’est pas de sa faute et qui, à la limite, ne dépend pas de lui. 

Les conséquences qui découlent de ce forcing, consistant à faire pression sur des sujets qui ne peuvent pas réaliser ce qu’on leur demande, sont catastrophiques. Nous observons en effet alors ce que Seligman, dans des recherches maintenant bien connues, a appelé l’”impuissance apprise” (8). C’est le phénomène qu’on constate quand on soumet un chien à des chocs électriques imprévisibles (aléatoitres) auxquels il ne peut  se soustraire d’aucune façon. Dans un second temps, quand on met ce même chien sur une grille électrique chargée, en lui offrant la possibilité de fuir en sautant par dessus une barrière latérale, il n’est même plus capable de faire cette action, qu’effectue sans aucune difficulté un de ses congénères placé dans la même situation.
Chez les humains qu’on a étudiés, on constate des réactions de repliement, de désespoir et d’inertie tout à fait comparables. Le sujet, si l’on peut dire, fantasme le malheur, dans lequel il se complait et qu’il n’arrête pas de ruminer. On reconnait facilement dans ce tableau la triste situation de ces enfants dits “dyslexiques” ou en échec scolaire qu’on envoie, vers 9-10 ans, dans des centres de rééducation où ils manifestent des blocages pratiquement irréversibles. Cela a été dûment constaté.

UNE PEDAGOGIE DU PLAISIR -
Si la thèse que je soutiens est vraie, que peut-on et que doit-on faire? Des difficultés considérables apparaissent ici, car une des caractéristiques de la société moderne est d’attacher une importance primordiale aux apprentissages et d’utiliser les épreuves d’évaluation, censées mesurer les résultats de ceux-ci, comme des méthodes de sélection dans l’accès aux différentes professions, selon le schéma de Sorokin. 
Comment peut-on à la fois conserver l’ouverture nécessaire et exercer un contrôle incessant sur une activité quasiment sacralisée? Il y a là une contradiction dont l’école est en train de mourir. 

La seule chose qu’on pourrait et qu’on devrait faire serait de repérer les activités que l’élève a envie de faire “par plaisir” et de bâtir là-dessus une formation qui pourrait fort bien se présenter comme un programme. Ce serait un programme individualisé, personnalisé. Serait-ce encore un programme? Oui, en un certain sens. Plus exactement, ce serait une intervention sur une base non-directive, ce que j’ai appelé une “non-directivité intervenante”, que je considère comme la seule chose possible dans le domaine pédagogique et psychothérapeutique. 
Une telle intervention était évidemment beaucoup plus facile autrefois. C’est d’ailleurs elle qu’on rencontre à chaque fois qu’on assiste à la naissance d’une personnalité exceptionnelle, considérée comme géniale.
Quand on étudie de près la pédagogie à laquelle a été soumise par exemple le jeune Mozart, dès l’âge de trois ans, de la part d’un père qui était un compositeur prolifique et un théoricien de la musique, on tombe sur ce phénomène (9). ”Dans sa quatrième année, écrit sa sœur Marianne en 1799, son père commença à lui enseigner au clavecin, pour ainsi dire par jeu, quelques menuets et autres pièces: étude qui coûtait si peu de peine aussi bien au père qu’à l’enfant, que ce dernier apprenait  une pièce entière en une heure, de façon à pouvoir les jouer, sans aucune faute, avec la mesure et la netteté les plus parfaites.”
Les déclarations de ce genre abondent dans les descriptions de la vie de Mozart dans les années 1760, quand il était dans ses quatre ans. Cela rejoint les expériences d’apprentissage de la lecture faites par Glenn Domann aux Etats-Unis sur des enfants de trois ans ayant des troubles cérébraux. 
Comment de telles expériences ou plutôt l’esprit qui les inspire peuvent-ils être transposés dans l’école de masse, obligatoire et généralisée, de l’époque moderne?

C’est le défi auquel nous sommes confrontés. Saurons-nous trouver les solutions adéquates, opérer la jonction indispensable entre le psychologique et l’institutionnel. L’avenir le dira. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Il faut impérativement  faire quelque chose. 
Concluons de ces réflexions que le plaisir est non seulement un ingrédient de l’apprentissage mais son moteur, l’élément sans lequel il est impossible d’apprendre. 
 Les penseurs du début du siècle avaient donc raison. Ils avaient une vision prophétique. Nous devons les écouter. Nous pouvons même essayer d’aller plus loin qu’eux.


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Notes 

(1) H.I. MARROU - Histoire de l’éducation dans l’antiquité. Ed. du seuil. Paris, 1948. 

(2) Voir la critique par Michel Huteau des thèses de Feuerstein. Cf. Le n° 12 de la revue Sciences humaines. Aussi: Apprendre à apprendre: La question de l’éducabilité cognitive, de Michel Huteau et coll.  Hachette-éducation, Paris, pp. 169-178. 

(3) C.S. SNOW et C.A. FERGUSON - Talking to children  Cambridge University press, London, 1977 

(4) W.H. MASTERS et V.E.JOHNSON - Les réactions sexuelles. Ed. Robert laffont, Paris, 1966. 

(5) J.D.VINCENT -La chair et le diable .Ed. Odile Jacob, Paris, 1996. 

(7) Littéracie, Economie et Société. Résultats de la première enquète internationale sur l’alphabétisation des adultes,1995. 

(8) M.E.P. SELIGMAN -Helplessness .W.H. Freeman, San Francisco, 1975. 

(9) J.et B. MASSIN - Wolfgang Amadeus Mozart. Ed. Fayard, Paris, 1970.