lundi 14 janvier 2013

"Ensemble demain" : élèves et personnes âgées, main dans la main



Carole Gadet est la fondatrice de l'association Ensemble demain, qui propose un programme pédagogique mettant en relation personnes âgées et élèves. La qualité et l'efficacité de ce projet, exposé à l'Unesco en juin 2011, sont reconnues par l'Education nationale et la Commission Européenne. Il bénéficie également du parrainage d'Albert Jacquard et Edgar Morin. Une grande exposition de l'association ouvrira ses portes le 21 janvier prochain à l'Hôtel de Ville de Paris. Carole Gadet répond à nos questions.


Comment est née l'idée de monter un projet intergénérationnel ?
J'ai beaucoup travaillé sur le rôle des anciens et la transmission dans la société afri­caine. Par ailleurs, quand j'avais 14 ans, ma grand-mère est entrée dans une mai­son de retraite et j'ai vu des personnes âgées qui attendaient désespérément leur famille derrière des baies vitrées. Je me suis donc dit qu'un jour j'œuvrerai pour améliorer la condition de vie des personnes en maison de retraite. Je suis rentrée en 1999 d'un voyage dans un dispensaire en Inde, j'avais une classe à l'époque, j'ai eu un déclic et je me suis dit que c'était le moment de commencer un travail avec les personnes âgées.
Par hasard, alors que j'enseignais à cette époque dans le 20e arrondissement de Paris dans une école en ZEP, j'ai appris qu'une maison de retraite se construisait juste à côté de l'école. J'ai rencontré la directrice générale de la maison qui a donné son accord pour que nous puissions monter un projet ensemble.

J'ai donc créé des ateliers pédagogiques qui puissent être validés par les inspecteurs et pleinement intégrés au temps scolaire. Totalement en phase avec les programmes, ils permettent de travailler des compétences trans­dis­ci­pli­naires : ate­liers lec­ture, conte, patri­moine, Histoire, sciences de la vie et de la terre, langues, nou­velles tech­no­lo­gies mais aussi gym­nas­tique douce, ou encore chan­son d'hier et d'aujourd'hui. Nous orga­ni­sons égale­ment des ate­liers Histoire et mémoire avec des per­sonnes âgées ayant vécu la guerre, la dépor­ta­tion, la résistance ...

Racontez-nous com­ment s'est passé le tout pre­mier atelier...
J'ai tra­vaillé ini­tia­le­ment sur ce pre­mier pro­jet dans le 20e arron­dis­se­ment de Paris avec des élèves de CM1 d'une école clas­sée ZEP en 1999. Ils ont été trans­for­més par la ren­contre avec les per­sonnes âgées. Ils n'ont pas du tout été, contrai­re­ment aux adultes, gênés par la peur du vieillir, mais ont été sen­sibles avant tout à l'aspect affec­tif. Ce lien tissé avec les aînés a per­mis à cer­tains de se déblo­quer en lec­ture, en expres­sion écrite, de plus les enfants se sentent res­pon­sables, acteurs à part entière de ce pro­jet civique. En pro­duc­tion d'écrits par exemple, les enfants sont moti­vés par le fait d'échanger avec les retrai­tés par mail et en écri­vant des lettres ou en écri­vant un livre qui relate une année en mai­son de retraite, cela les conduit à d'énormes pro­grès. Le rap­port aux appren­tis­sages devient très dif­fé­rent car un lien affec­tif est créé et les géné­ra­tions se valo­risent les unes les autres. En retour, la vie des per­sonnes âgées est aussi trans­for­mée : elles attendent avec impa­tience les visites des élèves, cer­taines qui dépé­ris­saient se remettent à man­ger, et l'on s'est même rendu compte que les per­sonnes atteintes de la mala­die d'Alzheimer ou Parkinson, avait un état de santé qui s'améliorait.

J'ai suivi ensuite cette classe en CM2, puis j'ai élargi mon tra­vail avec des élèves d'autres classes pen­dant plu­sieurs années, à la demande de col­lègues inté­res­sés par le pro­jet : des élèves au cycles 2 et 3, en clin, en clis, au col­lège. Les résul­tats ont été très pro­bants. Un tra­vail a paral­lè­le­ment été fait avec des méde­cins, des géron­to­logues et des kinés en mai­son de retraite pour pro­po­ser des ate­liers adap­tés aux per­sonnes âgées.
A noter sur­tout qu'un pro­jet inter­gé­né­ra­tion­nel ne s'improvise pas. Il faut que les acteurs du pro­jet aient des objec­tifs bien pré­cis et élaborent ensemble un pro­jet péda­go­gique com­mun avec les res­sources néces­saires pour le mener à terme. Les ate­liers n'ont pas lieu qu'une ou deux fois par an : ils se déroulent durant l'année une après-midi toutes les trois semaines. Deux, trois ate­liers sont pro­po­sés par après-midi : tout le monde tourne et chaque groupe d'enfants est ainsi mis en rela­tion avec chaque groupe de per­sonnes âgées.

L'idée de créer une asso­cia­tion est venue à quel moment ?
La cani­cule de 2003 a été un déclic : à par­tir de là, la mai­rie du 20e m'a pro­posé d'exposer les tra­vaux que j'avais effec­tués avec ma classe, puis ce fut l'Hôtel de Ville. Nous avons pro­posé à l'Hôtel de Ville une expo­si­tion photo sur les ate­liers péda­go­giques, inti­tu­lée "Main dans la main" –parce qu'on y voyait beau­coup de mains d'enfants et de per­sonnes âgées– qui a beau­coup plu. Suite à cela, je suis deve­nue char­gée de mis­sion en tant que coor­di­na­trice ZEP sur le 20e. N'ayant plus de classe en charge, j'ai consa­cré mon temps à déve­lop­per des pro­jets péda­go­giques inno­vants de la mater­nelle au col­lège Et j'ai pu déve­lop­per à plus grande échelle un pro­gramme inter­gé­né­ra­tion­nel décliné en fonc­tion des pro­grammes sco­laires. Je me suis pas inté­res­sée seule­ment aux mai­sons de retraite, le public retrai­tés s'est aussi élargi : retrai­tés actifs, asso­cia­tions de retrai­tés, clubs du 3e âge, mai­sons de retraite, centre Alzheimer. Durant cette période, j'ai égale­ment beau­coup déve­loppé les ate­liers sur l'histoire : les enfants ne com­prennent pas for­cé­ment l'histoire, mais lorsqu'elle est incar­née par une figure vivante, c'est dif­fé­rent. Ils com­prennent que l'histoire ce ne sont pas que des manuels et des docu­ments, mais qu'elle a été vécue, au tra­vers des témoi­gnages d'anciens dépor­tés, d'anciens enfants cachés, de retrai­tés migrants...
Suite à ce tra­vail, j'ai décidé, en 2005 de créer une asso­cia­tion entiè­re­ment dédiée à ce pro­jet inter­gé­né­ra­tion­nel afin de com­mu­ni­quer en par­te­na­riat avec l'académie de Paris sur le pro­jet "ensemble demain" avec pho­tos, films, pein­tures, des­sins et écrits intergénérationnels.
Il fal­lait aussi for­mer le per­son­nel enca­drant retraité sur le pro­gramme "ensemble demain" en paral­lèle des ensei­gnants : c'est ainsi qu'"Ensemble demain" est née. L'association a ensuite reçu, en 2008, le pre­mier prix des ini­tia­tives de la bien­trai­tance par la Mairie de Paris.

Vous avez ensuite décidé d'écrire un livre ?
Oui, j'ai voulu ras­sem­bler dans un livre tous les récits des enfants et des per­sonnes âgées issus des ate­liers péda­go­giques. Ainsi j'ai écrit , en 2010, le Carnet de voyage inter­gé­né­ra­tion­nel, illus­tré par une amie artiste. J'ai eu la chance à ce moment-là de ren­con­trer Albert Jacquard, qui a pré­facé le livre. Paulette Guinchard, ancienne secré­taire d'Etat aux aînés a égale­ment sou­tenu le livre et s'est expri­mée dans un pas­sage du livre, et Liliane Capelle, adjointe au Maire de Paris a, quant à elle, fait la post­face du livre. Ce livre a eu de grandes réper­cus­sions dans l'Education natio­nale : je suis ensuite deve­nue char­gée de mis­sion sur l'académie de Paris sur les approches inter­gé­né­ra­tion­nelles. La Suisse, la Belgique et le Québec se sont par ailleurs inté­res­sés au projet.

Votre projet connaît une véritable ascension depuis 2011...
En 2011, ce pro­jet a en effet été sélec­tionné par le minis­tère de l'éducation natio­nale pour être exposé à l'UNESCO. Suite à cela, je suis deve­nue char­gée du dos­sier inter­gé­né­ra­tion­nel à la DGESCO et char­gée de mis­sion "approches inter­gé­né­ra­tion­nelles" aca­dé­mie de Paris.

Nous dif­fu­sons le pro­jet au niveau natio­nal et inter­na­tio­nal (Québec, République Tchèque, Suisse, Belgique, Usa ...) depuis quelques années : confé­rences, for­ma­tions , expositions...Après avoir créé et expé­ri­menté le pro­jet "ensemble demain", écrit un livre de fic­tion , il man­quait la créa­tion de films et de livres théo­riques et pra­tiques. L'idée a été de créer une cam­pagne inter­gé­né­ra­tion­nelle de spots pour l'année 2012, année euro­péenne du vieillis­se­ment actif et de la soli­da­rité inter­gé­né­ra­tion­nelle. 5 spots viennent d'être réa­li­sés, dont un sur l'école inter­gé­né­ra­tion­nelle de demain. Chacun des spots est conclu par Albert et Marion Jacquard. Les spots sont uti­li­sés pour com­mu­ni­quer sur le pro­gramme "ensemble demain", ainsi que les films sur les ate­liers inter­gé­né­ra­tion­nels effec­tués sur le ter­rain dans les établis­se­ments sco­laires ou pour retrai­tés. Edgar Morin, que j'ai ren­con­tré à l'UNESCO, est par ailleurs devenu par­rain de l'association. Enfin, nous lan­çons une col­lec­tion de livres sur l'intergénération, pour 2013, la col­lec­tion ENSEMBLEDEMAIN avec des livres sur le thème des rap­ports entre les géné­ra­tions (santé, loge­ment , école, argent).
Ces livres seront pré­sen­tés lors d'une grande expo­si­tion pro­po­sée par l'association "Ensemble demain" et Albert Jacquard à l'Hôtel de Ville de Paris, du 21 jan­vier au 23 février 2013, "la géné­ro­sité des géné­ra­tions". Une expo­si­tion pleine d'émotions com­po­sée de pein­tures, pho­tos, films, des­sins, écrits inter­gé­né­ra­tion­nels, avec comme par­te­naires, l'académie de Paris, la CASDEN, la MGEN , la fon­da­tion de France...
Parallèlement, l'Europe s'intéresse au projet. La Commission euro­péenne nous a demandé de créer des fiches res­sources pour les ensei­gnants euro­péens qui sou­haitent ren­trer dans un pro­jet inter­gé­né­ra­tion­nel en classe. Ces fiches sont en ligne sur le site de la com­mis­sion. Nous serons égale­ment pré­sents à Marseille 2013. L'année à venir s'annonce donc très riche !
Sandra Ktourza

Enseignants, si vous sou­hai­tez tra­vailler sur un pro­jet avec des retrai­tés, contactez l'association "Ensemble demain" :

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