Partout fleurissent cours et
ateliers d'arts plastiques dans lesquels apprentis de tous âges cherchent à
apprendre des techniques, à créer des images, à éprouver du plaisir. Les
ressentis physiques et émotionnels de l'apprenti ne sont pas toujours pris en
compte, à cause d'une polarisation sur les conseils d'ordre technique. La
démarche pourrait être autre et faire l'objet d'une centration sur ce que
ressent le peintre (débutant ou confirmé) qui travaille à créer une image : que
recherche-t-il consciemment et qu'est ce qui lui échappe ? Ce livre s'inscrit
dans cette recherche et propose d'analyser en détail ce que ressent celui qui
dessine, peint ou modèle l'argile. En comprenant mieux ce que chaque acte met
en jeu, il est aussi possible de développer des ateliers suscitant davantage
l'épanouissement et la structuration des participants. Ceci nécessite de
s'interroger sur le rôle exact de l'animateur d'atelier. Si chaque animateur
perce mieux les enjeux psychologiques qui se jouent, il pourra mieux adapter sa
pédagogie aux besoins des apprentis et il optimisera ainsi l'impact éducatif et
émotionnel de son action. Par cet ouvrage, l'auteur analyse donc un à un les
gestes et les actes pour mieux les comprendre. Elle se situe dans une recherche
sur le sens et invite à adapter les différents éléments nécessaires à la
création prenant en compte l'unicité de son créateur et sa recherche
personnelle.
Evelyne Odier est peintre. Elle
anime depuis 25 ans, auprès de publics très variés, des ateliers d'arts
plastiques dans lesquels la création artistique est un but en soi et/ou une
médiation à effets thérapeutiques. Elle anime également des stages de formation
continue au carrefour de l'art, la pédagogie, l'éducation et la thérapie, afin
d'apprendre à optimiser l'impact d'un atelier d'arts plastiques.
Evelyne Odier, Se construire par les arts plastiques : On
devient comme on dessine. 2007. Ed. Chronique Sociale
Sommaire
Chapitre I : l’investissement corporel dans le
dessin et l’écriture
1. Evolution du geste et de la trace
les gribouillages
la trace et le geste de ceux
qui savent écrire
2. Analyser la trace
3. On devient
comme on dessine
4. Rythme ou répétition mécanique
5. Regarder,
toucher, écouter
6. Pour déconnecter dessin et écriture :
changer la manière d’utiliser
les outils
changer les outils
changer de format
se préparer à peindre
changer de support
changer l’attitude du
dessinateur
enlever la peur de l’échec
donner un cadre à la
transgression au niveau gestuel
mettre les formes pour dire
ce qu’il ne faut pas dire
jouer avec les lettres
7. Conclusion :
affirmer et nuancer
choisir
enrichir ou épurer
Chapitre II : le dessin « juste »
1. Symbole et représentation
2. Réalisme intellectuel
3. Réalisme émotionnel,
affectif
4. Le dessin « comme il faut »
5. Le réalisme
visuel : dessiner ce qu’on voit
6. Clarifier le point de vue
« rater » un dessin
comprendre la structure et
la fonction de chaque élément
représenter « comme il faut »
ou ne pas le faire ?
représenter « comme on le
sent » ou ne pas le faire ?
imaginer, peindre abstrait,
ou ne pas le faire ?
Chapitre III : du « on » au « nous »,
de la fusion à la vie sociale
1. Limites et contacts
le contour
le coloriage
le rapport entre l’intérieur
et le contour
2. Etablir des relations
les ambassadeurs
les échos
les intersections : les
hachures
les reflets
le mélange des couleurs, la
variation des valeurs
la complémentarité
le support
le sol
le « mouillé » de l’aquarelle
les photo-montages et l’intégration
de matériaux trouvés
conclusion
Chapitre IV : pour une meilleure gestion de l’espace
et du temps
1. Mieux gérer l’espace
bas – relief ou ronde -
bosse
créer l’espace : « nid
douillet », proximité, ou vastes horizons
l’espace entre l’apprenti et
son oeuvre
superposition d’épaisseurs
successives
2. Mieux gérer le temps
le temps du projet et le
temps du lâcher-prise
rapidité ou lenteur
le déroulement du temps
pendant la séance
le temps de la signature
gérer le temps à l’échelle
de l’année
Chapitre V : mise en forme de l’expression
1. Enseigner et accompagner ?
proposer, est-ce manipuler ?
2. S’exprimer pour :
se sentir compris
mettre de l’ordre dans
sentiments et émotions
inventer des solutions
nouvelles
mettre en relations émotions
et monde réel
parvenir à la communication
se sentir membre d’une
communauté
3. Créer et produire
la sublimation
l’angoisse
le travail ou le plaisir
le projet ou l’aventure
des règles
création et production
critères de jugements et
ressentis
4. L’atelier entre éducation et thérapie
création et thérapie
la place de l’atelier au
cours de la vie
Introduction
Partout fleurissent cours et ateliers d’arts plastiques
dans lesquels des apprentis de tous âges cherchent à apprendre des techniques
et à créer des images. Pour se convaincre du nombre important de personnes
concernées, il suffit de jeter un coup d’œil sur la myriade de livres et revues
qui expliquent les « secrets d’artistes », les démonstrations « pas
à pas », les « trucs et astuces ».
Pourtant, nombreux sont ceux qui font l’expérience que
les conseils ne suffisent pas. Certains buttent encore et toujours sur les mêmes
difficultés même s’ils ont lu de nombreux livres, ou essayé divers cours.
Peut être parce que tous ces conseils étaient d’ordre technique, et ne
prenaient pas en compte les ressentis physiques et émotionnels de l’apprenti
quand il essaie de pratiquer son art. De nombreux pédagogues ou animateurs,
dans le domaine des arts plastiques, cherchent à amener les élèves « à
voir autrement », ce qui signifie refuser de s’intéresser à ce que voit et
ressent spontanément l’apprenti. Or il me semble que c’est au contraire par
cette interrogation que tout débute : que ressent ce peintre (débutant ou
confirmé) qui travaille à créer une image, que recherche - t - il consciemment,
et qu’est – ce qui lui échappe ?
Portés par les idées toutes faites de notre époque, nous
pensons qu’un atelier a très souvent des répercussions positives sur le plan psychologique
et que « ça ne peut pas faire de mal ».
Comparons avec ce qui se passe dans un autre domaine :
depuis des décennies, les professeurs de sports apprennent pendant leur
formation l’impact au niveau corporel, émotionnel et éducatif de leur discipline.
Ils veillent à équilibrer les différents apports : par exemple les sports
collectifs pour développer l’entraide et le respect des règles, l’endurance
pour apprendre à persévérer et à gérer son effort dans la durée, la relaxation
pour apaiser les tensions, etc.
Il est même admis par tous qu’une discipline puisse avoir
des répercussions positives sur la quasi-totalité des élèves, et pourtant
accentue les fragilités de quelques uns, qui doivent donc être dispensés.
Tout le monde admet également qu’un médicament, utile par
ailleurs, puisse avoir des effets indésirables, voire des contre-indications;
les psychologues savent aussi qu’un type de thérapie peut convenir à une
personne mais pas à une autre.
Par contre, les jugements sur l’impact des arts plastiques
sont encore aujourd’hui trop souvent monolithiques, globalisants et généralistes.
Ce livre a donc pour objet d’analyser en détails ce que ressent celui qui
dessine, peint ou modèle l’argile. En comprenant mieux ce que chaque acte
met en jeu, nous pourrons développer des ateliers qui suscitent mieux l’épanouissement
et la structuration des participants. Et les « peintres du dimanche »,
tout comme les artistes professionnels, pourront trouver ici des éclairages sur
leurs plaisirs ou leurs difficultés.
IL nous faut oser une question dérangeante : est-ce que
la pratique des arts plastiques a automatiquement un apport bénéfique ? Ou
faut-il pour cela que certaines conditions soient réunies ? Peut-il arriver qu’un
atelier ait un impact éducatif et/ émotionnel neutre ? Ou même qu’il puisse
accentuer des fragilités déjà existantes, voire contribuer à déstructurer un
participant ? Nous avons du mal à imaginer que peindre ou modeler puisse avoir
des répercussions psychologiques négatives. Essayons d’oublier nos préjugés
rassurants et interrogeons-nous.
Un autre thème de réflexion traverse ce livre. Quel est
le rôle exact de l’animateur d’atelier d’arts plastiques : enseignant, ou éducateur,
voire thérapeute ?
Jusqu’à un passé récent, les domaines étaient bien délimités.
Celui qui désirait progresser en peinture demandait à un professeur de lui
enseigner des techniques. Celui qui voulait « travailler sur soi » pouvait s’exprimer
par le dessin en présence d’un thérapeute. Ces deux grandes classifications sont
de plus en plus entremêlées. Certains professeurs ne veulent plus enseigner des
techniques, mais susciter l’expression. Par ailleurs les arts plastiques sont
fréquemment utilisés comme des « médiations à but ou effet thérapeutique ».
Artistes et psychologues ont découvert qu’ils peuvent
avoir des objectifs et des outils communs. Chacun investit le domaine de l’autre.
Est-il possible de maintenir une séparation ?
Un
enseignant prudent pourrait dire : « Je ne suis pas psychologue, alors je ne m’intéresse
qu’à la forme ; mon atelier n’est pas le lieu où on prend en compte ce qui est
exprimé. »
Mais, existe-t-il en art des conseils techniques qui ne
soient pas emplis de la subjectivité du professeur ? Est-il possible de «
travailler » l’observation, ou la composition d’une image, ou l’harmonie des
couleurs, en n’exprimant rien du tout ? Et si un élève dit quelque chose
par son dessin, faut-il y répondre, ou surtout ne rien entendre ? Est-il
possible de considérer qu’un type d’atelier peut apprendre à mettre en forme
sans se soucier de « quoi » est mis en forme, et qu’un autre type d’atelier
peut s’intéresser à « quoi » est exprimé, sans se soucier de la manière dont ce
« quoi » est mis en forme ? L’apprentissage de techniques est – il en
contradiction avec l’expression, ou est – il au contraire un tremplin, parmi d’autres,
pour favoriser l’intégration des émotions ? Le professeur peut-il rester
neutre dans le domaine de l’expression ?
Pour désigner cet acteur, j’utiliserai un terme,
volontairement flou : l’animateur. Quant au participant de l’atelier, je le
nommerai apprenti ; ce mot convient à celui qui essaie d’apprendre des
techniques d’arts plastiques aussi bien qu’à celui qui essaie de vivre mieux,
qui est en recherche de développement personnel et d’équilibre psychologique. L’apprenti
est celui qui progresse en faisant avec ses mains, en vivant, et il se
distingue en cela de l’élève, qui apprend des connaissances intellectuelles
apportées par des livres ou par des professeurs « qui savent ».
Pour essayer de répondre à ces questions, je vais
analyser un par un les gestes et les actes qui se succèdent dans un atelier d’arts
plastiques, pour mieux comprendre ce qui se passe au niveau du faire, pour
mieux comprendre à quels problèmes se trouve confronté celui qui cherche à créer
une image ou une œuvre en trois dimensions.
Ce livre essaie de se frayer un chemin entre deux écueils
opposés :
un livre de recettes d’une
part, qui expliqueraient le « comment » sans s’interroger
suffisamment sur le « pourquoi » et ne permettrait pas de
comprendre pourquoi certains conseils de l’animateur, apparemment simples d’un
point de vue technique, ne peuvent pas être suivis par l’apprenti
un discours trop
intellectuel d’autre part, qui ne se confronterait pas aux problèmes à « ras
de terre » que pose la pratique : celui qui ne met pas les mains « dans
le cambouis » ne comprend pas l’interaction entre le faire, l’idée et le
ressenti.
Ce livre se veut donc une recherche sur le sens :
quel sens ont pour l’apprenti les plaisirs ou les difficultés qui surgissent
pendant qu’il cherche à créer une image. Ce sens varie en fonction de l’âge de
l’apprenti, et également en fonction de sa culture et de ses problématiques. Il
nous faudra donc envisager différents points de vue possibles.
Je n’analyserai pas ici toutes les interactions entre les
membres du groupe, ni les phénomènes de transfert, identifications, projections…
entre l’animateur et les participants. Tout ceci existe bien sûr fortement à l’atelier,
mais le but de ce livre est seulement d’analyser ce qui est mis en jeu par la
création plastique.
Je n’analyserai donc que les divers ingrédients qui
participent à la création, chaque animateur les combinera ensuite en fonction
de sa personnalité propre, de sa formation, et de la définition de son atelier :
celui qui anime des séances individuelles ne travaillera pas de la même manière
que celui qui travaille avec un groupe ; celui qui a le statut d’enseignant
ou d’animateur ne les utilisera pas de la même manière que celui qui travaille dans
un cadre thérapeutique. Je ne définirai donc pas un atelier « idéal ».
Si chaque animateur perçoit mieux les enjeux
psychologiques qui se jouent dans son atelier, il pourra mieux adapter sa pédagogie
aux besoins des apprentis qui lui sont confiés, et il optimisera ainsi l'impact
éducatif et émotionnel de son action. Et les images crées dans son atelier
deviendront de plus en plus expressives, de plus en plus justes.
La plupart des exemples que vous trouverez dans ce livre
viennent des ateliers que j’ai animés (on ne parle bien que de ce qu’on connaît
!), ma formation de base étant celle de professeur d’arts plastiques. Certains
de ces ateliers sont des cours de loisirs, même si certains apprentis y
viennent avec un autre objectif. D’autres ateliers ont eu lieu dans des foyers
de vie pour adultes handicapés mentaux (souvent autistes ou trisomiques) ;
d’autres encore auprès de personnes en difficultés sociales (SDF, adolescents
en foyer éducatif, enfants de milieu défavorisés). Chaque fois que j’avais le choix,
j’ai préféré prendre un exemple venu d’un enfant et non pas d’un adulte, espérant
ainsi préserver davantage la confidentialité.
Quels sont donc les différents ingrédients qui
participent à la création d’un tableau, d’un dessin ou d’un modelage ?
J’examinerai
d’abord comment le corps est investi dans l’acte pictural et quels ressentis
physiques suscitent les différents gestes. Puis je chercherai à définir un
dessin juste et réussi, et j’éclaircirai la différence entre représenter et
symboliser. Je réfléchirai ensuite à la manière dont les liens de l’individu
avec son entourage sont mis en jeu par la création, et je préciserai ce terme :
qu’est-ce que créer ?
J’essayerai de déterminer tout ce que l’animateur induit,
qu’il le veuille ou non, par ses interventions, ou par ses non-interventions.
Puis j’essayerai de répondre à notre question : quelles conditions doivent être
réunies pour que l’atelier d’arts plastiques ait des répercussions éducatives,
psychologiques, et artistiques positives ?
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