Carole Gadet est la fondatrice de l'association Ensemble demain, qui
propose un programme pédagogique mettant en relation personnes âgées et élèves.
La qualité et l'efficacité de ce projet, exposé à l'Unesco en juin 2011, sont
reconnues par l'Education nationale et la Commission Européenne. Il bénéficie
également du parrainage d'Albert Jacquard et Edgar Morin. Une grande exposition
de l'association ouvrira ses portes le 21 janvier prochain à l'Hôtel de Ville
de Paris. Carole Gadet répond à nos questions.
Comment est née l'idée de monter un projet intergénérationnel ?
J'ai beaucoup travaillé sur le
rôle des anciens et la transmission dans la société africaine. Par ailleurs,
quand j'avais 14 ans, ma grand-mère est entrée dans une maison de retraite et
j'ai vu des personnes âgées qui attendaient désespérément leur famille derrière
des baies vitrées. Je me suis donc dit qu'un jour j'œuvrerai pour améliorer la
condition de vie des personnes en maison de retraite. Je suis rentrée en 1999
d'un voyage dans un dispensaire en Inde, j'avais une classe à l'époque, j'ai eu
un déclic et je me suis dit que c'était le moment de commencer un travail avec
les personnes âgées.
Par hasard, alors que
j'enseignais à cette époque dans le 20e arrondissement de Paris dans une école
en ZEP, j'ai appris qu'une maison de retraite se construisait juste à côté de
l'école. J'ai rencontré la directrice générale de la maison qui a donné son
accord pour que nous puissions monter un projet ensemble.
J'ai donc créé des ateliers
pédagogiques qui puissent être validés par les inspecteurs et pleinement intégrés
au temps scolaire. Totalement en phase avec les programmes, ils permettent de travailler
des compétences transdisciplinaires : ateliers lecture, conte,
patrimoine, Histoire, sciences de la vie et de la terre, langues, nouvelles
technologies mais aussi gymnastique douce, ou encore chanson d'hier et
d'aujourd'hui. Nous organisons également des ateliers Histoire et mémoire
avec des personnes âgées ayant vécu la guerre, la déportation, la résistance
...
Racontez-nous comment s'est passé le tout premier atelier...
J'ai travaillé initialement
sur ce premier projet dans le 20e arrondissement de Paris avec des élèves
de CM1 d'une école classée ZEP en 1999. Ils ont été transformés par la
rencontre avec les personnes âgées. Ils n'ont pas du tout été,
contrairement aux adultes, gênés par la peur du vieillir, mais ont été
sensibles avant tout à l'aspect affectif. Ce lien tissé avec les aînés a
permis à certains de se débloquer en lecture, en expression écrite, de
plus les enfants se sentent responsables, acteurs à part entière de ce projet
civique. En production d'écrits par exemple, les enfants sont motivés par le
fait d'échanger avec les retraités par mail et en écrivant des lettres ou en
écrivant un livre qui relate une année en maison de retraite, cela les
conduit à d'énormes progrès. Le rapport aux apprentissages devient très
différent car un lien affectif est créé et les générations se valorisent
les unes les autres. En retour, la vie des personnes âgées est aussi
transformée : elles attendent avec impatience les visites des élèves,
certaines qui dépérissaient se remettent à manger, et l'on s'est même rendu
compte que les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou Parkinson,
avait un état de santé qui s'améliorait.
J'ai suivi ensuite cette classe
en CM2, puis j'ai élargi mon travail avec des élèves d'autres classes pendant
plusieurs années, à la demande de collègues intéressés par le projet : des
élèves au cycles 2 et 3, en clin, en clis, au collège. Les résultats ont été
très probants. Un travail a parallèlement été fait avec des médecins, des
gérontologues et des kinés en maison de retraite pour proposer des
ateliers adaptés aux personnes âgées.
A noter surtout qu'un projet
intergénérationnel ne s'improvise pas. Il faut que les acteurs du projet
aient des objectifs bien précis et élaborent ensemble un projet
pédagogique commun avec les ressources nécessaires pour le mener à terme.
Les ateliers n'ont pas lieu qu'une ou deux fois par an : ils se déroulent
durant l'année une après-midi toutes les trois semaines. Deux, trois ateliers
sont proposés par après-midi : tout le monde tourne et chaque groupe
d'enfants est ainsi mis en relation avec chaque groupe de personnes âgées.
L'idée de créer une association est venue à quel moment ?
La canicule de 2003 a été un
déclic : à partir de là, la mairie du 20e m'a proposé d'exposer les travaux
que j'avais effectués avec ma classe, puis ce fut l'Hôtel de Ville. Nous avons
proposé à l'Hôtel de Ville une exposition photo sur les ateliers
pédagogiques, intitulée "Main dans la main" –parce qu'on y voyait
beaucoup de mains d'enfants et de personnes âgées– qui a beaucoup plu. Suite
à cela, je suis devenue chargée de mission en tant que coordinatrice ZEP
sur le 20e. N'ayant plus de classe en charge, j'ai consacré mon temps à
développer des projets pédagogiques innovants de la maternelle au
collège Et j'ai pu développer à plus grande échelle un programme intergénérationnel
décliné en fonction des programmes scolaires. Je me suis pas intéressée
seulement aux maisons de retraite, le public retraités s'est aussi élargi :
retraités actifs, associations de retraités, clubs du 3e âge, maisons de retraite,
centre Alzheimer. Durant cette période, j'ai également beaucoup développé
les ateliers sur l'histoire : les enfants ne comprennent pas forcément
l'histoire, mais lorsqu'elle est incarnée par une figure vivante, c'est
différent. Ils comprennent que l'histoire ce ne sont pas que des manuels et
des documents, mais qu'elle a été vécue, au travers des témoignages
d'anciens déportés, d'anciens enfants cachés, de retraités migrants...
Suite à ce travail, j'ai décidé,
en 2005 de créer une association entièrement dédiée à ce projet
intergénérationnel afin de communiquer en partenariat avec
l'académie de Paris sur le projet "ensemble demain" avec photos,
films, peintures, dessins et écrits intergénérationnels.
Il fallait aussi former le
personnel encadrant retraité sur le programme "ensemble demain"
en parallèle des enseignants : c'est ainsi qu'"Ensemble demain" est
née. L'association a ensuite reçu, en 2008, le premier prix des initiatives de
la bientraitance par la Mairie de Paris.
Vous avez ensuite décidé d'écrire un livre ?
Oui, j'ai voulu rassembler dans
un livre tous les récits des enfants et des personnes âgées issus des
ateliers pédagogiques. Ainsi j'ai écrit , en 2010, le Carnet de voyage
intergénérationnel, illustré par une amie artiste. J'ai eu la chance à ce
moment-là de rencontrer Albert Jacquard, qui a préfacé le livre. Paulette
Guinchard, ancienne secrétaire d'Etat aux aînés a également soutenu le livre
et s'est exprimée dans un passage du livre, et Liliane Capelle, adjointe au
Maire de Paris a, quant à elle, fait la postface du livre. Ce livre a eu de
grandes répercussions dans l'Education nationale : je suis ensuite devenue
chargée de mission sur l'académie de Paris sur les approches
intergénérationnelles. La Suisse, la Belgique et le Québec se sont par
ailleurs intéressés au projet.
Votre projet connaît une véritable ascension depuis 2011...
En 2011, ce projet a en effet
été sélectionné par le ministère de l'éducation nationale pour être exposé à
l'UNESCO. Suite à cela, je suis devenue chargée du dossier
intergénérationnel à la DGESCO et chargée de mission "approches
intergénérationnelles" académie de Paris.
Nous diffusons le projet au niveau
national et international (Québec, République Tchèque, Suisse, Belgique,
Usa ...) depuis quelques années : conférences, formations ,
expositions...Après avoir créé et expérimenté le projet "ensemble
demain", écrit un livre de fiction , il manquait la création de films
et de livres théoriques et pratiques. L'idée a été de créer une campagne
intergénérationnelle de spots pour l'année 2012, année européenne du
vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle. 5 spots
viennent d'être réalisés, dont un sur l'école intergénérationnelle de
demain. Chacun des spots est conclu par Albert et Marion Jacquard. Les spots
sont utilisés pour communiquer sur le programme "ensemble
demain", ainsi que les films sur les ateliers intergénérationnels
effectués sur le terrain dans les établissements scolaires ou pour
retraités. Edgar Morin, que j'ai rencontré à l'UNESCO, est par ailleurs
devenu parrain de l'association. Enfin, nous lançons une collection de
livres sur l'intergénération, pour 2013, la collection ENSEMBLEDEMAIN avec
des livres sur le thème des rapports entre les générations (santé, logement
, école, argent).
Ces livres seront présentés
lors d'une grande exposition proposée par l'association "Ensemble
demain" et Albert Jacquard à l'Hôtel de Ville de Paris, du 21 janvier au
23 février 2013, "la
générosité des générations". Une exposition pleine
d'émotions composée de peintures, photos, films, dessins, écrits
intergénérationnels, avec comme partenaires, l'académie de Paris, la
CASDEN, la MGEN , la fondation de France...
Parallèlement, l'Europe
s'intéresse au projet. La Commission européenne nous a demandé de créer des
fiches ressources pour les enseignants européens qui souhaitent rentrer
dans un projet intergénérationnel en classe. Ces fiches sont en ligne sur
le site de la commission. Nous serons également présents à Marseille 2013. L'année à venir s'annonce
donc très riche !
Sandra Ktourza
Enseignants, si vous souhaitez
travailler sur un projet avec des retraités, contactez l'association
"Ensemble demain" :
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