L'éducation, un chemin vers le
clair-joyeux
dimanche 4 décembre 2005, par René BARBIER
Éducation : Un chemin vers
le clair-joyeux, une réflexion sur la violence. (article paru dans la revue 3eMillénaire, consacré au thème
"Violence et paix intérieure", n°77, automne 2005, pages
46-53)
Extraits
Ceci dit, on ne peut pas nier
qu'il y ait actuellement une certaine effervescence qui relèverait de la
violence même si, à mon sens, celle-ci reste à un niveau faible si l'on
considère les inégalités de la société. En effet, la question qui se pose en
moi est celle-ci : comment se fait-il qu'il n'y ait pas plus de
violence ? !
(…)
Il est évident que nous avons à
redécouvrir la reliance avec le fond de nous-même, qui est ouvert sur une
dimension de compassion. Nous avons à retrouver une reliance avec l'autre,
c'est-à-dire avec la personne qui est là, et non pas cet autre imaginaire
considéré pour son aspect utilitaire : « il peut me servir à obtenir
une situation supérieure ». Nous avons aussi à retrouver une reliance avec
le monde naturel, et ceci va de
pair avec une écologie politique. Les conflits économiques sont
complètement liés à une absence de conscience écologique. Peut-être est-ce
relatif au niveau du destin de l'énergie : l'humanité est là, elle
s'éteindra, et ceci n'empêchera pas l'énergie de continuer. Mais sur le plan de
notre présence au monde, les conflits écologiques, qui sont économiques au
niveau planétaires, sont des conflits majeurs. Savoir si demain ma fille et ses
enfants pourront respirer sur notre planète constitue un conflit majeur. Le
nier serait un non-sens. En outre, la nature est souvent une invitation à la
méditation par son caractère ouvert. Cette dimension naturelle est absolument
indispensable, pour nous interpeller sans cesse sur en quoi nous sommes encore
des êtres humains. Nous ne pouvons donc plus, aujourd'hui, concevoir une
réflexion philosophique sans la faire déboucher sur une écologie politique. Le
terme politique est ici à comprendre au sens étymologique de l'organisation de
la cité, celle-ci étant aujourd'hui mondiale, et non plus seulement locale.
(…)
Dans mon métier de pédagogue, je
n'ai jamais connu la violence malgré le travail effectué dans des associations
de réinsertion pour les anciens prisonniers. Quand l'écoute n'est pas un
jugement, quand on reconnaît l'autre comme une personne avec sa dignité et sa
présence humaine, la violence ne s'exerce en général pas. Au contraire,
elle s'exerce d'autant plus que le droit à la parole est nié, quand la personne
n'est plus reconnue que comme un objet ou un matricule. A l'heure
actuelle, les possibilités de parole, c'est-à-dire de passage à l'ordre
symbolique, s'amenuisent. Mais, comme je le disais, je trouve que les gens
n'explosent pas beaucoup, il y a encore beaucoup de civilité par rapport aux
conditions infra-humaines dans lesquelles la société place les gens à l'heure
actuelle.
(…)
Evoquer le rôle de l'éducateur
revient à définir l'éducation. Sur un plan étymologique, ce terme possède deux
sens. Le premier signifie « nourrir, prendre soin ». Si l'on remonte
à Philon d'Alexandrie, il s'agit de prendre soin de l'être. Nourrir, c'est
élever la personne, au sens de permettre à la personne de s'épanouir par
l'intermédiaire d'un certain nombre d'aliments spirituels, symboliques, et matériels.
Le deuxième sens est « conduire hors de ».
Le pédagogue, si l'on se place
dans la tradition même de l'éducation, conduit hors des sentiers battus et
permet à la personne de découvrir des chemins à explorer, d'aller vers un
plus-être. Dans la tradition chinoise, par exemple, l'éducation est la
formation de l'homme de bien, de celui qui possède la vertu d'humanité (ren).
Ces termes sont bien sûr à actualiser pour notre société moderne, mais il est
important à mes yeux d'avoir une préoccupation de finalité, de permettre à un
être de découvrir en lui-même, grâce à l'éducation, des dimensions de son être
en évolution permanente vers quelque chose qui s'élargit. C'est pourquoi je
suis assez critique à l'égard de toutes les spécialités. Un éducateur
n'est pas un spécialiste, mais bien un généraliste, ayant la
capacité de faire des sauts analogiques, parfois étonnants ou dérangeants,
entre des champs de connaissance très différents. J'envisage l'éducation sous
l'angle de savoirs pluriels, aussi bien dans les sciences de la nature que
physiques ou humaines, art et spiritualité.
On me rétorquera qu'il s'agit là
d'un savoir encyclopédique, mais ceci est réducteur. Le problème n'est pas de
connaître tout, mais de bénéficier d'une sensibilité qui permette d'indiquer à
son élève des orientations, des lignes de recherche : conduire au sens de
proposer des voies : « là, tu peux aller voir pour trouver des
réponses à tes questions ». Etre un informateur performant. Et se situer
dans la transdisciplinarité. Voici un des aspects de l'éducation, l'autre étant
la connaissance de soi.
(…)
Mais l'éducateur aussi est un
« s'éduquant » en permanence. Il n'est pas dans un état stable, mais
dans une mouvance où lui-même s'enrichit des savoirs pluriels et de la
connaissance de soi. Le pôle des savoirs pluriels vient poser les questions au
pôle de la connaissance de soi, et celle-ci fait appel à des expériences
personnelles, des flashes expérientiels par lesquels nous rencontrons une
réalité autre, inconnue jusqu'alors. Un autre niveau de compréhension naît
alors.
(…)
Le dialogue entre les deux pôles
est animé par la méditation, c'est-à-dire cette capacité à accueillir le
silence en soi-même, dans la tranquillité : silence sur les concepts, les
images, de façon à rencontrer en soi un vide. Ce vide est plein, créateur, et
anime sans cesse spontanément de nouveaux questionnements, et donc notre
faculté d'éducateur.
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