samedi 19 janvier 2013

Se construire par les arts plastiques (livre)



Partout fleurissent cours et ateliers d'arts plastiques dans lesquels apprentis de tous âges cherchent à apprendre des techniques, à créer des images, à éprouver du plaisir. Les ressentis physiques et émotionnels de l'apprenti ne sont pas toujours pris en compte, à cause d'une polarisation sur les conseils d'ordre technique. La démarche pourrait être autre et faire l'objet d'une centration sur ce que ressent le peintre (débutant ou confirmé) qui travaille à créer une image : que recherche-t-il consciemment et qu'est ce qui lui échappe ? Ce livre s'inscrit dans cette recherche et propose d'analyser en détail ce que ressent celui qui dessine, peint ou modèle l'argile. En comprenant mieux ce que chaque acte met en jeu, il est aussi possible de développer des ateliers suscitant davantage l'épanouissement et la structuration des participants. Ceci nécessite de s'interroger sur le rôle exact de l'animateur d'atelier. Si chaque animateur perce mieux les enjeux psychologiques qui se jouent, il pourra mieux adapter sa pédagogie aux besoins des apprentis et il optimisera ainsi l'impact éducatif et émotionnel de son action. Par cet ouvrage, l'auteur analyse donc un à un les gestes et les actes pour mieux les comprendre. Elle se situe dans une recherche sur le sens et invite à adapter les différents éléments nécessaires à la création prenant en compte l'unicité de son créateur et sa recherche personnelle.

Evelyne Odier est peintre. Elle anime depuis 25 ans, auprès de publics très variés, des ateliers d'arts plastiques dans lesquels la création artistique est un but en soi et/ou une médiation à effets thérapeutiques. Elle anime également des stages de formation continue au carrefour de l'art, la pédagogie, l'éducation et la thérapie, afin d'apprendre à optimiser l'impact d'un atelier d'arts plastiques.

Evelyne Odier, Se construire par les arts plastiques : On devient comme on dessine. 2007. Ed. Chronique Sociale

Sommaire  
Chapitre I : l’investissement corporel dans le dessin et l’écriture
1. Evolution du geste et de la trace  
les gribouillages
la trace et le geste de ceux qui savent écrire  
2. Analyser la trace   
3. On devient comme on dessine4. Rythme ou répétition mécanique5. Regarder, toucher, écouter   
6. Pour déconnecter dessin et écriture :  
changer la manière d’utiliser les outils
changer les outils
changer de format  
se préparer à peindre  
changer de support
changer l’attitude du dessinateur  
enlever la peur de l’échec  
donner un cadre à la transgression au niveau gestuel
mettre les formes pour dire ce qu’il ne faut pas dire  
jouer avec les lettres
7. Conclusion :  
affirmer et nuancer  
choisir  
enrichir ou épurer

Chapitre II : le dessin « juste »
1. Symbole et représentation2. Réalisme intellectuel 3. Réalisme émotionnel, affectif
 4. Le dessin « comme il faut »
 5. Le réalisme visuel : dessiner ce qu’on voit
 6. Clarifier le point de vue
« rater » un dessin   
comprendre la structure et la fonction de chaque élément
représenter « comme il faut » ou ne pas le faire ?  
représenter « comme on le sent » ou ne pas le faire ?  
imaginer, peindre abstrait, ou ne pas le faire ?

Chapitre III : du « on » au « nous », de la fusion à la vie sociale
1. Limites et contacts  
le contour  
le coloriage
le rapport entre l’intérieur et le contour
2. Etablir des relations  
les ambassadeurs
les échos  
les intersections : les hachures  
les reflets  
le mélange des couleurs, la variation des valeurs
la complémentarité
le support
le sol  
le « mouillé » de l’aquarelle
les photo-montages et l’intégration de matériaux trouvés  
conclusion

Chapitre IV : pour une meilleure gestion de l’espace et du temps
1.  Mieux gérer l’espace  
bas – relief ou ronde - bosse  
créer l’espace : « nid douillet », proximité, ou vastes horizons
l’espace entre l’apprenti et son oeuvre
superposition d’épaisseurs successives
2. Mieux gérer le temps
le temps du projet et le temps du lâcher-prise
rapidité ou lenteur  
le déroulement du temps pendant la séance  
le temps de la signature
gérer le temps à l’échelle de l’année

Chapitre V : mise en forme de l’expression
1. Enseigner et accompagner ? 
proposer, est-ce manipuler ?

2. S’exprimer pour :  
se sentir compris  
mettre de l’ordre dans sentiments et émotions
inventer des solutions nouvelles  
mettre en relations émotions et monde réel
parvenir à la communication  
se sentir membre d’une communauté  
3. Créer et produire  
la sublimation  
l’angoisse  
le travail ou le plaisir  
le projet ou l’aventure  
des règles
création et production
critères de jugements et ressentis  
4. L’atelier entre éducation et thérapie
création et thérapie
la place de l’atelier au cours de la vie

Introduction
Partout fleurissent cours et ateliers d’arts plastiques dans lesquels des apprentis de tous âges cherchent à apprendre des techniques et à créer des images. Pour se convaincre du nombre important de personnes  concernées, il suffit de jeter un coup d’œil sur la myriade de livres et revues qui expliquent les « secrets d’artistes », les démonstrations « pas à pas », les « trucs et astuces ».
Pourtant, nombreux sont ceux qui font l’expérience que les conseils ne suffisent pas. Certains buttent encore et toujours sur les mêmes difficultés même s’ils ont lu de nombreux livres, ou essayé divers cours. Peut être parce que tous ces conseils étaient d’ordre technique, et ne prenaient pas en compte les ressentis physiques et émotionnels de l’apprenti quand il essaie de pratiquer son art. De nombreux pédagogues ou animateurs, dans le domaine des arts plastiques, cherchent à amener les élèves « à voir autrement », ce qui signifie refuser de s’intéresser à ce que voit et ressent spontanément l’apprenti. Or il me semble que c’est au contraire par cette interrogation que tout débute : que ressent ce peintre (débutant ou confirmé) qui travaille à créer une image, que recherche - t - il consciemment, et qu’est – ce qui lui échappe ?
Portés par les idées toutes faites de notre époque, nous pensons qu’un atelier a très souvent des répercussions positives sur le plan psychologique et que « ça ne peut pas faire de mal ».
Comparons avec ce qui se passe dans un autre domaine : depuis des décennies, les professeurs de sports apprennent pendant leur formation l’impact au niveau corporel, émotionnel et éducatif de leur discipline. Ils veillent à équilibrer les différents apports : par exemple les sports collectifs pour développer l’entraide et le respect des règles, l’endurance pour apprendre à persévérer et à gérer son effort dans la durée, la relaxation pour apaiser les tensions, etc.
Il est même admis par tous qu’une discipline puisse avoir des répercussions positives sur la quasi-totalité des élèves, et pourtant accentue les fragilités de quelques uns, qui doivent donc être dispensés.
Tout le monde admet également qu’un médicament, utile par ailleurs, puisse avoir des effets indésirables, voire des contre-indications;  les psychologues savent aussi qu’un  type de thérapie peut convenir à une personne mais pas à une autre.
Par contre, les jugements sur l’impact des arts plastiques sont encore aujourd’hui trop souvent monolithiques, globalisants et généralistes. Ce livre a donc pour objet d’analyser en détails ce que ressent celui qui dessine, peint ou modèle l’argile. En comprenant mieux ce que chaque acte met en jeu, nous pourrons développer des ateliers qui suscitent mieux l’épanouissement et la structuration des participants. Et les « peintres du dimanche », tout comme les artistes professionnels, pourront trouver ici des éclairages sur leurs plaisirs ou leurs difficultés.
IL nous faut oser une question dérangeante : est-ce que la pratique des arts plastiques a automatiquement un apport bénéfique ? Ou faut-il pour cela que certaines conditions soient réunies ? Peut-il arriver qu’un atelier ait un impact éducatif et/ émotionnel neutre ? Ou même qu’il puisse accentuer des fragilités déjà existantes, voire contribuer à déstructurer un participant ? Nous avons du mal à imaginer que peindre ou modeler puisse avoir des répercussions psychologiques négatives. Essayons d’oublier nos préjugés rassurants et interrogeons-nous.
Un autre thème de réflexion traverse ce livre. Quel est le rôle exact de l’animateur d’atelier d’arts plastiques : enseignant, ou éducateur, voire thérapeute ?
Jusqu’à un passé récent, les domaines étaient bien délimités. Celui qui désirait progresser en peinture demandait à un professeur de lui enseigner des techniques. Celui qui voulait « travailler sur soi » pouvait s’exprimer par le dessin en présence d’un thérapeute. Ces deux grandes classifications sont de plus en plus entremêlées. Certains professeurs ne veulent plus enseigner des techniques, mais susciter l’expression. Par ailleurs les arts plastiques sont fréquemment utilisés comme des « médiations à but ou effet thérapeutique ».
Artistes et psychologues ont découvert qu’ils peuvent avoir des objectifs et des outils communs. Chacun investit le domaine de l’autre.
Est-il possible de maintenir une séparation ? 
Un enseignant prudent pourrait dire : « Je ne suis pas psychologue, alors je ne m’intéresse qu’à la forme ; mon atelier n’est pas le lieu où on prend en compte ce qui est exprimé. »
Mais, existe-t-il en art des conseils techniques qui ne soient pas emplis de la subjectivité du professeur ? Est-il possible de « travailler » l’observation, ou la composition d’une image, ou l’harmonie des couleurs, en n’exprimant rien du tout ? Et si un élève dit  quelque chose par son dessin, faut-il y répondre, ou surtout ne rien entendre ? Est-il possible de considérer qu’un type d’atelier peut apprendre à mettre en forme sans se soucier de « quoi » est mis en forme, et qu’un autre type d’atelier peut s’intéresser à « quoi » est exprimé, sans se soucier de la manière dont ce « quoi » est mis en forme ? L’apprentissage de techniques est – il en contradiction avec l’expression, ou est – il au contraire un tremplin, parmi d’autres, pour favoriser l’intégration des émotions ? Le professeur peut-il rester neutre dans le domaine de l’expression ?
Pour désigner cet acteur, j’utiliserai un terme, volontairement flou : l’animateur. Quant au participant de l’atelier, je le nommerai apprenti ; ce mot convient à celui qui essaie d’apprendre des techniques d’arts plastiques aussi bien qu’à celui qui essaie de vivre mieux, qui est en recherche de développement personnel et d’équilibre psychologique. L’apprenti est celui qui progresse en faisant avec ses mains, en vivant, et il se distingue en cela de l’élève, qui apprend des connaissances intellectuelles apportées par des livres ou par des professeurs « qui savent ».
Pour essayer de répondre à ces questions, je vais analyser un par un les gestes et les actes qui se succèdent dans un atelier d’arts plastiques, pour mieux comprendre ce qui se passe au niveau du faire, pour mieux comprendre à quels problèmes se trouve confronté celui qui cherche à créer une image ou une œuvre en trois dimensions.
Ce livre essaie de se frayer un chemin entre deux écueils opposés :
un livre de recettes d’une part, qui expliqueraient le « comment » sans s’interroger suffisamment sur le « pourquoi » et ne permettrait pas de comprendre pourquoi certains conseils de l’animateur, apparemment simples d’un point de vue technique, ne peuvent pas être suivis par l’apprenti
un discours trop intellectuel d’autre part, qui ne se confronterait pas aux problèmes à « ras de terre » que pose la pratique : celui qui ne met pas les mains « dans le cambouis » ne comprend pas l’interaction entre le faire, l’idée et le ressenti. 
Ce livre se veut donc une recherche sur le sens : quel sens ont pour l’apprenti les plaisirs ou les difficultés qui surgissent pendant qu’il cherche à créer une image. Ce sens varie en fonction de l’âge de l’apprenti, et également en fonction de sa culture et de ses problématiques. Il nous faudra donc envisager différents points de vue possibles.
Je n’analyserai pas ici toutes les interactions entre les membres du groupe, ni les phénomènes de transfert, identifications, projections… entre l’animateur et les participants. Tout ceci existe bien sûr fortement à l’atelier, mais le but de ce livre est seulement d’analyser ce qui est mis en jeu par la création plastique.
Je n’analyserai donc que les divers ingrédients qui participent à la création, chaque animateur les combinera ensuite en fonction de sa personnalité propre, de sa formation, et de la définition de son atelier : celui qui anime des séances individuelles ne travaillera pas de la même manière que celui qui travaille avec un groupe ; celui qui a le statut d’enseignant ou d’animateur ne les utilisera pas de la même manière que celui qui travaille dans un cadre thérapeutique. Je ne définirai donc pas un atelier « idéal ».
Si chaque animateur perçoit mieux les enjeux psychologiques qui se jouent dans son atelier, il pourra mieux adapter sa pédagogie aux besoins des apprentis qui lui sont confiés, et il optimisera ainsi l'impact éducatif et émotionnel de son action. Et les images crées dans son atelier deviendront de plus en plus expressives, de plus en plus justes.
La plupart des exemples que vous trouverez dans ce livre viennent des ateliers que j’ai animés (on ne parle bien que de ce qu’on connaît !), ma formation de base étant celle de professeur d’arts plastiques. Certains de ces ateliers sont des cours de loisirs, même si certains apprentis y viennent avec un autre objectif. D’autres ateliers ont eu lieu dans des foyers de vie pour adultes handicapés mentaux (souvent autistes ou trisomiques) ; d’autres encore auprès de personnes en difficultés sociales (SDF, adolescents en foyer éducatif, enfants de milieu défavorisés). Chaque fois que j’avais le choix, j’ai préféré prendre un exemple venu d’un enfant et non pas d’un adulte, espérant ainsi préserver davantage la confidentialité.
Quels sont donc les différents ingrédients qui participent à la création d’un tableau, d’un dessin ou d’un modelage ?
 J’examinerai d’abord comment le corps est investi dans l’acte pictural et quels ressentis physiques suscitent les différents gestes. Puis je chercherai à définir un dessin juste et réussi, et j’éclaircirai la différence entre représenter et symboliser. Je réfléchirai ensuite à la manière dont les liens de l’individu avec son entourage sont mis en jeu par la création, et je préciserai ce terme : qu’est-ce que créer ? 
J’essayerai de déterminer tout ce que l’animateur induit, qu’il le veuille ou non, par ses interventions, ou par ses non-interventions. Puis j’essayerai de répondre à notre question : quelles conditions doivent être réunies pour que l’atelier d’arts plastiques ait des répercussions éducatives, psychologiques, et artistiques positives ?

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