dimanche 10 mars 2013

La « méthode » naturelle d’apprendre - Freinet



La « méthode » naturelle d’apprendre – texte extrait de Célestin Freinet, « Méthode naturelle de lecture »


L’enfant jette un cri plus ou moins accidentel, plus ou moins différencié. Il se rend compte, d’une façon plus intuitive que formelle, que ce cri a un certain pouvoir sur le milieu.C’est ce cri, lentement modulé à l’expérience, puis articulé, qui deviendra langage.Nous résumons ici ce processus, qui n’est d’ailleurs pas particulier à l’acquisition du langage.

a) L’être humain est, dans tous les domaines, animé par un principe de vie qui le pousse à se saisir des mécanismes et des outils, afin d’acquérir un maximum de puissance sur le milieu qui l’entoure.

b) L’individu éprouve une sorte de besoin, non seulement psychologique mais fonctionnel, d’accorder ses actes, ses gestes, ses cris avec ceux des individus qui l’entourent. Tout désaccord, toute dysharmonie sont ressentis comme une désintégration, cause de souffrance.Il serait insuffisant de parler seulement, en l’occurrence, d’imitation. C’est plus profond, plus organique et plus impératif : c’est un geste qui suscite un geste semblable, comme une vibration qui se transmet avec une égale longueur d’onde, c’est un rythme qui secoue les muscles d’une façon similaire, un cri qui appelle un cri identique.En vertu de cette loi de résonance, il est naturel que l’enfant s’efforce de mettre ses gestes et ses cris à l’unisson du comportement et des paroles de son entourage.

c) Comment se réalisera cette conquête ?  Il n’existe pas d’autre processus que le  tâtonnement expérimental et la science elle-même n’en est que l’aboutissement.Dans son effort naturel pour mettre ses cris à l’unisson des cris ambiants, l’enfant essaie successivement toutes les possibilités physiologiques et techniques qu’autorise son organisme. Il retient, pour les répéter et les utiliser, les essais qui ont réussi et qui, par la répétition systématique, se fixent en règles de vie plus ou moins indélébiles. Il parvient ainsi, en un temps record, à l’imitation parfaite des sons divers qu’il entend. Ce résultat est obtenu après un nombre varié d’expériences, mais l’individu – adulte ou enfant – ne ménage jamais sa peine quand toute sa vie est engagée.Et la preuve qu’il n’y a là que tâtonnement et non construction logique, c’est que :- l’enfant ne parviendra pas à imiter parfaitement un langage s’il l’entend imparfaitement, si par suite de quelque malformation organique, par exemple, certaines inflexions ne sont pas perçues par son oreille déficiente ou si, bien qu’entendant parfaitement, la gamme des expériences qui lui sont possibles est entamée par une faiblesse congénitale ou accidentelle ;- l’enfant imite aussi bien les défauts que les qualités. Il se met tout simplement à l’unisson de l’expression ambiante. D’où [par exemple] la persistance des accents, des idiomes locaux, comme aussi de certaines prononciations communes à une famille ou à un groupe.

d) Le processus de tâtonnement expérimental n’est pas forcément plus long que les constructions prétendues logiques.
Ce processus peut d’ailleurs être perfectionné et accéléré. Un milieu “aidant ” qui facilite et motive une permanente expérience personnelle est, sans aucun doute, décisif dans cette accélération. Qu’il soit scientifique ou non, il est un fait certain et général : tous les enfants du monde, y compris les enfants d’instituteurs et de professeurs, apprennent à marcher et à parler selon une méthode naturelle qui ne connaît jamais d’échec. Cela s’est produit naturellement, tout comme les dents poussent ou comme fleurit la barbe au menton.

Extrait de Célestin Freinet, « Méthode naturelle de lecture », in Œuvres pédagogiques, tome 2, Le Seuil, 1994, p.209 et suivantes.

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