vendredi 16 novembre 2012

Et maintenant la classe... inversée (Le Point)


Le Point.fr par Aurélie Darbouret - Publié le 15/11/2012

Cours à la maison et devoirs en classe, un collège de Saint-Brieuc teste la classe inversée depuis la rentrée 2012.


"Cela fait trois mois que je fais la grève du tableau", plaisante Pascal Bihoué, professeur du collège Sainte-Marie, à Saint-Brieuc, un établissement privé "comme on en trouve en Bretagne", avec 17 nationalités, des assistants de vie scolaire dans les classes et des élèves provenant de milieux sociaux très hétérogènes. "J'en avais marre de voir les élèves dormir pendant que je grattais au tableau", confie-t-il à Sipa. Ce professeur a donc décidé de tester une nouvelle façon d'enseigner. Les leçons de physique sont étudiées à la maison sur Internet, via des animations et des vidéos postées par le professeur, alors que les heures de classes sont entièrement consacrées aux exercices et travaux pratiques.

Une expérience de la 5e à la 3e

À la dernière rentrée, il a décidé d'arrêter les cours magistraux avec ses deux classes de 3e et a mis en place des "classes hybrides" (le cours est fait en classe et des documents complémentaires sont à consulter en ligne) pour les classes de 5e et 4e.
Sur une plate-forme internet "bidouillée avec du code html", il met ses cours de physique en ligne et laisse les élèves potasser chez eux. Dans la base de données, on trouve de courtes vidéos (1 à 2 minutes) où le professeur s'est filmé dans le laboratoire, des animations importées, des dossiers interactifs et des liens vers d'autres sites pour les plus curieux. Les élèves travaillent chez eux, à leur rythme, et doivent généralement laisser un résumé dans leur cahier. "C'est mieux de travailler comme ça. Ce sont nos mots, nos phrases", explique Lucie, en classe de 3e. "Ensuite le prof relit tout pour vérifier si c'est juste", ajoute Noeline, sa voisine de bureau. "C'est moins ennuyant, c'est plus motivant de venir en physique", affirme Halil qui redouble sa 3e.

Les élèves travaillent à leur rythme

Globalement les élèves préfèrent la physique nouvelle version, ils disent avoir moins de travail à la maison et être plus actifs en classe. Il faut dire qu'à leurs yeux l'ambiance a changé. Finies les rangées de tables, les paillasses sont désormais rassemblées en îlots pour permettre le travail en groupe.
Pascal Bihoué, enseignant depuis quatre ans dans l'établissement, encourage les discussions et les échanges entre les élèves, quitte à laisser passer des discussions d'ordre privé. À la fin de chaque séance, il donne les consignes sur les documents à consulter. À la maison, les élèves naviguent à leur rythme, regardent les vidéos une ou plusieurs fois et laissent messages et questions sur un forum, dont l'accès est réservé au professeur.

Des PC disponibles sur le bureau du prof

"En classe, parfois quand on pose des questions, les autres, ils disent tu comprends rien. Là on est plus libre et plus autonome", confie Martin, bon élève, un peu joueur. "J'estime qu'un tiers ne travaille pas. Mais dans une classe ordinaire, il y a toujours des élèves qui ne font pas leurs devoirs," estime le professeur.
Parmi les récalcitrants, il a noté quelques très bons éléments, un peu feignants, qui n'avaient pas pour habitude d'ouvrir un classeur à la maison. Ce jour-là, les élèves étudient l'atome, son histoire et ses caractéristiques. Pour ceux qui n'ont pas allumé l'ordinateur entre deux séances ou n'ont pas d'ordinateur chez eux, il y a des PC disponibles sur le bureau du professeur durant la classe. Le professeur n'a plus de bureau, il se déplace de table en table et s'adresse différemment à chaque élève, en prenant en compte les messages reçus sur le forum. Dans les cahiers, les restitutions sont personnelles: certains ont fait des frises chronologiques pour représenter les différentes théories sur l'atome, d'autres des résumés de textes. "Lundi prochain, je ramasse les cahiers pour vérifier que toutes vos notes sont justes. La semaine suivante, vous enregistrerez un résumé oral de ce que vous avez retenu", avertit Pascal Bihoué qui pratique depuis des années une évaluation hybride, par compétence et par note. "On ne sait pas toujours ce qu'il y a à apprendre", regrette Lorena, élève de 3e. Bérenger, bon élève au cahier impeccable, reconnaît aussi quelques difficultés: "Au début, je ramais un peu. Je trouvais ça plus compliqué pour apprendre, mais finalement ce sont mes mots", dit-il, tout en reconnaissant avoir "plus l'habitude d'internet pour les jeux vidéo que pour l'école".
Twitter est également devenu un moyen de communication entre le professeur et les élèves. Certains ont des comptes, pour les autres, celui du prof défile sur la plate-forme. "Les 3es : évaluation la semaine prochaine (...) Au travail !" rappelle-t-il sur le réseau social.

Webclasseur

Dans le collège de Pascal Bihoué, la direction a tout de suite accepté le principe de l'expérimentation. L'établissement vient d'ailleurs de se doter du webclasseur, une plate-forme de partage de documents en ligne où les professeurs archivent des documents ou des corrigés à destination des élèves. "Bizarrement, ce n'est pas l'Éducation nationale mais Intel et Microsoft qui s'intéressent à ce que je fais", ironise l'enseignant, qui est régulièrement contacté par des collègues intéressés. "J'ai découvert le mouvement des 'flipped classroom' (classe inversée, NDLR) sur Twitter et je suis toujours en contact avec des profs des États-Unis ou du Canada.
En France, il y en a d'autres qui expérimentent, mais c'est davantage dans les études post-bac", conclut Pascal Bihoué. Vendredi prochain, l'enseignant présentera sa classe inversée au salon Educatec-Educatice, à Paris.

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