«Nous sommes tissés de l'étoffe dont sont faits les rêves»:
Etty Buzyn, psychothérapeute depuis quinze ans, a un faible pour
cette citation de William Shakespeare. Dans son dernier ouvrage, Papa, maman,
laissez-moi le temps de rêver, elle s'inquiète de voir dans son cabinet de
plus en plus d'enfants, saturés d'activités, poussés à la performance par leurs
parents. Elle rappelle que l'oisiveté permet à l'enfant de développer sa
créativité et donc ses capacités d'adaptation et d'innovation. Qui sont ces
enfants que vous voyez en consultation?
Ce sont les progénitures de parents soucieux de bien faire.
Angoissés par le chômage, ils veulent que leurs petits aient un maximum de
diplômes, pour leur donner une «assurance tout risque» sur l'avenir. Ils les
somment d'avoir de bons résultats à l'école en les submergeant de cours du
soir, de travail personnel intense. Et surtout, ils veulent que tout ce que
font leurs enfants leur serve dans un souci de la performance.
C'est-à-dire que même le temps dit «libre» y est consacré?
Oui. Ils veulent bien que leurs enfants s'amusent, mais avec
des jeux éducatifs. Le sport aussi devient prétexte à compétition. Je me
souviens d'une petite Mathilde qui n'avait jamais joué à la poupée ou à des
jeux imaginatifs. Elle avait renoncé à ses désirs pour combler ceux de ses
parents, par peur de perdre leur amour en les décevant. Cela a provoqué chez
elle un symptôme dépressif matérialisé par de moins bons résultats scolaires et
sportifs. Et le plus grave, c'est que si ses parents acceptaient de lui faire
suivre une psychothérapie, c'était uniquement pour voir ses résultats
s'améliorer, et non pas pour comprendre ses désirs personnels. Je me souviens
d'un autre exemple que j'avais vu quand je travaillais en crèche. Des mamans
demandaient quel allait être le programme d'activités de la journée... alors
que leur bébé n'avait que trois mois!
Pour vous, «ne rien faire» ou «jouer» n'est pas synonyme de
«perdre son temps»?
Bien au contraire. Le jeu non éducatif, c'est très sérieux.
L'enfant peut s'y extérioriser, se débarrasser de ses angoisses. Il comble son
narcissisme en se transformant en grand chef indien. Il devient acteur dans des
scénarios qu'il aurait aimé vivre en vrai. Et c'est une façon de voler à la réalité
ce qu'elle ne lui a pas donné, d'éprouver ainsi des satisfactions. De plus,
l'enfant reproduit dans le jeu ce que font les grands en mimant le médecin, la
marchande... Il se projette ainsi dans l'avenir. Il s'enrichit aussi en
rêvassant. Il transcende la réalité en imaginant, devant un plat de nouilles,
un congrès de vers de terre!
Quelles conséquences pour l'enfant devenu adulte?
Sa fragilité se dévoile au grand jour, dès qu'il perd la
première place. Il ne trouve pas en lui la force de surmonter cette épreuve. Il
a trop longtemps renoncé à lui-même et se retrouve dépourvu de force intérieure
quand il se sent dévalorisé. Car l'imaginaire est une force dans la vie! C'est
grâce à lui que l'on peut s'adapter aux différentes situations, innover face à
une situation inconnue.
Qu'est-ce qui vous a le plus choqué en quinze ans
d'expérience?
C'est de voir combien des enfants ont appauvri leur
imagination. J'utilise beaucoup le dessin en consultation. Or, ces dernières
années, j'ai été très attristée de voir que des enfants différents réalisaient
les mêmes types de dessins. Des tortues Ninjas à-tout-va, des Roi Lion. Le
merchandising fait des ravages chez eux en abusant de leur caractère
influençable. Du coup, ils reproduisent ce qu'ils ont vu, au lieu de se laisser
aller à créer.
Que faut-il répondre à un enfant qui répète sans cesse
«maman, je ne sais pas quoi faire»?
L'ennui est sain. Le supporter est une preuve de bonne santé
mentale. Ce temps où l'enfant cesse d'agir pour se confronter à la solitude lui
permet de déployer son espace intérieur. Il découvre ainsi ses capacités à
puiser en lui-même des histoires, des aventures qu'il transposera plus tard
dans ses jeux. Encore faut-il que les adultes montrent l'exemple. J'en vois
tellement qui s'agitent sans répit. Pendant leur temps soi-disant «libre», ils
enchaînent activités sportives, soirées, jeux de société, séances télé,
cinéma... comme pour éviter de se retrouver face à eux-mêmes, de peur d'être
confrontés au vide....
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