Le biologiste évolutionniste Jared Diamond montre que les enfants dans
les sociétés traditionnelles sont plus sociables, curieux, imaginatifs, et
selon lui, c'est une question d'éducation.
De la France au Japon en passant
par de petites tribus de Nouvelle Guinée, l'éducation des enfants est très
différente, voire opposée. Quand dans certaines sociétés, les fessées sont
monnaie courante, dans d'autres, elles constituent un motif de divorce. Mais
les fessées et autres claques qui se perdent ne sont pas les seules différences
d'éducation.
Le professeur de géographie de
l'UCLA et célèbre
biologiste évolutionniste Jared Diamond oppose ainsi dans son dernier
ouvrage The World until yesterday : What can we learn from traditionnal
societies ? ("Le monde jusqu'à hier : ce que nous pouvons
apprendre des sociétés traditionnelles ?") l'éducation des petits
Américains à celle des jeunes de sociétés traditionnelles de Nouvelles Guinée
qu'il qualifie parfois de sociétés "à petite échelle".
Et les
différences sont légions : les petites sociétés visitées par Jared
Diamond ne laissent ainsi pas un bébé pleurer dix minutes "pour lui
apprendre le self-control", contrairement aux sociétés occidentales et
modernes ; la responsabilité des enfants est par ailleurs partagée par
l'ensemble du groupe et pas seulement ses parents, ce qui n'arrive bien
évidemment quasiment jamais dans les sociétés occidentales. Les bébés sont par
ailleurs quasiment tout le temps tenus, portés, dans les petites sociétés, que
ce soit par un des parents, un autre adulte voire même un enfant plus âgé alors
qu'ils sont laissés seuls dans leur berceau aux Etats-Unis. Les mères
occidentales allaitent leurs bébés bien moins longtemps et ne les laissent pas
dormir dans le lit familial, contrairement aux femmes des sociétés de Nouvelle
Guinée citées par le chercheur américain. Dès leur plus jeune âge, les enfants
des sociétés "à petite échelle" ont par ailleurs une liberté de choix
bien plus grande qu'ailleurs.
De telles
différences d'éducation donnent bien évidemment des adolescents et des adultes
très différents. Et Jared Diamond de citer les observations de
plusieurs scientifiques qui montrent que les bébés dans les sociétés
traditionnelles pleurent moins que les nourrissons occidentaux mais également
qu'ils sont plus sociables, curieux, confiants, créatifs, imaginatifs, géniaux
en somme. Les jeunes de ces petites sociétés ne se transforment pas en petits
monstres à l'adolescence et savent partager.
Les petites sociétés
traditionnelles auraient-elles trouvé l'éducation idéale ? Le doute demeure.
Pour commencer, le fait que les personnes des sociétés de "petites
échelles" soient plus "autonomes et sociables" ne relèvent que
d'observations et d'impressions. Rien n'est finalement prouvé scientifiquement.
Par ailleurs, rien n'est tout blanc ni tout noir en ce qui concerne
l'éducation, il faut trouver un bon milieu, savoir s'adapter. C'est d'ailleurs
peut-être de là que viennent les différences d'éducation entre le monde
occidental et les sociétés traditionnelles.
En effet, dans un pays comme les
Etats-Unis où les enfants seront très tôt confrontés à un esprit de classement,
de compétition, il vaut mieux que les parents les préparent dès le plus jeune
âge. L'évolution des mœurs a par ailleurs depuis maintenant plusieurs dizaines
d'années entraîner les femmes dans les bureaux, tout du moins en Occident. Les
femmes ne sont donc plus obligées de s'occuper de leur enfant toute la journée.
Une fois de plus, la culture
permet donc d'expliquer en partie les différences d'éducation.
Plutôt que de pointer du doigt
qui a tort ou raison, il semble donc plus intéressant de comprendre que
l'éducation des enfants est plus flexible qu'on ne le pense.
Atlantico a interrogé Monique de Kermadec, psychologue clinicienne et psychanalyste spécialiste de l'apprentissage, de la précocité et du succès chez l'enfant. elle est notamment l'auteur du livre Pour que mon enfant réussisse - Le soutenir et l'accompagner.
Atlantico : Dans son dernier
livre, le biologiste évolutionniste Jared Diamond oppose éducation occidentale
et éducation dans les petites sociétés traditionnelles. Il montre que dans ces
sociétés traditionnelles, les enfants sont plus sociables et plus curieux.
Qu'en pensez-vous ?
Monique de Kermadec : Dans les
sociétés traditionnelles, les enfants sont beaucoup plus en contact avec les
adultes que dans les sociétés occidentales. Ils bénéficient donc d'une autre
expérience affective dès leur plus jeune âge. Dans ces petites sociétés, le
mode d'éducation encourage le développement de l'intelligence sociale et
émotionnelle.
Il est difficile de comparer les
deux modes d'éducation car nous vivons dans une société qui sépare les parents
des enfants. Il serait très compliqué d'amener son enfant au travail ! Pour moi
la vraie question qui se pose est la suivante : comment apprendre à vivre dans
le monde dans lequel nous vivons ? Nos enfants doivent être préparés à un monde
où l'on est moins en contact avec autrui et où l'on doit savoir faire seul.
Certes, l'éducation que nous donnons en Occident laisse les enfants seuls. Pour
autant cette éducation ne leur apprend pas forcément à gérer les choses seuls.
Que peuvent nous apprendre les
sociétés traditionnelles en matière d'éducation ?
Le modèle éducatif proposé par
les sociétés traditionnelles - où les enfants sont élevés avec les adultes,
dans des groupes d'âges mixtes et où ils ont l'occasion d'apprendre par
l'expérience - me paraît une bonne proposition. Mais comment mettre cela en
place dans une société où les parents ne voient leur enfant que très peu de
temps ? Le système proposé par les sociétés traditionnelles est idéal. Et il
correspond d'ailleurs au modèle éducatif que nous avions autrefois dans nos
sociétés occidentales : les enfants allaient dans des écoles où les groupes
d'âges n'étaient pas séparés, où les enfants étaient constamment en contact
avec des adultes, et où ils avaient une liberté qui leur permettait d'apprendre
beaucoup plus par l'expérience. Les évolutions de la société industrielle ont
énormément fait évoluer les conditions d'éducation.
Aujourd'hui, nous comptons
énormément sur la parole et beaucoup moins sur l'expérience pour éduquer nos
enfants. Or, si on parle trop, mais qu'on n'a pas l'expérience, je pense qu'un
enfant n'est pas prêt à faire face au monde actuel et à ses dangers. Un enfant
peut ne pas se brûler parce que l'adulte a l'habitude de lui expliquer qu'il ne
faut pas toucher le feu pour se brûler. Mais aujourd'hui on a tendance à
éloigner les enfants de la cuisine, donc ils risquent de se brûler dès qu'ils
sont près du feu.
Comment expliquer de telles
différences d'éducation entre les sociétés ?
Les évolutions de la société ont
tout simplement modifié nos méthodes éducatives. Il y a encore 30 ou 40 ans,
les enfants pouvaient jouer seuls et en dehors de la maison. Aujourd'hui, les
enfants vont de l'école à la maison et ont toujours un adulte à leurs côtés
pour les accompagner. Ils ont donc moins l'occasion de tester une certaine
liberté et d'apprendre par l'expérience. Notre société a rendu cela quasiment
impossible : l'école est loin, il faut prendre un moyen de transport pour s'y
rendre. La "grande ville" ne permet pas de suivre le modèle de ces
sociétés traditionnelles. Ce n'est pas qu'une question de mentalité, les
conditions matérielles de vie ont profondément modifié le système éducatif.
Existe-t-il une éducation idéale
? Si oui, quelle est-elle ?
Je dirais que l'éducation idéale
est l'éducation où on laisse une place à la parole entre l'adulte et l'enfant.
C'est une éducation dans laquelle on n'apprend pas uniquement à partir de
livres, ou uniquement à partir de conseils, mais où on apprend aussi à partir
de différentes expériences. C'est une aussi une éducation où l'enfant ne
vivrait pas uniquement dans des univers cloisonnés de groupes d'âges et où il
pourrait bénéficier de l'expérience des plus vieux et transmettre la sienne aux
plus jeunes.
C'est assez éloigné du modèle
d'éducation que les sociétés occidentales proposent...
En effet, mais nous pouvons faire
en sorte que nos enfants aient des activités qui leur permettent d'être en
contact avec des plus grands ou avec des plus jeunes. Il ne tient qu'à nous ne
mettre nos enfants dans des contextes plus élargis. Nous vivons dans des
cellules familiales très petites, le contact avec les grands-parents ou les
grands-oncles ne sont plus aussi fréquents qu'à l'époque où plusieurs
générations vivaient sous un même toit. Mais on peut compenser ça, tout
simplement en mettant l'enfant en contact avec ses grands-parents ou avec des
personnes plus âgées qui vont pouvoir partager leurs souvenirs et leurs
expériences. Plus nous vivons dans des grandes villes et plus nous sommes obligés
de faire des efforts conscients pour retrouver certaines qualités de l'ancienne
façon d'élever les enfants.
Je ne sais pas à quel point ce film est représentatif mais j'ai adoré voir hier "le chien jaune de Mongolie" car l'ambiance éducative qui s'en dégageait était magique et inspirante...
RépondreSupprimerMerci de ce témoignage, j'ai déjà vu ce film, et j'ai beaucoup aimé. De manière générale, tous les films à tendance "anthropologique" peuvent être vus par les grands enfants... ils sont une ouverture sur le monde! A bientôt!
Supprimer