Écrit par: Michel Mougenot -
Saint Jérôme (Québec), décembre 2003 -
Source : Harmonie Terre
« Charles Caouette, avant tout
grand humaniste, est professeur en psychologie de l'éducation à l'Université de
Montréal. Conférencier très recherché, il est reconnu internationalement pour
ses travaux et ses positions sur l'enfance inadaptée, le décrochage,
l'éducation en milieu défavorisé et, enfin, le mouvement alternatif en
éducation. En 1974, il fondait l'école alternative Jonathan, pionnière des
écoles publiques alternatives au Québec. »
De plus en plus de parents et d'enseignants
se questionnent sur les enjeux et le devenir de l'éducation. En quoi le système
éducatif alternatif saura répondre plus adéquatement aux besoins et aux
aspirations des familles qui ont choisi cette voie plutôt que le circuit
traditionnel ?
C'est sur ce thème qu'est
intervenu Charles Caouette à la Fourmilière samedi 26 novembre 2003 en matinée,
au cours d'une conférence unanimement appréciée par l'assistance. Avec beaucoup
d'humour, il a su captiver son auditoire et a confirmé sa réputation de grand
conférencier en s'aidant d'une estrade pour compenser sa modeste taille.
Soulignant d'entrée les besoins
de réalisation psychologique de chaque individu : trouver et donner un sens à
sa vie, rechercher un sentiment profond et stable d'unité intérieure, se sentir
en relation et en harmonie avec les autres hommes, il précise que l'école, loin
de répondre à ces besoins de transcendance (ce qui devrait pourtant être sa
vocation) les occultent et pousse plutôt les jeunes soit au décrochage, soit à
la résignation. Rapports artificiels d'individualisme, de compétition, voire
d'intolérance relative, exclusion, marginalisation... Ce manque de vision
globale dont l'école fait preuve, traduit une philosophie incohérente et une
absence de regard critique sur les bouleversements actuels de la société, ce
qui entraîne des réponses inadéquates aux défis auxquels elle est confrontée.
Le Québec détient le triste
record des pays développés de suicide chez les jeunes, le taux alarmant de
décrochage scolaire (50% d'abandon avant le sec.V, 30% du personnel enseignant
frappé de découragement) remettent particulièrement le système pédagogique
actuel en cause, car il s'appuie sur l'uniformisation de l'éducation,
l'indifférenciation des individus et créé un fort sentiment d'anonymat et de
dépersonnalisation chez les jeunes.
Le type d'évaluation actuel des
élèves, tel qu'il est appliqué dans les établissements publics traditionnels,
entretient l'illusion que le contenu est acquit durablement, alors qu'il est
largement reconnu que ces connaissances sont fixées très peu de temps dans la
mémoire à court terme des élèves, avant d'être oubliées rapidement en grande
partie.
Il faudrait, pour qu'une
pédagogie appliquée soit efficace, que les enseignants s'adaptent aux cycles
naturels d'apprentissage des enfants et non l'inverse qui consiste actuellement
à essayer de programmer, de formater les enfants en leurs imposant une
discipline d'apprentissage contraignante, un environnement inadapté à leurs
besoins qui étouffe leur créativité et leur spontanéité. Mais, pour les
enseignants, c'est peut être déconcertant, voire déstabilisant de remettre
leurs pratiques et leurs certitudes en cause, d'accepter d'introduire une part d'improvisation,
de lâcher prise pour leur permettre d'observer les enfants plutôt que les
diriger, car ce processus ne suit pas forcément la logique linéaire et rigide
du programme scolaire établi, ni du mode d'évaluation du système pédagogique
classique, c'est une des raisons principales qui font que le statu quo est si
durable face aux causes du problème qui sont pourtant clairement identifiées.
Pour le conférencier, la
multiplication des réformes ne fait que tranquilliser le législateur sans pour
autant s'attaquer à l'essentiel du problème : c'est à l'application de
nouvelles valeurs, de nouvelles attitudes que l'école et plus particulièrement
le système éducatif doit s'attacher à instaurer et promouvoir.
Se servant de la parabole des
dominos, selon laquelle il suffit de mettre la première pièce en mouvement pour
que les autres enchaînent l'action, le conférencier estime que les Êtres
humains doivent se relever, se tenir debout, chaque effort sera important et
nécessaire afin de faire évoluer la situation
La mission de l'éducation devrait
être consacrée à la formation d'être humains autonomes, libres, conscients et
engagés, responsables de leur vie et non pas seulement orientée vers les seuls
besoins immédiats de l'industrie et du marché de l'emploi, comme c'est trop
souvent le cas, malheureusement. Et ce désir de vouloir changer la société pour
un monde meilleur n'est pas plus du domaine de l'utopie, que la volonté de
vouloir conserver celle-ci dans l'état actuel de crainte, d'injustice qui
gouverne les relations entre les humains !
Dans le monde, beaucoup de jeunes
se cherchent une mission, ce qui peut amener ceux-ci à s'investir dans des
causes parfois extrêmes. Les adolescents ressentent avec une intensité
particulière ce sentiment et souvent, leurs révoltes constituent l'expression
d'un puissant désir de participer à la construction de leur société. Cette
manière de s'affirmer témoigne de leur besoin de communiquer coûte que coûte,
de prendre la place qui doit leur être réservée. C'est dans un tel contexte de
carences d'idéaux, de manque de projets de société, que s'insère le quotidien
des jeunes générations actuelles, aggravé par un certain fatalisme cynique
ambiant, de plus en plus astreint à la logique implacable de la rentabilité
immédiate.
Dans ce domaine, l'école
alternative représente la réponse idéale. Elle s'adapte avec beaucoup plus de
souplesse au contexte éducatif elle personnalise l'intervention en étant
davantage centrée sur l'enfant, elle favorise l'initiative et la créativité,
suscite la motivation intrinsèque et l'intégration des savoirs.
Les écoles alternatives
favorisent l'autonomie tout en soulignant les responsabilités individuelles et
collectives de l'élève au sein de la communauté et le prépare à la nécessité de
cohérence et de planification qui doit caractériser ses actions. Le but ultime
de leur mandat n'est pas seulement de faire de nos enfants des consommateurs
satisfaits et quelques peu silencieux du système dans un proche avenir, mais au
contraire de devenir les bâtisseurs d'une nouvelle société, celle-là même qui
saura s'approprier le pouvoir collectif qu'il est urgent d'exercer ici et
maintenant, sans plus attendre.
Les écoles alternatives qui sont
intégrées au système public d'éducation ne doivent pas se fondre dans l'ensemble,
mais au contraire cultiver leurs différences : en entretenant leur caractère
spécifique elles se doivent, au contraire, d'être dérangeantes afin de susciter
le questionnement et la prise de conscience à tous les niveaux du système
pédagogique.
Il est sans doute pertinent de se
questionner sur la nature de nos relations avec nos enfants et sur les
priorités des besoins communs favorables à une croissance harmonieuse :
l'absence de relations significatives entre jeunes et adultes et entre adultes
eux-mêmes, la poursuite effrénée du bien être matériel responsable de
l'éclatement d'une certaine stabilité de la cellule familiale n'a t'elle pas
lentement provoqué une carence de communication et une dangereuse perte de
contact affectif ?
Il est de l'intérêt des adultes
de prendre en charge leur destinée et de ne plus laisser les autres individus
prendre les décisions à leur place (M. Caouette a cité les taux préoccupants de
participation aux dernières élections scolaires) il est d'autant plus urgent
pour les parents responsables de montrer l'exemple d'adultes cohérents,
critiques, attentifs et toujours prêts à s'investir pour une bonne cause dans
la société, dans le domaine communautaire ou humanitaire.
En résumé, pour responsabiliser
un enfant, il faut lui laisser une réelle autonomie, en lui permettant
d'expérimenter et de maîtriser les responsabilités, les droits et les devoirs
qu'implique cette autonomie. L'ouverture aux autres cultures et société,
l'implication pour la solidarité la justice et la paix dans le monde sont des
idéaux que devrait soutenir l'école, et à plus forte raison les établissements
alternatifs qui se doivent d'être les pionniers de toutes initiatives dans ce
domaine... Nous avons, nous adultes, la responsabilité d'engagement et d'exemple
à suivre !
Comme le dit Charles Caouette, ne
nous privons pas d'un geste en pensant qu'il sera trop dérisoire pour être
significatif ; pensons au domino et rêvons d'être ceux par qui viendra le
changement.
Charles Caouette est l'auteur de
« Si on parlait d'éducation. Pour un nouveau projet de société» (Montréal, VLB
Éditeur, 1992.), et « Éduquer pour la vie !» Montréal, Éditions Écosociété,
1997, 171p.
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