La « méthode » naturelle
d’apprendre – texte extrait de Célestin Freinet, « Méthode naturelle de lecture
»
L’enfant jette un cri plus ou moins
accidentel, plus ou moins différencié. Il se rend compte, d’une façon plus
intuitive que formelle, que ce cri a un certain pouvoir sur le milieu.C’est ce
cri, lentement modulé à l’expérience, puis articulé, qui deviendra langage.Nous
résumons ici ce processus, qui n’est d’ailleurs pas particulier à l’acquisition
du langage.
a) L’être humain est, dans tous
les domaines, animé par un principe de vie qui le pousse à se saisir
des mécanismes et des outils, afin d’acquérir un maximum de puissance sur
le milieu qui l’entoure.
b) L’individu éprouve une sorte
de besoin, non seulement psychologique mais fonctionnel, d’accorder
ses actes, ses gestes, ses cris avec ceux des individus qui l’entourent.
Tout désaccord, toute dysharmonie sont ressentis comme une désintégration,
cause de souffrance.Il serait insuffisant de parler seulement, en l’occurrence,
d’imitation. C’est plus profond, plus organique et plus impératif : c’est
un geste qui suscite un geste semblable, comme une vibration qui se transmet
avec une égale longueur d’onde, c’est un rythme qui secoue les muscles
d’une façon similaire, un cri qui appelle un cri identique.En vertu de
cette loi de résonance, il est naturel que l’enfant s’efforce de mettre ses
gestes et ses cris à l’unisson du comportement et des paroles de son
entourage.
c) Comment se réalisera cette
conquête ? Il n’existe pas d’autre processus que le
tâtonnement expérimental et la science elle-même n’en est que
l’aboutissement.Dans son effort naturel pour mettre ses cris à l’unisson des
cris ambiants, l’enfant essaie successivement toutes les possibilités
physiologiques et techniques qu’autorise son organisme. Il retient, pour les
répéter et les utiliser, les essais qui ont réussi et qui, par la
répétition systématique, se fixent en règles de vie plus ou moins
indélébiles. Il parvient ainsi, en un temps record, à l’imitation parfaite des
sons divers qu’il entend. Ce résultat est obtenu après un nombre varié
d’expériences, mais l’individu – adulte ou enfant – ne ménage jamais sa peine
quand toute sa vie est engagée.Et la preuve qu’il n’y a là que tâtonnement et
non construction logique, c’est que :- l’enfant ne parviendra pas à imiter
parfaitement un langage s’il l’entend imparfaitement, si par suite
de quelque malformation organique, par exemple, certaines inflexions ne
sont pas perçues par son oreille déficiente ou si, bien qu’entendant
parfaitement, la gamme des expériences qui lui sont possibles est entamée
par une faiblesse congénitale ou accidentelle ;- l’enfant imite aussi bien les
défauts que les qualités. Il se met tout simplement à l’unisson de
l’expression ambiante. D’où [par exemple] la persistance des accents, des
idiomes locaux, comme aussi de certaines prononciations communes à une
famille ou à un groupe.
d) Le processus de tâtonnement
expérimental n’est pas forcément plus long que les
constructions prétendues logiques.
Ce processus peut d’ailleurs être
perfectionné et accéléré. Un milieu “aidant ” qui facilite et motive
une permanente expérience personnelle est, sans aucun doute, décisif dans
cette accélération. Qu’il soit scientifique ou non, il est un fait certain et
général : tous les enfants du monde, y compris les enfants d’instituteurs
et de professeurs, apprennent à marcher et à parler selon une méthode naturelle
qui ne connaît jamais d’échec. Cela s’est produit naturellement, tout
comme les dents poussent ou comme fleurit la barbe au menton.
Extrait de Célestin Freinet, «
Méthode naturelle de lecture », in Œuvres pédagogiques, tome 2, Le Seuil,
1994, p.209 et suivantes.
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