En France, 40 000 enfants ne vont pas à l’école et sont instruits à la
maison. Ces parents précepteurs défendent l’apprentissage en famille,
alternative à une institution scolaire qu’ils considèrent comme défaillante.
par Emilie Etienne, Le Républicain Lorrain, 18/11/12
Ce n’est pas l’école qui est
obligatoire, mais l’instruction, depuis la loi du 28 mars 1882 », rappelle
une maman qui a choisi de ne pas inscrire ses enfants à l’école. Sur les
12 millions d’élèves que compte la France, environ 40 000 enfants de 3 à
16 ans sont hors du système scolaire traditionnel. La plupart sont inscrits
dans un établissement à distance, reconnu par le ministère de l’Éducation
nationale (CNED), dans des cours privés agréés, ou sont instruits par leurs
parents. Contrairement à la Grande-Bretagne et aux États-Unis, en France,
l’instruction en famille (IEF) reste très marginale. Sans adopter un discours
ultra-négatif sur l’école, les parents qui font l’école à la maison se veulent
des passeurs de savoirs et de savoir être.
Dans certains cas, l’instruction
en famille ou via un établissement à distance apparaît comme la seule solution
: handicap physique, maladie, hyperactivité, troubles de l’attention ou du
comportement. Certains enfants en souffrance, trop lents, en situation d’échec
ou qui ont perdu confiance en eux, sont également déscolarisés en cours
d’année.
Pour les parents non-scolarisants
(les " non-sco"), le système traditionnel n’est pas adapté à leur
vision de l’apprentissage. Le choix d’assurer eux-mêmes l’éducation de leurs
enfants est mûrement réfléchi, parfois avant même la naissance. Il existe bien
des écoles alternatives qui reposent sur le fonctionnement de l’apprentissage
libre et autogéré, dans le respect du rythme et de l’individualité propre à
chaque enfant. Mais elles sont rares, trop chères et souvent éloignées du
domicile. Sans dénigrer l’investissement et le mérite de la plupart des
enseignants, les reproches s’adressent à l’institution scolaire : passivité des
enfants, effectif des classes qui ne permet pas un suivi individualisé des
élèves, faible place faite aux parents, système de notations.
Ces tenants d’une autre
philosophie éducative estiment que « l’école échoue dans la transmission des
savoirs, offre beaucoup mais apporte peu de façon durable. Qu’a-t-on retenu de
toute notre scolarité ? Peu de chose ». Citant Montaigne, selon lequel «
enseigner ce n’est pas remplir un vase mais allumer un feu », ces parents
favorisent l’apprentissage autonome de l’enfant. Il est son propre moteur et ne
se contente pas d’apprendre par cœur des leçons qu’il comprend à peine,
simplement parce qu’il faut obéir sous peine d’être puni. Ces parents se
réclament de "l’école de la vie", où les savoirs se transmettent en
vivant au quotidien. Du coup, toute situation devient prétexte à poser des
questions, à réfléchir et à apprendre. Faire des maths en cuisinant, de la
géographie à l’occasion d’une sortie, de l’anglais en regardant un film… Les
parents se vivent comme les accompagnateurs de la curiosité de leurs enfants. «
Je ne joue pas à l’institutrice, j’essaie de cultiver la curiosité innée chez
les enfants. Et ils aiment apprendre avec nous, faire ensemble des découvertes,
des recherches sur internet, dans les livres. », rapporte Catherine Chemin,
mère de trois enfants et membre de l’association Choisir d’instruire son enfant
(CISE).
Une journée type ? Le matin est
consacré à l’apprentissage formel des mathématiques et de la lecture.
L’après-midi est le temps de "l’informel" : une sortie à la
bibliothèque, une exposition, une promenade dans la nature, du jardinage, des
activités manuelles, du sport… Les "non-sco" entendent respecter le
rythme de vie de leurs enfants, le temps des jeux qui nourrit l’imaginaire, la
confiance en soi et préserve leur appétit de vivre et de découvrir.
Ces parents doivent affronter les
préjugés et inquiétudes de leur entourage. « Les enfants qui sont à la maison
ne font pas moins qu’à l’école, ils font autre chose et ne sont pas plus couvés
et chouchoutés. », insiste Catherine Chemin. La loi indique que l’objectif est
d’atteindre à 16 ans un niveau comparable à celui des élèves scolarisés. « On
ne fait pas n’importe quoi avec nos enfants, on connaît les notions qu’ils
doivent acquérir, on leur fait passer le brevet des collèges en candidat libre
et les adolescents en âge d’être en seconde suivent des cours par
correspondance pour se préparer au baccalauréat, qu’ils passent en candidat
libre et qu’ils réussissent. »
L’instruction en famille est
parfois accusée de cacher une appartenance sectaire, voire des maltraitances.
En 2009, pour rassurer l’opinion publique, l’Éducation nationale a publié un
rapport, attestant que « le choix de l’instruction à domicile n’est en rien
synonyme de dérives sectaires et est garanti par la loi ». En dépit des
réticences, l’IEF est légitime. La charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne de 2002, rappelle « le droit des parents d’assurer l’éducation et
l’enseignement de leurs enfants ». Les parents doivent se soumettre à des
formalités, afin de faire connaître la situation de leurs enfants. La loi leur
impose d’envoyer une lettre à la mairie et à l’inspection académique quinze
jours avant la rentrée des classes. Un contrôle des connaissances est fait une
fois par an par un inspecteur : il peut arriver que des familles où le niveau
des enfants a été jugé insuffisant soient sommées d’inscrire leur progéniture à
l’école. Dans le cas de cours par correspondance agréés, l’inspection
académique reçoit directement les bulletins des enfants.
Au moment de réintégrer l’école,
l’enfant n’est soumis à aucun test, c’est le chef d’établissement qui décide.
En revanche, à l’entrée dans le secondaire, l’adolescent doit passer un examen
d’admission.
Pour les détracteurs de
l’instruction en famille, assimilant l’IEF au "dernier ghetto des
riches", les parents non-sco privent leurs enfants des plaisirs de la cour
de récré, les isolent et les marginalisent. À ces reproches, les parents
répondent que leurs enfants sont insérés dans divers réseaux de relations,
commerçants, voisins, amis, famille où ils font l’apprentissage des codes de la
société.
Les études menées auprès des
familles révèlent que la plupart vivent avec un seul salaire ou deux
demi-salaires, et travaillent à leur compte ou dans une petite structure, ou
sont des artistes, des artisans et d’anciens enseignants qui ont pris la
tangente. Ces parents se voient comme des privilégiés, mais qui ont fait le
choix de changer de niveau de vie. La richesse se mesure plutôt en temps, en
disponibilité pour leurs enfants. Quand on leur demande si la cohabitation
n’est pas trop étouffante pour les uns et les autres, leur réponse est : « On
n’a pas voulu des enfants décoratifs, on aime passer du temps avec eux et ils
aiment apprendre avec nous ».
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