Françoise Barbe-Gall, enseignante à l'École du Louvre vous donne des
conseils pour intéresser vos enfants à l'art sans risquer d'obtenir l'inverse
du but recherché...
A partir de quel âge et de quelle manière peut-on sensibiliser les
enfants à l'art ?
Dès la petite enfance.
D'ailleurs, à la maternelle, les enseignants se servent beaucoup d'images
d'art. Les regarder, les manipuler, les copier : tout ceci ouvre des pistes de
réflexion aux enfants. Ils comprennent souvent très bien la logique des images
et en gardent une bonne mémoire, c'est très surprenant. En fait, ce qui compte
c'est qu'ils se familiarisent avec les oeuvres. Il ne faut surtout pas leur
présenter l'art sous la forme d'un cours théorique ou de manière trop
révérencieuse. Les enfants ont besoin de toucher, de s'approprier les images.
Je conseille donc aux parents de mettre à disposition de leurs bambins des
livres d'art ou des cartes qui ne soient pas trop précieux afin qu'ils puissent
les feuilleter comme ils le souhaitent. Pas question de leur confier un ouvrage
coûteux en divulguant mille précautions ("ne pose pas tes doigts sur les
images", "attention à ne pas corner les pages", etc.), qui
entraveraient la spontanéité de cette découverte. Les parents peuvent aussi
dans la vie de tous les jours faire remarquer des gammes de couleurs, les
perspectives dans une photo, les formes dans le relief d'un paysage...
Le meilleur moyen de les familiariser avec l'art ne serait-il pas de
les laisser pratiquer eux-mêmes ?
Évidemment, la plupart des
enfants ont envie de mettre les mains dans la peinture, de découper et de
coller. Et il ne faut pas les en empêcher ! C'est important qu'ils apprennent à
s'exprimer par l'art plastique. Mais cela ne se substitue pas à un éveil
artistique. Savoir faire ne signifie pas savoir sentir. D'ailleurs, nombre de
gens sensibles à l'art ne pratiquent pas eux-mêmes. C'est pour cette raison que
les livrets, les sites Internet et les DVD spécialisés ou encore les ateliers
pour enfant proposés par les musées qui utilisent des oeuvres comme de simples
illustrations, des points de départ d'un jeu ou d'un dessin, ne sont, la
plupart du temps, pas adaptés. Ils peuvent compléter l'éveil mais sûrement pas
le remplacer. Ils servent plutôt à apprendre des techniques qu'à comprendre
et/ou apprécier le contenu des oeuvres. En revanche, ils ont l'avantage d'aider
les enfants, surtout les plus petits, à se familiariser avec des objets et des
lieux, qui pourraient, sans cette approche ludique, leur paraître rébarbatifs.
Sans compter qu'ils laissent aux parents le loisir de parcourir les musées sans
être "encombrés"...
Je crois qu'il faut tout
simplement savoir regarder avec eux et ce, dès l'âge de 7 ans. La tranche de 10
à 12 ans étant la période magique, idéale car les enfants sont très curieux et
encore dans une démarche d'imitation de leurs parents. Concrètement, on se
plante devant l'oeuvre et on en discute en toute bonne foi, on donne son avis,
on pose des questions : "Qu'en penses-tu ? Qu'est ce que tu vois ? Qu'est
ce que tu comprends ?" Il faut alors savoir écouter les réponses de
l'enfant souvent très perspicaces et parler avec sa propre sensibilité, en
toute franchise. Peu importe par où il entre dans l'oeuvre (la couleur, le
titre, un détail de l'image), il n'y a pas de recette. Chacun trouve son accès
et construit son propre cheminement. Passé ce stade de la "première
émotion", les parents peuvent avec l'enfant chercher des explications sur
l'oeuvre : l'artiste, l'époque, le courant, le sens, etc. La clé pour réussir à
les intéresser, c'est d'accepter de s'éveiller avec eux, de les accompagner...
Le livre que j'ai écrit est destiné aux parents et sert parfois aussi à combler
les lacunes qu'ils n'osent pas dévoiler... C'est donc aussi le moment pour ceux
qui n'ont jamais eu le déclic de s'offrir une seconde chance. Je dis souvent
qu'il suffit alors d'avoir quelques pages d'avance sur les enfants pour faire
un très bon guide.
Quelles sont les erreurs à ne pas commettre tout au long de cet éveil ?
D'un point de vue pratique, les
parents ont intérêt à ne pas présenter le musée ou l'édifice à visiter comme la
solution de replis en cas de pluie pendant les vacances ou l'activité obligée
du mercredi avant les dessins animés... Je leur conseille aussi de réserver les
places à l'avance pour éviter la file d'attente d'une heure à l'entrée, de
savoir écourter la balade si l'attention baisse ou la fatigue se fait sentir.
Ensuite, il ne faut pas se formaliser si l'enfant ne trouve rien d'exceptionnel
à un chef-d'oeuvre. Passez à une autre salle, la rencontre avec un tableau se
déroule comme la rencontre avec une personne : ce n'est peut-être pas
aujourd'hui le bon moment. Évitez aussi de discourir de manière trop théorique
devant un tableau, de sacraliser une oeuvre ou un artiste ou encore de ponctuer
la visite de jugements arrêtés du style "voilà, ça c'est vraiment beau"
qui risqueraient de donner à l'enfant l'impression qu'il n'est pas digne
d'accéder à cette discipline car il manque de culture et de connaissances ou ne
possède pas le même avis que vous. Expliquez plutôt pourquoi vous appréciez tel
ou tel objet et écoutez les réactions de votre enfant, valorisez son point de
vue, donnez lui confiance dans son jugement... En somme, les parents doivent
amener les enfants vers l'art sans les y contraindre. Et si les petits ne
montrent pas d'intérêt malgré tous ces efforts de votre part, n'insistez pas,
apprécier l'art n'est pas une fin en soit et rien n'est jamais définitif.
Peut-être s'y mettront-ils avec leurs propres enfants...
Comment parler d'art aux enfants ? Françoise Barbe-Gall. Édition
Adam Biro
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