Un texte de Nicolas Go,
Laboratoire de Recherche Coopérative, ICEM.
La puissance de vie (le primat du
désir)
Il y a au fondement de la pensée
de Freinet, et à la base de la Méthode naturelle, une considération strictement
matérialiste, une considération de bon sens qui plonge ses racines dans la plus
ancienne philosophie de la Grèce antique, celle des « physiciens », qu’on peut
résumer dans une citation : « L’être humain est, dans tous les domaines, animé
par un principe de vie qui le pousse à monter sans cesse, à croître, à se perfectionner,
à se saisir des mécanismes et des outils afin d’acquérir un maximum de
puissance sur le milieu qui l’entoure ». Freinet précise ailleurs ce
qu’il entend par « la vie » : « Je prends la vie dans son mouvement sans préjuger
ici de son origine, ni de ses buts. Je constate seulement que l’être vivant
naît, grandit, fructifie, puis décline et meurt ». Cette vie, à
l’origine de toutes les activités humaines, il la considère comme une «
puissance », en s’inspirant de sa lecture de Nietzsche. Voici comment il
l’exprime : « Dans la réalisation de ce processus vital pour la montée normale
de l’être, l’individu mobilise un potentiel maximum de vie que j’appellerai
puissance ».
Concrètement, cela implique la
chose suivante pour l’éducateur : lorsqu’il entre dans sa classe, ce qu’il voit
en face de lui, ce ne sont pas essentiellement des élèves, ce sont des
puissances de vie qui se manifestent et se cherchent.
Chaque enfant est une puissance
de vie singulière, prise dans une histoire personnelle, et qui cherche par tous
les moyens à grandir. L’éducateur a affaire à des effectuations de puissances,
qui varient par des diminutions et des accroissements. Par exemple, lorsqu’un
enfant présente un texte de lui devant une assemblée qui l’apprécie et l’applaudit,
il éprouve une augmentation de sa puissance, qui se traduit mécaniquement par
un sentiment de jubilation. Lorsque, à la suite de multiples tâtonnements, un
enfant de CM2 comme Erwan redécouvre seul la méthode de Gauss pour calculer la
somme des dix-huit premiers nombres [il additionne 1 et 18, 2 et 17 et ainsi de
suite jusqu’à 9 et 10, puis effectue le produit de 19 (résultat de chaque
addition) par 9 (nombre d’additions)], il éprouve dans sa solitude puis devant
le groupe une soudaine augmentation de puissance qui se traduit également par
la jubilation. Ceci peut, éventuellement, constituer pour lui une expérience
cruciale à la fois intellectuelle, affective et sociale.
Ce sont de tels accroissements de
puissance que chacun recherche, et que la Méthode naturelle vise à favoriser et
à multiplier. Ceci est un autre nom pour le désir. Freinet est en accord avec
Aristote qui écrit : « Il n’y a qu’un seul favorisant les accroissements de
puissances. Mais il faut immédiatement ajouter : elle organise leur rencontre
et leuramplification mutuelle dans un
contexte coopératif.
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