Le taux de réussite au brevet de ce collège est passé de 64% à 95%.
Nouveau principal, confiance dans les profs, transmission de valeurs, et
surtout, plaisir.
La salle des profs jouxte le
bureau du principal. Elle est très grande et claire. Il y a des éclats de rire
à l’heure du déjeuner. Les profs sont beaux, ou beaux d’être heureux,
impossible à dire (sauf pour l’assistante d’espagnol, qui est objectivement une
bombe atomique).
Quand le prof de français envoie
un texto à des élèves, il hésite à masquer son numéro, décide de le faire quand
même, mais signe « Amitiés » parce que c’est ce qu’il ressent. Quand
la secrétaire de direction fête ses 50 ans, l’équipe lui offre un sac de
grande marque vernis couleur prune.
Les profs m’assurent que ce n’est
pas une mise en scène et qu’ils n’ont pas été payés par le rectorat ou la
direction pour étaler leur bonheur.
Avant, c’était « beurk, argh, pfff »
Difficile à envisager, mais le
collège Georges Duhamel, avant, c’était la zone et la loi de la déprime. Au
début des années 2000, c’était un établissement connu pour sa petite
délinquance de couloir et ses faibles résultats au brevet – 64% de réussite.
Situation sclérosée, puisque la
direction et les profs n’arrivaient plus à se parler et les lundis matin
étaient cauchemardesques. A l’époque, les classes étaient en sous-effectifs
(370 élèves pour 468 places) ; plus que louche à Paris.
« Quand j’ai su que mon aîné
était sectorisé sur ce collège, j’ai dit des mots comme “beurk, argh,
pfff” », résume une mère d’élève. Finalement, son aîné a eu de la
chance : en 2004, l’année de son arrivée, tout a changé. Un nouveau
principal est arrivé, Albert Zenou, surnommé « Zenounours » ou
« Zorro », qui a aujourd’hui 62 ans.
En quelques années, il a
transformé le collège en un établissement dans lequel on peut mettre ses
enfants sans flipper : la réussite au brevet est passée à 95%, et le
bien-être est palpable.
« L’autre n’est pas un tordu »
Le prof de français,
« momie » qui enseigne dans le collège depuis 17 ans, pense que
la confiance qui émane du principal a été déterminante dans la métamorphose de
l’établissement.
« Le principal a réussi à
nous fondre dans une même pâte grâce à une absence de suspicion. Il ne nous
regarde jamais comme des fumistes et c’est très rare dans l’Education
nationale. Il n’y a pas de paranoïa institutionnelle. »
En essayant d’expliquer les raisons
de son bien-être dans l’établissement, une jeune prof parle aussi de
confiance :
« On se voit en dehors des
cours, on s’entend bien et le principal nous laisse les clés de l’établissement
quand on fait des soirées. »
A son pot de départ à la retraite,
une prof a raconté qu’elle ne s’était pas réveillée un matin. Arrivée dans le
bureau du principal, il lui aurait simplement dit qu’il était sûr maintenant
qu’elle était humaine.
Albert Zenou sait comment créer
un bon climat de travail. Il a longtemps tenu une revue qui s’appelle
« Education et management » ; il y a appris les vertus de la
structure enveloppante. Il connaît tout du beau-frère de la prof d’espagnol. Il
sait aussi dire quand cela ne va pas :
« Je le fais avec l’idée que
l’autre en face est capable de recevoir [des critiques, ndlr] et qu’il n’est
pas un tordu. »
Mixité et sac Picard
Parallèlement, à son arrivée,
Albert Zenou a tout de suite souhaité mettre fin au détournement des élèves des
milieux aisés : ceux qui avaient les moyens de fuir l’affectation en
allant dans le privé.
Pour cela, il a créé des filières
sélectives. D’abord une classe « bilangue » (même nombre d’heures
d’anglais et d’allemand dès la sixième). La prof d’allemand, qui a l’air d’être
une pointure, est particulièrement bien traitée : elle a sa salle, son PC
et son vidéoprojecteur.
Il a ensuite lancé des sections
latin et grec, une classe européenne, une section sportive (neuf heures
d’escalade par semaine) et des options scientifiques (stages en labo en
partenariat avec l’hôpital Necker).
Une mère d’élève, qui a
longuement hésité à mettre ses enfants à Georges Duhamel, mais ne le regrette
pas :
« Je suis contente de la
mixité qu’il a réussi à créer. Mes fils ont des amis de toutes les religions et
pas une semaine ne se passe sans que je me dise qu’ils sont ouverts d’esprit
sur les autres familles et leur fonctionnement. Ils me bluffent, je suis
contente. »
Puis elle ajoute :
« Ce qui est bien aussi,
c’est que les élèves ressemblent à des élèves. Quand je vois sur le trottoir
d’en face, des collégiens de Victor Duruy habillés avec leurs doudounes à la
mode, cela m’horrifie. Ici, personne n’est mis à l’écart parce qu’il n’a pas le
jean bidule. »
Les élèves aisés sont bienvenus,
mais la provocation n’est pas tolérée. Albert Zenou et son adjointe Carole
Blasco veillent tous les matins à l’entrée du collège. L’interdiction des sacs
à main permet de limiter la frime :
« Un jour, une fille est
arrivée en cours avec un sac Prada. On lui a demandé de le vider et on lui a
donné un sac Picard. Cela n’avait rien à voir, sauf la première lettre des deux
marques. Elle n’est plus jamais revenue avec. »
Planter les flèches du respect
Enfin, le principal a essayé de
transmettre des valeurs aux enfants. Pied-noir, il est arrivé d’Algérie à l’âge
de dix ans. Ses parents n’ont jamais voulu regarder en arrière (seulement les
bons souvenirs, pas de haine).
« Je marche avec des flèches
dans le dos, et ce sont celles du respect. Je viens d’une famille simple qui a
vécu une immense perte et qui ne demandait rien. »
Avant de devenir principal, il
était professeur de lettres classiques. « Le latin, cela structure. »
Bref, l’homme porte souvent une
cravate rose, mais c’est sa seule folie. Il a le goût de l’ordre et du sérieux.
A Georges Duhamel, pas de vernis, de maquillage, de tenues inappropriées ou de
casquettes. Avant de partir en voyage scolaire, les élèves doivent signer une
charte de bon comportement. Une élève nous dit que les parents sont
« hypercontents », mais que cela va « parfois » un peu
loin.
Le responsable de la vie
scolaire, Yannick, est grand type très baraqué au regard doux. C’est un ancien
sportif professionnel et ancien prof de français à l’université de Toronto,
rentré le temps d’obtenir un visa permanent.
C’est un pilier du collège et
Zenou l’a prié de rester un an de plus alors qu’il devait repartir. Avec le
principal, ils essayent de prendre les problèmes en amont (aussi sur Facebook).
Sabrina, 13 ans, confirme se sentir en sécurité :
« Moi, un jour j’ai été
suivie par des garçons jusqu’à chez moi, je l’ai dit à mes parents, le
principal a été mis au courant. Ça n’a jamais recommencé. Ça reste au stade de
petites histoires. »
Il n’y a pas eu de conseil de
discipline depuis environ sept ans.
« Ça m’amuse pas de faire du jersey »
Ambiance tout à fait saine, donc.
Des profs qui ne se sentaient à l’aise qu’en lycée décident de rester en
collège. Beaucoup ont envie de s’investir de façon « anormale ». Ils
font tous de l’aide aux devoirs et proposent des ateliers dans le cadre de
l’accompagnement éducatif (ainsi que des heures de soutien non-rémunérées).
Le niveau monte. La prof
d’anglais, jeune blonde au pull rouge, a monté un club ciné. Elle organise une
séance de cinéma en VO par semaine, avec relevé du nouveau vocabulaire à la
fin.
« C’est le seul problème
ici, on ne peut rien refuser au principal. On bosse certainement beaucoup plus
qu’ailleurs. »
Au collège, entre midi et deux,
des dizaines d’activités sont possibles. Calligraphie, boxe, cinéma en anglais,
bridge, langage des signes...
A la loge, Nicole Duhamel,
67 ans, qui porte le nom du collège et s’en amuse, propose des ateliers
tricot pour les profs et les élèves, plusieurs fois par semaine, parce que cela
lui fait plaisir.
« C’est ma passion le
tricot, mais ça m’amuse pas de faire du jersey, il faut que ce soit
compliqué. »
Elle adore l’accueil (elle dit
« mes profs ») et elle nous assure qu’elle pleure déjà à l’idée de partir
en juillet à la retraite.
Le lundi midi, le CPE Yannick
anime quant à lui un cours de hip-hop sur casting. En salle 209, une dizaine
d’élèves dansent et reproduisent des chorégraphies mises en ligne sur Youtube –
le niveau est dingue.
Par exemple, ce lundi midi, un
garçon, encore petit, l’air timide, qu’on aurait dit souple comme une branche
de platane, a fait une roulade arrière sur une table de classe avant de faire
des vagues avec les bras et des choses folles au sol.